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MOINEAUX SANS NID N° 131

19 Avril 2012, 09:00am

Publié par nosloisirs

 

CHAPITRE-131-.jpegIlatteignit laPorte dePantin etchercha immédiatementsa petitecompagne touten évitantde parlerdelle.

Son costume neuf et ses cheveux coupés et bien coiffés lui évitèrent d’être reconnu des vendeurs ambulants et des marchands de journaux devant lesquels il ne s’attarda pas, gêné de se montrer à eux sous son nouvel aspect.

Son âme sensible et délicate craignait de blesser la susceptibilité de ses anciens camarades, habillés, pour la plupart, de vieux effets rapiécés. Toutefois, il s’approcha du vendeur de billets de la Loterie Nationale.

— Dis-moi, mon vieux, s’adressant à voix basse au vendeur de billets de la Loterie Nationale, n’aurais-tu pas aperçu Mireille par ici ?

L’autre le dévisagea de la tête aux pieds, étonné tout d’abord, puis il s’écria :

— Mais ... ma parole, c’est Pierrot !

L’enfant haussa les épaules et répondit, énervé :

— Oui, oui, c’est moi !

— Tout juste si je t’ai reconnu ! Reprit le vendeur de billets. Bigre, quel chic ! Tu as donc hérité ?

— J’étais tout simplement fatigué de porter ses vieilles guenilles, répliqua sèchement Pierrot.

— Et quel effet ça te fait-il de passer pour un bourgeois ? Demanda l’autre, non sans ironie.

— Cesse donc de dire des niaiseries ! Trancha son jeune interlocuteur, et réponds plutôt à ma question ; as-tu vu Mireille ?

— Non, mon ami, et il y a même plusieurs jours qu’on ne l’a vue dans le coin, révéla le vendeur. (Puis il questionna en riant) : Qui donc t’a nippé de la sorte ? Tu as l’air d’un vrai prince ! Ce que tu peux faire chic ! Tu es complètement changé, tu sais !

— Tais-toi, voyons ! S’écria Pierrot. Je t’affirme que je n’ai pas du tout changé ... sauf de vêtements !

— Mais tu as donc de l’argent à présent ?

— J’en ai eu très peu ; juste de quoi m’acheter ce que j’ai sur le dos ! A présent, je vais voir si j’arrive à découvrir Mireille, acheva Pierrot, se disposant à s’en aller.

— Attends donc une seconde ! Tu ne sais donc pas ce qui lui est arrivé ? Ce sont les deux voleurs qui ont failli de peu tuer « l’Araigne » qui l’ont enlevés.

— Je suis au courant, dit tristement Pierrot, mais elle aurait très bien pu leur échapper, et c’est pour cette raison que je la chercher partout.

— En tout cas personne ne l’a revue dans le quartier, le renseigna l’autre en se grattant la tête ... Mais va donc voir le concessionnaire des billets de loterie et demande-lui si, par hasard, elle ne serait pas passée lui en prendre pour la vente.

Ce n’était pas un mauvais conseil, et après lui avoir adressé un geste de salut de la main, Pierrot se dépêcha d’aller chez le personnage indiqué.

Dix minutes plus tard il entrait chez lui, mais apprenait que Mireille ne s’était pas présentée là non plus ! De plus en plus déçu et inquiet, il continua ses recherches ... en vain !

Son angoisse ne cessait d’augmenter. Il se demandait, en frissonnant si les misérables qui l’avaient enlevés ne l’auraient pas tuée pour l’empêcher de parler.

Il erra longuement un peu partout dans le quartier. Il connaissait de vue quantité de gars équivoques ; mendiants, receleurs, individus prêts à n’importe quoi pour de l’argent. Comme vendeur de journaux, vivant la majeure partie de ses journées dans la rue, Pierrot avait coudoyé des misérables sans jamais s’en préoccuper.

Maintenant il pensait tirer partie de cet ... avantage, et chaque fois qu’il reconnaissait l’un de ces personnages, il s’en approchait, prêtant une oreille attentive à ce qu’il disait, dans l’espoir de saisir au vol quelque indice révélateur.

Il n’ignorait pas que l’événement qui s’était déroulé chez la vieille receleuse devait avoir produit une très grande sensation dans ce milieu et particulier et que beaucoup d’entre eux savaient le nom de ceux qui avaient fait le coup ; car, tout comme on reconnaît l’auteur d’une œuvre littéraire à son style, ces gens pouvaient avoir reconnu également les responsables de cette « affaire » à la façon dont elle avait été conduite et exécutée.

