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MOINEAUX SANS NID N° 221

15 Janvier 2013, 09:00am

Publié par nosloisirs

 

CHAPITTRE-221--.jpegLe même soir, malgré l’obscurité régnant dans les rues de la capitale pour la préserver d’une attaque aérienne allemande, toujours possible, « l’Araigne » sortit de chez elle pour se rendre chez l’usurier, Paul Macaire.

— J’ai fait ce que vous m’avez conseillé, monsieur Macaire, lui annonça-t-elle, après qu’il l’eût fait entrer dans son bureau et fait asseoir dans un fauteuil. Vous ne pouvez imaginer la joie de cette misérable lorsque je lui ai offert cinquante mille francs.

— Bien ! Très bien ! Murmura Paul Macaire avec un sourire malicieux, cela prouve que tout se déroulera selon mes prévisions. J’espère que vous ne vous êtes pas trahie, n’est-ce pas ?

— Rassurez-vous, mon cher, ricana sinistrement la méchante femme. J’ai joué mon rôle avec un talent que m’envierait un acteur de la Comédie Française ... Figurez-vous que cette idiote hésitait et j’ai craint qu’au dernier moment, elle n’aurait pas le courage de me demander de l’argent. J’ai été forcée d’orienter la conversation de manière à en arriver à lui proposer cinquante mille francs.

— Lui avez-vous laissé espérer que vous étiez disposée à lui verser une somme plus élevée ? Questionna Macaire, qui paraissait très satisfait de ce premier résultat.

— Je lui ai demandé de revenir me voir. Je ne pouvais lui tendre davantage la perche, n’est-ce pas ? Croyez-vous, Macaire, que nous arriverons à la tenir entre nos mains ?

— J’en suis tout à fait convaincu, affirma-t-il avec assurance. Cependant tout dépendra de votre conduite ; Peu à peu, sans la brusquer et en faisant semblant d’accepter toutes ses prétentions, vous lui remettrez des sommes de plus en plus importantes ... Quand elle aura reçu un chiffre réellement conséquent, vous démasquerez brutalement vos batteries et la forcerez à vous restituer vos versements.

Le visage de madame Picquet s’assombrit en entendant ces dernières paroles.

— Voilà précisément ce qui m’effraie, déclara-t-elle avec franchise ; toujours donner de l’argent puis prétendre qu’on vous le rende ! Ce n’est pas vous qui courrez ce grand risque. Que faire si cette canaille refusait ! Elle ne possède pas un sou vaillant et se rira sûrement de mes exigences !

— Et puis, elle peut très bien disparaître soudainement de la circulation, quitter paris. N’oubliez pas qu’elle n’est pas seule. Il y a ce damné Marius avec lequel il faudra compter et lutter aussi peut-être ! J’ai bien peur que ça ne finisse très mal pour moi !

— Ne vous tourmentez pas de la sorte, madame Picquet, car j’ai mon plan et l’ai sérieusement élaboré, affirma Paul Macaire. Il vous sera aisé de la menacer d’une dénonciation pour vous avoir calomniée, ce qui lui attirerait quelques mois de prison en raison de son passé.

— Puis-je vous demander quel est votre fameux plan ? Ajouta « l’Araigne » encore hésitante.

— Il est très simple, mais aussi très efficace, assura l’usurier. Que vont faire ces deux misérables lorsqu’ils seront convaincus de pouvoir vous arracher jusqu’à votre dernier sou ?

— Je n’en sais rien, grommela madame Picquet.

— Je vais vous l’expliquer, reprit patiemment l’homme d’affaires. Ils seront fous de joie à la pensée qu’ils ont découvert une poule aux œufs d’or et dépenseront sans compter afin de satisfaire leurs caprices ... Ce sera alors pour vous le moment de refermer les cordons de votre bourse.

— Et après ? Questionna-t-elle, toujours inquiète ne voyant pas où il voulait en venir.

