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M. LEPINE TERREUR DES MALFAITEURS DE PARIS

13 Janvier 2012, 09:00am

Publié par nosloisirs

 

 

M. LEPINE TERREUR DES MALFAITEURS

DE PARIS

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 Parmi les grands fonctionnaires du régime républicain, nul n'est plus occupé que l'actuel préfet de police, le populaire M. Lépine. Il faut être prêt à toute heure du jour et de la nuit, à faire face à n'importe quel événement : incendie grave, manifestations, grèves, réception de souverain etc. L'un de nos rédacteur a eu la curiosité de suite tout un jour le préfet de police, de le « filer » en quelque sorte. Et c'est cette journée qu'il va confier à nos lecteurs.

 

Six heures du matin. Paris dort encore mais son préfet de police est déjà debout. Il fait clair, doux, un peu frais. La journée est radieuse et ceux qui se lèvent tôt en jouiront mieux que les paresseux qui s'attardent au lit.

Le préfet de police s'est levé au premier coup de six heures. Hiver comme été, depuis cinquante ans il saute à la même heure, hors de sa couche. Le voici à la fenêtre de sa chambre. Il aspire à pleins poumons la bonne brise fraîche et légère. Il rêve un instant, dans rumeur apaisée de la ville qui peu à peu s'éveille. Et le voici qui vivement disparaît dans on cabinet de toilettes.

Une demi heure après, sec neveux, souple et solide, il entre correct et un peu sévère dans son cabinet de travail. Ses journaux (tous les journaux du matin) sont là, sur la table, et son valet de chambre les a posés, dès a première heure avec la grande théière, les rôties et le pot de crèmes. Et tout en savourant une gorgée brûlante du liquide parfumé, M. Lépine lit ses journaux.

Il les lis en journaliste d'un coup d’œil... Foin des premier-Paris, des « éditoriaux » signés d'un nom célèbre, des feuilletons. Il va du premier coup aux informations et dès qu'une affaire lui semble nécessiter une enquête et une demande de renseignements, vite il en souligne le titre d'un coup de crayon bleu ou rouge.

A sept heures, M. Lépine reparaît à la fenêtre. Il a lu ses journaux, taillé déjà de la besogne à l'un de ses secrétaires d'ordres : MM. Dealis ou Furth, il inspecte le ciel et, soudain quittant son observatoire il entre dans son appartement.

Quelques instants s'écoulent. Puis la grande porte du boulevard du Palais roule sur ses gonds. Du majestueux vestibule sort un monsieur qui tient par le guidon une fine et légère bicyclette. C'est M. Lépine qui part faire sa promenade au Bois ; il est ganté de cuir tanné, coiffé d'un petit chapeau rond, et le bas de son pantalon est tout prosaïquement serré par une attache parisienne.

En quelques coups de pédale, le préfet sans s'occuper de qui que ce soit, file, à bonne allure sur le pavé de bois.

Il monte le boulevard Saint Michel, tourne à droite sur le boulevard Saint Germain et gagne la place de la Concorde. Là il ralentit un peu l'allure, jette un rapide coup d’œil aux agents chargés de la police des voitures. Tous deux sont sont à leur poste. M. Lépine satisfait repart sans se presser.

Il actionne sa machine à petits coups réguliers. Il ne s'emballe pas, tient très exactement sa droite, ne vire jamais sans s'assurer que nul obstacle ne barre la route ; bref, agit en vrai cycliste avisé et prudent.

Le voici ans l'avenue du Bois il franchit la porte Dauphine et accélère un peu son allure. Le pré Catalan défile... Puis c'est le lac... La cascade... Le tour de Longchamp... Il vire et revient à son point de départ par les petites avenues... Il passe devant Armenonville... Et s'en retourne vers la Préfecture de Police par l'avenue de la Grande Armée, l'avenue de Friedland, le boulevard Haussmann, la place de l'opéra, la rue de Rivoli, la place du Châtelet et le boulevard du Palais... Il est alors un peu plus de huit heures et demie.

Une heure plus tard M. Lépine reçoit ses collaborateurs immédiats ; le chef de la police municipale, M. Tourny (lequel en cas d'absence est remplacé par le sous-chef M. Mouquin) qui lui présente un bref rapport concernant les faits de la nuit.