Pierrot put arriver seulement à surprendre cette simple déclaration faite par un individu qui venait de sortir de prison.

— Ce sont certainement des types qui connaissent bien « l’Araigne », sans doute de faux mendiants auxquels elle avait déjà loué des gosses, qui ont fait le coup !

« Cestvrai,seditPierrotentressaillant,ilaraison.EtcesbanditsvontessayerdeforcerMireilleàmendierdenouveau !...DirequelonapupenserquemonsieurRobertaenlevéMireille !Cestvraimentlaplusénormebêtisequejaiejamaisentendue !Raisonnonsdoncunpeu ;quelsétaientceuxquilouaientcesenfantspourmendier ?...Ilyavait« LeMarseillais »,« leBorgne »,« Lachouette »,« Lafouine »et« Laveugle »quiyvoitaussiclairquemoi !...Cestsûrementlundentreeux.Ilfautàtoutprixquejeledécouvre !

Et il en arriva à la conclusion suivante que plus d’un bon limier lui aurait enviée :

« Commeledélitestconnudetous,sesbanditsserendront,sansexception,uniquementparcuriositéchezlamèrePicquet.Etlecoupableseraceluiquinesymontrerapas,decraintedêtredécouvert. »

Très satisfait de sa déduction, Pierrot décida de se rendre immédiatement chez l’abbé Louis.

Dès que la servante lui eut ouvert, l’enfant entra et la fixant d’un air moqueur ; elle n’avait pas du tout reconnu, en ce petit garçon si bien mis, le pauvre vendeur de journaux, protégé de son maître, et elle lui demandait avec déférence :

— Vous désirez, sans doute, voir monsieur l’abbé, Monsieur ?

— Oh ! Maria, vous ne me reconnaissez pas ? S’écria Pierrot en riant.

— Sainte Vierge ! Mais vous êtes Pierrot ! S’exclama la femme avec ahurissement.

De la pièce voisine, le brave curé avait entendu ces dernières paroles et il s’empressa d’accourir afin de recevoir son jeune ami. Tout d’abord comme sa servante, il s’étonna de le voir ainsi transformé.

— Mais c’est bien Pierrot, en effet ! S’exclama-t-il en souriant.

— Oui, Monsieur l’abbé, c’est moi ! Affirma l’enfant.

— J’avoue qu’il est difficile de te reconnaître ... Où as-tu déniché ce beau costume ? Comme il te va bien ! Serais-tu parvenu à toucher ton héritage ? Ajouta le curé.

— Pas encore, hélas ! Monsieur l’abbé, répondit l’enfant en soupirant. Mais je vais vous raconter tout ce qui, s’est passé depuis que nous nous sommes vus.

— Viens, assieds-toi, invita le prêtre. Et vous, Maria, servez du pain, du fromage et sortez un pot de miel !

— Non, merci, Monsieur l’abbé ... Essaya de protester le petit garçon.

— Ne fais donc pas de façons avec moi. N’aimerais-tu plus le miel ? Demanda le brave homme en riant. Tu vas goûter et tu me diras comment il se fait que Mireille ne soit pas avec toi.

— Ah ! S’exclama >Pierrot. Vous ignorez donc ce qui s’est passé ?

L’abbé le fixa étonné.

— Que veux-tu dire, mon enfant ? Je ne suis, en effet, au courant de rien.

— Tous les journaux en ont pourtant parlé, reprit Pierrot. Vous ne savez donc pas que madame Picquet avait reprit Mireille, mais qu’on la lui a enlevée.

Les yeux du garçonnet se remplirent de larmes en achevant ces mots.

— Ciel ! S’exclama l’abbé en joignant les mains. Pauvres chers petits, les aventures ne vous auront guère été épargnées dans l’existence !

Emu par le chagrin de l’enfant, le prêtre essuya affectueusement de son grand mouchoir à carreaux le mince visage mouillé de larmes et disposa devant le visiteur le fromage, le miel et le pain, ainsi que l’assiette que Maria venait d’apporter en adressant son plus gracieux sourire à Pierrot.

— Avez-vous remarqué comme elle a changé, elle aussi, avec moi, Monsieur le curé ! Fit remarqué tout bas l’enfant en faisant allusion à la gouvernante.

— C’est vrai, mon petit, reconnut le prêtre en riant. Hélas ! Presque tous les êtres sur terre sont sensibles aux apparences. Je suis content, continua-t-il en se tournant vers sa servante, de constater votre amabilité envers mon hôte, et je désire que vous vous conduisiez ainsi envers les plus misérables, car Dieu nous ordonne de faire passer les pauvres avant les riches et ma maison leur appartient, ne l’oubliez jamais, ma fille !