— Eh bien ! Après répéta l’usurier en esquissant un geste vague de la main vous tâcherez d’obtenir les confidences de cette femme et la pousserez à des dépenses de plus en plus exagérées ... s’offrir par exemple, un manteau de fourrure, des bijoux ... Puis vous retarderez vos versements, ce dont elle ne s’inquiétera pas si vous trouvez une excuse plausible. Ensuite, vous lui remettrez la somme convenue, et répéterez plusieurs fois ce geste. Ils ne s’en inquiéteront guère persuadés que, même avec un peu de retard, vous payez toujours ... Peu à peu, ils s’enliseront, car dépensant sans compter, ils croiront pouvoir toujours payer les dettes qu’ils feront.

Cette fois les yeux de « l’Araigne » étincelèrent de contentement.

— Votre plan est sensationnel, mon cher Macaire ! S’exclama-t-elle, enthousiasmée. Je comprends à présent. Ils vont penser que je serai toujours à leur disposition, prête à satisfaire leurs exigences les plus folles ... et puis, tac ! La source tarira d’un seul coup ! D’humble et résignée, je me ferai agressive et menaçante et les sommerai de me restituer toutes les sommes versées.

— C’est alors que madame Ramier, acculée à sa perte sera forcée de suivre vos directives, acheva l’usurier.

— Parfait ! S’écria « l’Araigne » en poussant un soupir de satisfaction. Et lorsque cette idiote d’Edwige réalisera qu’elle a été roulée par moi, il sera trop tard !

— C’est cela même ! Alors, elle sera forcée de se soumettre. Elle devra non seulement vous rendre les sommes extorquées, mais vous exigerez des intérêts très importants, vous permettant ainsi de réaliser d’énormes bénéfices ...

— Que nous partagerons, enchaîna « l’Araigne » de plus en plus enthousiasmée. C’est très, très bien ! Macaire. Je crois même que ce sera la meilleure affaire de toute ma vie !

— Tenez-moi toujours au courant de la situation, reprit-il en souriant, ravi de son enthousiasme. Et si vous avez la moindre inquiétude, prévenez-moi, je me chargerai de tout arranger.

Madame Picquet se leva. Ils échangèrent une solide poignée de main et un dernier sourire de complicité ... Sourire scellant la perte et la dégradation de l’infortunée Edwige Ramier !

« L’Araigne » rentra chez elle très satisfaite. Elle monta directement dans sa chambre où elle s’enferma pour examiner ses livres de comptes.

« L’Araigne » s’écria :

— Je ne veux tout de même pas lâcher plus cinq cent mille francs à cette canaille ! Et ce sera cinq millions que je la forcerai à me rendre !

Minuit sonnait lorsqu’elle se décida à se coucher.

Mais elle se sentait très préoccupée et ne pouvait arriver à trouver le sommeil. Ses pensées continuaient à s’agiter dans sa tête et l’indigne femme ne ressentait aucun scrupule à l’idée de profiter du malheur d’une infortunée que le hasard avait placée entre ses griffes.

Brusquement, elle songea à Mireille.

« Je me demande ce que devient cette petite. J’aurais dû aller à l’hôpital prendre de ses nouvelles. J’espère qu’elle a surmonté le choc dû à son accident. Quelle folie ! Aller se jeter exprès sous les roues d’une voiture ! Lorsqu’elle sera guérie, elle m’entendra et je saurai lui faire passer l’envie de recommencer ce petit jeu !

« Et le juge qui tient à ce que je la traite avec douceur !

« C’est facile à dire ! Cette gamine mériterait le fouet deux fois par jour au moins ! Mais il me faudra feindre de lui témoigner beaucoup de prévenances, autrement, il se méfierait et l’enverrait dans un orphelinat ...Alors, je ne pourrais plus rien obtenir de sa mère le moment venu ! »

Puis une rage folle la saisit en songeant à Edwige Ramier.