Le secrétaire général de la Préfecture est reçu quelques instants après le chef de la Police municipale. M. Laurent vient prendre les ordres de son chef. Enfin M. Lépine reçoit son secrétaire particulier, M. Nicolas, qui lui communique son courrier personnel.

On ne s'imagine pas combien le préfet de police reçoit de lettres après la mention « personnelle »

Lettres de fous, lettres de menaces, lettres anonymes dénonçant des crimes, des délits, des abus, lettres désespérées de gens qu'un misérable « fait chanter » lettres désolées de parents signalant l'inconduite où la disparition accidentelle de leur enfant, demandes de toutes natures, d'argent, de secours, d'aide morale, d'appui... M. Lépine lit toutes celles que lui signale son secrétaire, parcourt les autres, questionne, ordonne, s'informe, distribuant à chacun sa besogne avec une sûreté extraordinaire.

A dix heures commencent les audiences. M. Lépine a entendu et prendra encore de bien douloureuses confidences. Il est des gens qui a l'entrée dans son cabinet ont des visages de condamnés à mort et qui sortent rassurés, réconfortés, heureux presque.

Car brusque, incisif, spirituel, M. Lépine est très bon. On lui doit beaucoup dans le monde des petites gens et on ne le sait pas.

C'est lui qui a eu la gloire et l'honneur de réformer les coutumes qui régissaient le corps des gardiens de a paix. Il a appris à des gens qui n'avaient de confiance qu'en la solidarité de leurs poings, à se servir de la persuasion.

Il a persuadé les Parisiens lorsqu'il leur a dit que les gardiens de la paix devaient être considérés par eux non comme des adversaires, mais comme des protecteurs.

On doit encore au préfet de police la suppression totale de l'odieux « passage à tabac » de cruelle mémoire ; on lui doit aussi la création de l'Exposition annuelle des petits fabricants de jouets et en partie celle de cette Foire de Paris, où les industriels du jouet mécanique et de l'article dit de Paris réalisent depuis deux ou trois ans de beaux bénéfices. M. Lépine en créant ces deux Expositions, a sauvé le mot n'es pas trop gros l'industrie du jouet français.

Pendant que celui des collaborateurs du préfet de police, à qui je me suis adressé pour connaître l'emploi du temps de son chef, me rappelle ses détails, un télégraphiste apporte une dépêche... On signale la découverte d'un crime.

Les audiences sont terminées.

Aussitôt le préfet demande son automobile. En moins de cinq minutes le voilà parti. C'est là-bas à Mont martre. Un tueur à tué à coups de couteau une commerçante du boulevard de Rochechouart. En quelques minutes, M. Lépine est sur les lieux du drame, en même temps que le chef de la sûreté. Une véritable foule se presse devant la boutique difficilement contenue par les agents du quartier. En quelques mots, le préfet est mis au courant du drame. L'assassin est arrêté, gardé à vue. Il n'en demande pas plus long ; ses subordonnés ont comme de coutume, fait leur devoir sans phrases. Mais on informe encore M. Lépine qu'un sous-brigadier de gardiens de la paix, en opérant l'arrestation du coupable, a reçu une grave blessure. Il est à l'hôpital Beaujon.

Sans en attendre davantage le préfet remonte dans son automobile qui sur un ordre bref, file à grande allure vers le faubourg Saint Honoré. Le préfet va voir l'humble soldat tombé sous les coups de l'ennemi. Le voici au chevet du sous-brigadier . Il le réconforte, le remercie, l'encourage. Il sait trouer des mots qui vont au cœur de chacun, s'enquiert des besoins du blessé, de sa famille. Et à peine de retour chez lui, il se hâte de demander au ministre de l'intérieur la récompense à laquelle à droit le brave et fidèle serviteur. Et sans prendre conseil de personne, il envoie de ses propres deniers une gratification au blessé.

Le temps à passé vite. Il est près d'une heure de l'après-midi. M. Lépine expédie rapidement son déjeuner. A deux heures exactement il réintègre son bureau. Des dossiers sont là sur la table. Il les compulse, les étudie, les annote, couvrant ses pages entières et sa ferme et rapide écriture.