Pierrot ne put s’empêcher de remarquer cette différence existait entre la façon de penser de ce saint homme et de tout ceux qu’il avait croisé depuis sa toute récente transformation. De nouveau, des larmes d’émotion cette fois, mouillèrent ses joues.

— Allons, allons, sèche vite ces larmes, mon garçon, murmura affectueusement l’abbé.

— On devait vous nommer évêque ou pape, Monsieur le curé ! S’écria l’enfant. Vous êtes tellement bon !

— Je ne suis ni meilleur ni pire qu’un autre, mon cher petit, soupira le prêtre, et toi tu es un bon garçon, car, bien que seul sur terre, tu as toujours su discerner le bien du mal et rester dans le droit chemin. Que Dieu te bénisse !

Il traça un signe de croix sur son front et rapprocha de la table la chaise sur laquelle était assis Pierrot, l’invitant à manger.

— Allons, Pierrot, goûte un peu à ces bonnes choses, et tu me raconteras ensuite ce qui est arrivé à notre petite Mireille.

Pierrot ne put apprécier autant qu’il l’avait fait l’autre fois avec Mireille, l’excellent goûter que lui offrait le curé, le souvenir de la fillette lui serrait la gorge. Cependant, il se força à avaler une partie de ce que lui avait servi le brave homme, de crainte de le froisser, puis, repoussant son assiette, il le remercia vivement et aborda ensuite le sujet qui lui tenait tant à cœur.

— Monsieur le curé, commença-t-il, je suis venu vous trouvez pour que vous me donniez un conseil.

— Parle, mon fils ; de quoi s’agit-il ? Lui demanda affectueusement le prêtre.

Pierrot lui fit tout d’abord scrupuleusement le récit de tout ce qui s’était passé depuis sa séquestration dans le pavillon de chasse du marquis d’Evreux. Il lui parla des événements qui s’étaient déroulés à l’auberge, de la torture que lui avait infligé le Gitan, de sa libération vraiment providentielle, de son retour à Paris, de sa dispute avec le petit Guy et ses conséquences ; leur installation avec Valérie dans leur modeste logis sous les toits et, finalement, il relata les derniers incidents concernant Robert Montpellier, madame Picquet et Mireille, et le départ de Valérie, se rendant en Espagne au chevet de son père mourant ...

— J’ai regagné la maison, acheva-t-il, très fatigué et découragé, et voici ce que j’ai trouvé sur mon lit.

Il montra à l’abbé le billet que lui avait laissé Valérie. Après avoir pris connaissance des lignes écrites par la jeune femme le curé s’exclama :

— Seigneur ! Il est impossible de douter de l’innocence et de la générosité de cette pauvre enfant. Ainsi, Pierrot, le père de mademoiselle Valérie lui aurait pardonné ?

— Oui, Monsieur l’abbé, affirma le petit garçon, et vous avez raison de vous réjouir, car je ne connais personne d’aussi bon qu’elle. Si ce que je crois est vrai, je pourrai un jour lui procurer une des plus grandes joies de ma vie !

— Que veux-tu dire Pierrot ? S’enquit le prêtre, intrigué.

— Excusez-moi, Monsieur l’abbé, mais je ne puis parler de cela avant d’en être certain, répondit Pierrot en rougissant.

— Bon, bon, admit l’ecclésiastique en riant, garde donc ton secret et que Dieu permettre que ton espoir se réalise !

— A présent, Monsieur l’abbé, dites-moi si j’ai le droit de disposer à ma guise de cet argent ? S’informa Pierrot, hésitant.

— Je crains que tu n’en aies beaucoup trop entre les mains, répondit le brave homme. Cependant, il t’appartient puisque mademoiselle Valérie te l’a laissé.

— Alors, vous pouvez me faire confiance, Monsieur l’abbé !

— Mais ... si tu le gaspillais ?

— Ai-je donc mal fait de m’acheter ce costume ?

— Tu as très bien agi, au contraire, approuva le prêtre avec un bon sourire, mais il faut essayer d’être très économe afin de faire durer cet argent le plus longtemps possible. Voyons un peu : dis-moi ce que tu as l’intention d’entreprendre ?

— Je ne sais pas encore très bien, fit Pierrot en se grattant la tête, perplexe. Mais je veux devenir riche au plus vite.

L’abbé le fixa longuement puis murmura :

— Ce n’est guère facile, mon pauvre petit !