« Ah ! Elle veut me faire chanter cette loqueteuse ! Elle le payera cher, l’idiote. Dire qu’elle fait ça pour procurer de l’argent à son amant ! On ne peut être plus stupide ! Se traîner ainsi aux pieds d’un homme et se laisser exploiter par lui ! Décidément, elle n’a pas pour deux sous de cervelle ! »

Elle continua à ruminer toutes sortes de pensées jusqu’à ce que l’aube commençât à éclairer les murs de sa chambre, puis elle s’endormit profondément, sans qu’aucun remords ne vienne la troubler.

Cette odieuse femme continuerait-elle longtemps à semer la haine et le mal ? La Providence ne se chargerait-elle pas de la punir comme elle le méritait ... ou n’était-elle qu’un pion du jeu imprévisible du destin poussé sur l’échiquier de la vie ?

Le lendemain après-midi, « l’Araigne » retourna à la pension de madame Bonnet, décidée à rencontrer « le Boiteux » pour lui rappeler sa dette et le forcer à la rembourser.

Il venait justement de rentrer, lorsque « La Grosse » vint le prévenir de cette visite. Il poussa un soupir résigné et la suivit jusqu’à la salle à manger où « l’Araigne » avait été introduite.

— Ah ! S’exclama-t-elle en l’apercevant. On se retrouve finalement ! Que vous était-il arrivé pour disparaître ainsi de la circulation ? Auriez-vous été frappé subitement d’amnésie ? Dans un tel cas, je saurais parfaitement vous rafraîchir la mémoire !

« Le Boiteux » garda le silence, attendant qu’elle ait terminée de vociférer. Lorsqu’elle se tut, enfin à bout de souffle, il haussa les épaules, élargit les bras dans un geste d’impuissance et répondit :

— Je regrette de vous avoir tourmentée, Madame, si j’avais pu m’en douter, jamais je ne vous aurais ...

— Taisez-vous ! Interrompit-elle brusquement. Je connais le refrain : « je regrette », « je ne peux pas », « soyez patiente », hurla-t-elle écarlate de colère ... Non ! Mon ami ! Cette fois je suis décidée à ne pas sortir d’ici sans mon argent !

Ces paroles n’intimidèrent pas le moins du monde « le Boiteux ». Il sourit et répliqua sans aucun embarras :

— Ne vous fâchez pas, madame Picquet. Il est vrai que je vous dois douze mille francs depuis pas mal de temps, mais comprenez que je ne puis vous payer et cela, je vous l’affirme, indépendamment de ma volonté. N’oubliez pas que nous sommes en guerre et que les affaires sont bien plus difficiles qu’autrefois.

— Racontez ces sornettes à d’autres que moi ! Rugit-elle. Je sais très bien que vous n’êtes qu’un paresseux. Incapable de travailler pour vivre dignement et payer vos dettes. Vous vous contentez de quelques verres de vin que vous courez boire dans le premier bistrot venu !

— Vous n’avez pas le droit de me parler ainsi, protesta « le Boiteux » simulant une indignation qu’il ne ressentait nullement. Et puis, à quoi bon discuter de la sorte ? Pour le moment, je ne possède pas de quoi vous régler. Revenez dans ... voyons ... un mois. Peut-être alors serai-je en mesure de ...

— Jamais de la vie ! Interrompit la mère Picquet avec colère, et cessez de vous payer ma tête. Je veux mon argent !

« Le Boiteux » sourit de nouveau, hocha la tête à deux ou trois reprises et murmura :

— Je vous ai déjà répondu que, et malgré la meilleure volonté du monde, je ne possède rien en ce moment. Que voulez-vous que j’y fasse. Je suis très gêné, mais je pense réaliser une belle affaire d’ici peu ... Dès que j’aurai touché quelque argent, je me précipiterai chez vous pour vous régler ... ou tout au moins vous verser un acompte.

— Comment ? Vous osez par-dessus le marché me proposer des acomptes ? Ne pensez-vous pas que j’aie déjà assez attendu ?

— Vous préférez peut-être ne jamais revoir un sou de l’argent que je vous dois ? Répliqua-t-il sans se laisser impressionner par les cris de la vieille mégère. Et si je refusais de vous payer, que feriez-vous ?