Mais soudain, sur un coup d’œil jeté l'horloge, il quitte son bureau, remonte chez lui, passe une redingote, se coiffe d'un impeccable huit reflets et demande sa victoria. Le roi de Grèce arrive à quatre heures, et le préfet de police est responsable de sa sécurité sur la voie publique. A l’heure exacte M. Lépine toujours affairé, arrive à la gare, salue le souverain qui s'enquiert gaiement de sa santé, le conduit à son hôtel. Une heure plus tard le préfet rentre à l'hôtel du boulevard du Palais où l'on attend pour la signature du courrier et des portefeuilles.

Il examine tout et voit tout par lui-même. Il multiplie les questions, signale une erreur, signe cent pièces. A peine aura-t-il le temps de changer de tenue pour assister au dîner que le Président de la République offre au roi Hellènes et auquel par ordre, il doit se rendre.

M. Lépine remonte chez lui. Il revêt cette fois son grand uniforme de préfet à broderies d'argent que barre de rouge le grand cordon de la Légion d'honneur et que les Parisiens ne lui ont vu porter qu'une fois sur la voie publique à l'occasion de l'arrivée du roi d'Angleterre.

Et si vif est ce diable d'homme que, parti en retard de son cabinet, il trouve encore le moyen d'arriver en avance à l'Élysée.

Dis heures et demi du soir, M. Lépine vient de rentrer chez lui, fatigué mais content. Tout s'est passé le plus heureusement du monde.

Il se dévêt se couche, s'endort.

Mais brusquement la sonnerie du téléphone retentit. Il s'éveille en sursaut.

Qu'est-ce encore ?

Allô ! allô ! Oui, c'est moi !

….......

Que dites-vous ! Un jeu grave, des victimes rue de Bercy ? J'arrive.

Rapidement le préfet de police revêt sa tenue d'incendie. Un complet de gros drap, un pardessus caoutchouté, de fortes bottines imperméables, un chapeau rond, une canne solide. Déjà l'automobile ronronne dans la cour. Et un quart d'heure après son brusque réveil, le préfet franchit la grande porte de la préfecture. Il court au feu. Il arrive sur le lieu du sinistre. On s'écarte pour le laisser passer. Il va droit où il y a un danger à courir et cela d'instinct. Il paye parfois imprudemment de sa personne mais peu lui importe le péril.

Deux heures, trois heures, quatre heures durant, il reste là dans la boue froide, sous l'eau vaporisée, parmi les cris, les heurts, les ronflements de l'incendie il ne s'en va que lorsque le feu est circonscrit. Dans ces cas extrêmes, cet homme de soixante ans ignore la fatigue.

Et quelle que soit l'heure à laquelle il s'est couché à six heures du matin il est débout.

M. Lépine n'a qu'une passion ; celle du mouvement ; qu'un culte celui de l'activité. C'est un sportsman dans l'âme. Naguère encore il montait fréquemment à cheval pour se reposer. Un accident qui faillit lui coûter la vie il y a de cela trois ans au bois de Vincennes lui a fait renoncer à l'hippisme. Il s'est mis à faire de la bicyclette, à cinquante huit ans.

Ce sexagénaire ai-je dit qu'il était né le 6 août 1846 est d'ailleurs d'une verdeur, d'une robustesse rares. Il prétend avec raison sans doute, qu'il doit ses magnifiques qualités de résistance à la vie régulière qu'il a menée. Levé tôt, il se couche tôt quand il peut le faire ; régulièrement il se met au lit à neuf heures. Quand l'insomnie le talonne, il se relève sans humeur, et part faire à pied une longue promenade ; parfois il va en pleine nuit, inspecter un poste éloigné de gardiens de la paix.

M. Lépine fut eux fois préfet de police, il occupa ce pose envie de juillet 189 à octobre 1897. Il fut conseiller d'État et gouverneur général de l'Algérie et fut ensuite réintégré ans ses fonctions de préfet de police en juin 1899.

M. Lépine débuta dans la vie comme avocat. Il eût sanas doute fait son chemin dans la carrière du barreau, car il est doué d'une vive et persuasive éloquence. Mais la carrière administrative le tentait.

Il fut nommé sous-préfet de la Police (Allier) en 1877. il compte donc trente années de services et aura conséquemment bientôt droit à la retraite.

Mais il ne compte pas la prendre de sitôt. Il se sent solide au poste, et ne désire rien tant que de continuer à servir noblement et loyalement comme il l'a toujours fait, son pays et la République.

REVUE NOS LOISIRS DU 1er MARS 1908

 

 

 

 

 

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