— Je ne partage pas votre avis, répondit vivement Pierrot.

— Tu dois alors avoir un plan. Veux-tu me le confier ? Demanda le prêtre, tout en pensant que cet enfant était extraordinairement précoce et intelligent.

— Voilà, expliqua Pierrot après un moment de silence ; je me dis que puisque d’autres ont réussi en débarquant à Paris sans un sou en poche, je peux très bien y arriver également, d’autant plus que j’ai l’avantage de posséder un peu d’argent.

— C’est fort bien raisonné ! S’exclama le curé amusé, admirant la simple logique de son jeune interlocuteur. Et comment vas-tu commencer à réaliser tes projets ?

— Je ne suis pas encore fixé, Monsieur l’abbé, répondit Pierrot en riant, mais en achetant certaines choses et en le revendant plus cher, on peut ainsi faire des petits bénéfices. Je suis venu ici pour vous demander si je pouvais employer ainsi l’argent que m’a donné mademoiselle Valérie.

— Et si tu le perdais entièrement, en agissant de la sorte ? Objecta le curé en fronçant les sourcils.

— Ce n’est pas possible ! Affirma Pierrot car si j’achète à un prix en revendant beaucoup plus cher, je ne peux rien perdre.

La discussion se poursuivit et le curé s’efforça de lui montrer tous les obstacles qu’il rencontrerait, mais Pierrot opposait toujours des arguments solides qui finirent par convaincre le brave homme.

Pour Pierrot, tout était simple et facile et ce qui comptait avant tout à ses yeux, c’était de posséder un peu d’argent pour débuter dans les « affaires ».

— Je ne puis t’empêcher de tenter ta chance, conclut l’abbé, car je me rends très bien compte que, plus tard, tu seras quelqu’un ; tu es assez ambitieux pour un enfant de ton âge. Que Dieu te protège, Pierrot, et t’accorde la capacité et la force de réussir, car la vie ne t’a guère gâté jusqu’ici ! Sois toujours bon et compatissant, mon fils, et ne te gonfle surtout pas d’orgueil si la chance te sourit !

— N’oublie jamais que nous devons à Dieu tout ce que nous possédons, même si nous le gagnons à la sueur de notre front, car alors, c’est qu’il nous a donné l’intelligence et le courage nécessaire pour nous élever.

— C’est d’ailleurs pour ces mêmes raisons que les riches doivent se montrer charitables et employer une partie de leur fortune à faire du bien et non à en profiter en égoïstes ; autrement, ils seraient indignes de la faveur que Dieu leur a accordés en naissant. Ne sois jamais avare et ...

— Ca, jamais ! Interrompit l’enfant en riant. Au revoir, Monsieur l’abbé et que le Bon Dieu vous rendre toutes vos gentillesses pour moi !

— Qu’il te protège afin que l’on ne te vole pas, fit le brave homme en soupirant.

Ils se séparèrent très émus ; l’enfant touché par l’indulgence du prêtre à son égard ; l’abbé Louis à cause de l’enthousiasme juvénile et de la franchise de cet enfant que n’effrayait aucune difficulté, montrant inconsciemment déjà l’attitude d’un homme intelligent et fort.

Pierrot partit, fort content de cette visite. Il savait maintenant qu’il ne commettait aucun mal en utilisant l’argent laissé par Valérie.

L’espoir de devenir riche l’exaltait. Désormais, il ne pourrait plus se contenter d’être un miséreux, un pari méprisé de tous. Qu’il héritât ou non, il serais riche un jour et offrirait à Mireille tout ce qu’elle désirerait ...

C’était son rêve le plus cher, le but de sa vie. Ce délicieux enfant ne pensait pas uniquement à lui ; il aspirait à la possibilité de combler les désirs de la fillette qu’il considérait comme une petite sœur chérie, afin de lui faire oublier très vite les tristes jours de leur enfance.

Pour le moment, ce qui importait avant tout était de la retrouver. Mireille avait disparu et nul ne savait ou elle avait été cachée ...

Dominant son impatience, Pierrot entendit la tombée de la nuit, afin que ceux qu’il soupçonnait être les ravisseurs de sa petite compagne soit sortis dans la rue. L’enfant espérant, en les surveillant, obtenir des renseignements qui lui permettraient de découvrir sa chère et infortunée Mireille.

Et comme il restait encore quelques heures à attendre, il décida malgré la goûter offert par l’abbé, d’aller manger un morceau dans un petit bistrot curieusement fréquenté.

 

( A SUIVRE LE 22 AVRIL )

 

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