« L’Araigne » fut tout d’abord interdite par cette réponse inattendue mais comme elle n’était jamais à bout d’arguments, elle répliqua aussitôt :

— Ne me posez pas de pareilles questions, « le Boiteux » ! Vous savez fort bien que je connais beaucoup de choses vous concernant et que j’ai de nombreux amis dans la police ... Je vous conseille de filer droit !

— C’est vrai, reconnut « le Boiteux » avec un sourire méprisant, vous fréquentez ces gens-là à présent. Mais je ne vous ai fait qu’une supposition et je ...

— Ca suffit ! Vociféra-t-elle, perdant toute patience. Et combien comptez-vous me donner par mois ? Tâchez de fixer la date de votre règlement définitif. Après tout, vous avez raison ! Je préfère que vous me payiez peu à peu plutôt de tout perdre. J’aurais pu m’offrir la satisfaction de vous envoyer en prison, mais ça ne me rapporterait rien. C’est donc entendu « le Boiteux » !

— Eh bien ! Voyons, s’exclama-t-il satisfait, que diriez-vous si dans un mois à partir d’aujourd’hui, j’effectuais mon premier versement ?

— Ca dépendra de ce que vous me donnerez, répliqua vivement « l’Araigne » car je ne tiens pas à ce que vous me remboursiez avec des acomptes dérisoires.

« Le Boiteux » hocha la tête, puis déclara aimablement :

— Je vous verserai deux mille francs par mois, et en six mois, ce sera terminé, « l’Araigne » !

— C’est beaucoup trop long six mois ! Protesta-t-elle. Disons plutôt trois mille francs auxquels j’ajouterai mille francs d’intérêt. Et puis ne m’appelez plus « l’Araigne ». Vous savez fort bien que cet affreux surnom me déplait.

— Très bien ! Répondit en riant « le Boiteux » mais je refuse de vous payer ces mille francs d’intérêt, car vous vous êtes déjà assez servie comme ça !

L’usurière donna son accord au « Boiteux ».

— Bien ! Admit-elle, je ne sais pourquoi je vous témoigne tant d’indulgence, mais tâchez d’être très ponctuel dans vos versements.

— Vous avez ma parole, madame Picquet, affirma-t-il en s’inclinant devant elle, revenez dans un mois et je vous remettrai la somme fixée.

Ils s’apprêtaient à se séparer lorsque Edwige Ramier entra à l’improviste dans la pièce. En reconnaissant « l’Araigne », elle ne put dissimuler tout d’abord, un geste de contrariété, puis essaya de se rattraper tant bien que mal, en s’écriant :

— J’ai cru que c’était madame Bonnet. Comment se fait-il que vous soyez ici, ma chère ?

La vieille femme la dévisagea sévèrement et répliqua :

— Je vous adresse la même question ; vous habitez donc ici ! Vous ne me l’aviez pas dis ?

— Non ! Je n’habite pas ici, protesta Edwige, mais je suis venue voir Marius qui est un des pensionnaires de madame Bonnet.

— Ah ! Votre ami loge ici ? Interrogea « l’Araigne » tandis qu’un éclair passait dans ses prunelles sombres. J’espère que je vais avoir le plaisir de faire sa connaissance.

— Très certainement ! S’écria Edwige ravie. Je vais le chercher.

Elle s’éloigna en courant et « le Boiteux » en profita pour ajouter :

— Comme ma présence ici n’est nullement indispensable, permettez-moi de me retire, chère amie.

— Oui ! Oui ! Répliqua distraitement la mère Picquet, qui pensait à tout autre chose.

Puis, comme si soudain, elle se rappelait de leur entretien, elle ajouta :

— N’oubliez pas ce qui a été convenu entre nous, « le Boiteux » et dans un mois, je reviendrai ici chercher votre premier versement de trois mille francs.

Il se contenta de répondre par un signe de tête affirmatif et s’éloigna dans le couloir où il croisa Marius précédé par Edwige. Elle le conduisait dans la salle à manger, afin de le présenter à « l’Araigne ».

— Tu es toujours disposé à nous aider pour donner une bonne leçon à cette sale sorcière ? Murmura rapidement l’ami d’Edwige en posant sa main sur le bras du « Boiteux ».

Une lueur haineuse passa dans les yeux de ce dernier, tandis qu’il répondait :

— Certes ! Et maintenant plus que jamais. Figure-toi que cette mégère m’a arraché la promesse de lui régler mensuellement ma dette comme si l’argent se ramassait dans les poubelles ! Mais il fallait avant tout la calmer. En tout cas, tu peux compter entièrement sur moi !

— Nous reprendrons cet entretien un peu plus tard, murmura Marius, satisfait. A présent, je vais faire la connaissance de cette sorcière. Au revoir et à tout à l’heure.

Tandis que « le Boiteux » regagnait sa chambre, Marius et Edwige pénétraient dans la salle à manger.

— Voici Marius ! Annonça avec fierté Edwige à « l’Araigne » Ne le trouvez-vous pas sympathique ? N’ai-je pas beaucoup de chance de le connaître ?

« L’Araigne » dévisagea Marius, l’espace d’une seconde, de ses petits yeux perçants et fouineurs, puis répondit en souriant aimablement.

— Je vous félicite, Edwige, votre choix est excellent ! Ainsi, vous avez l’intention de vous marier sous peu ?

— En effet ! Affirma « la Ramier » avec chaleur.

— C’est vrai, admit plus calmement, mais nous n’avons encore arrêté aucune date, car nous avons des affaires en cours et ne pourrons rien entreprendre avant de les avoir achevées.

— J’espère madame Picquet, reprit Edwige, ne se rendant pas compte de son imprudence, que vous vous montrerez encore compréhensive envers moi, car vous ne pouvez imaginer ce qu’il faut d’argent pour se mettre en ménage !

Un éclair de joie mauvaise brilla dans les yeux de la vieille femme et elle baissa ses paupières pour en dissimuler l’éclat.

— Je ne l’ignore pas, répliqua-t-elle froidement, et je crois deviner que vous désirez de nouveau mon secours, n’est-ce pas ?

Edwige fit un signe de tête affirmatif, et ajouta vivement :

— Vous avez été si bonne avec moi ! Madame Picquet. Je pense que vous ne me refuserez pas de m’aider encore un peu.

— Ca dépendra de ce que vous me demanderez, ma chère. Il me semble inutile de cacher à monsieur Marius que je vous ai déjà remis soixante dix mille francs ! Je ne sais si je vais encore vous satisfaire parce ...

— Et moi, je suis sûr que vous le ferez ! Interrompit durement Marius.

— Ah ! Vous croyez ça vous ? S’écria « l’Araigne » avec colère et pour quelle raison ? Est-ce parce que je me suis laissé— attendrir une première fois par Edwige ? — Puis se tournant vers la femme, elle ajouta avec une ironie empreinte de méchanceté — Et vous ma toute belle, que pensez-vous ? Partagez-vous l’opinion de votre ami ? Ne savez-vous pas que je pourrais vous forcer à me restituer les sommes que je vous ai versées ?

Elle comprit aussitôt l’imprudence de ses paroles et se mordit les lèvres ... mais c’était trop tard. Elle chercha immédiatement à se rattraper :

— Naturellement, je n’en ferai rien. Mais en exagérant, vous finirez pas me faire regrettez ma générosité. Aussi agissez avec plus de modération. Maintenant je suis obligée de rentrer chez moi et il est inutile de continuer cette discussion.

Marius et sa compagne ne répondirent pas et « l’Araigne » quitta la pièce dans le plus profond silence.

Lorsqu’ils l’entendirent refermer la porte de la pension, ils échangèrent un regard plein d’inquiétude.

— Qu’à voulu dire cette odieuse sorcière ! S’écria rageusement Marius.

Edwige garda le silence.

— Tu as remarqué avec quelle assurance, elle a parlé de la possibilité de nous forcer à lui rendre son argent ? Tu es sûre d’avoir agi avec prudence, Edwige ?

— J’avoue Marius, que je ne comprends pas, murmura Edwige avec inquiétude.

— C’est pourtant très clair, expliqua-t-il de plus en plus furieux. Si cette odieuse mégère s’est exprimée ainsi, ça signifie que notre chantage ne l’effraye nullement ... Dis-moi un peu Edwige, s’est-elle épouvantée lorsque tu lui as fait comprendre que tu pourrais la dénoncer, à cause des mauvais traitements qu’elle a fait subir à la petite Mireille ?

— Bien sûr, voyons ! Affirma-t-elle avec énergie, autrement elle ne m’aurait pas offert de son propre gré, cinquante mille francs, me faisant cadeau, par-dessus le marché des vingt mille francs prêtés la veille. Tu ne la connais pas, elle n’a pas l’habitude de gestes aussi généreux ! Elle n’a agi que pour payer mon silence !

Marius se tut, songeur. Il réfléchit quelques secondes, puis déclara :

— Je ne partage pas ton avis. Le ton avec lequel elle a prononcé ces paroles m’a frappé. Ce n’est pas celui d’une personne qui a peur. Je crois même, qu’en t’offrant cet argent, cette sorcière a cherché à te tendre un piège.

— Je ne vois pas du tout quel piège elle pourrait me tende ! Protesta naïvement Edwige. Et puis, même si elle voulait que je lui restitue son argent, tu sais bien que cela nous serait impossible. Alors ?

— Je ne sais pas, soupira Marius pensif. Cependant, j’ai la nette conviction que cette femme est dangereuse et très rusée. Je suis convaincu qu’elle ne reculerait devant rien. D’autre part, je n’ai aucune confiance en Paul Macaire qui a préféré de modestes honoraires, plutôt que de s’assurer une partie de nos gains.

Edwige, cette fois, le dévisagea avec inquiétude.

— Tu veux dire qu’ils pourraient être d’accord ?

— C’est très possible ! Déclara Marius et c’est la raison pour laquelle il nous faudra manoeuvrer avec une extrême prudence.

Pendant que se déroulait cet entretien, « l’Araigne » de retour chez elle, réfléchissait à ce qui venait de se passer entre elle et les deux amoureux à la pension de la mère Bonnet.

« J’ai commis une imprudence ! Se disait-elle avec colère. En voulant clouer le bec de cette sotte j’ai presque dévoilé mon jeu. Il faut que j’arrive à mieux me contrôler et à manifester plus de froideur. Il est indispensable que je garde tout mon sang-froid et qu’à l’avenir je sois capable également de supporter quelques petites vexations, en attendant la réussite de mon plan. L’imbécile doit tomber dans mon piège, d’où finalement, il lui sera impossible de sortir.

« Et puis ce marins me semble rusé et très intelligent. J’ai deviné ses soupçons et le crois très dangereux ... Et cette idiote qui espère l’épouser, alors qu’il ne songe qu’à l’exploiter ! Je me demande si je ne ferais pas bien de m’entendre avec lui pour forcer Edwige à gagner beaucoup d’argent, et cela d’une manière à laquelle elle n’a sûrement jamais songée !

« Macaire a eu une idée magnifique, conclut-elle en souriant et il ne me reste qu’à appliquer ce programme ... Ah ! Ah ! Edwige a cru me faire chanter ... Lorsqu’elle sera à ma merci, elle apprendre à connaître mieux « l’Araigne » puisqu’elle a osé m’appeler ainsi ! »

Tout a fait rassurée, la vieille femme se replongea dans ses compte.

La guerre avait stoppé la prospérité de ses affaires. De plus, elle avait cédé son fonds de commerce d’où impossibilité de compter sur des entrées journalières. Aussi avait-elle changé son fils d’épaule ; elle jouait maintenant à la Bourse et prêtait de l’argent à un taux très élevé.

Elle pouvait attendre ainsi, sans trop de craintes, le moment choisi pour rendre Mireille à sa mère, moyennant une petite fortune … « L’araigne » n’était nullement pressée !

 

( A SUIVRE LE 18 JANVIER )

 

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