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APACHE ROI N° 1

22 Mai 2012, 11:00am

Publié par nosloisirs

 

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ILnous paraît indispensable d'attirer tout particulièrement l'attention de nos lecteurs sur le roman dont nous commençons aujourd'hui la publication. l'émouvante histoire DE LA JEUNE FEMME ABANDONNÉE ET TRAHIE FRAPPÉE À LA FOIS DANS SES AFFECTIONS D'AMANTE ET DANS SES SENTIMENTS MATERNELS, EST UNE DES PLUS DRAMATIQUES QUI AIENT JAMAIS ÉTÉ ÉCRITES. Et lorsque dirigée par un âpre désir de vengeance, l'héroïne devient l'âme d'une de ces redoutables associations de malfaiteurs dans les bas-fonds de la capitale les farouches instincts des hommes primitifs, la situation atteint jusqu'aux plus hauts sommets du pathétique.

Nous sommes donc avec une entière confiance au jugement de nos lecteurs, l’œuvre dans laquelle Paul Segonzac a fait parler d'une façon si passionnée l'amour et la vengeance en même temps qu'il prêtait aux grandes voix de l'honneur et du devoir les plus superbes accents.

 

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CHAPITRE UN      DEUX CHUTES

 

Mille tonnerres !

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Encore QUE TRÈS ORDINAIRE À L'ATELIER MAIS JETÉE À TOUTE VOLÉE ET SOULIGNÉE D'UN COUP VIOLENT SUR L'ÉTABLI, L'EXCLAMATION FIT SURSAUTER LES CAMARADES.

Les exclamations se croisèrent.

HÉ ! LÀ !

Ben, quoi donc ? Veuillez trouvez ci-joint nos tarifs actuels ainsi qu'une présentation de nos conditions de livraison et de paiement.

NON, MAIS... DES FOIS...

PUIS L'INTERROGATION PRÉCISE :

qu'est-ce qui te prend mon vieux Pierre ? Est-ce que tu deviendrais louf ?

Pierre s'était accoudé sur son établi et pris la tête à deux mains.

Il ne répondait rien,il semblait ne pas entendre ; mais quelqu'un l'inévitable loustic de l'atelier, lança ce trait :

Ne cherchez pas ; c'est des peines d'amour... sa déesse l'a plaqué...

L'amour la déesse... Cela, appliqué à Pierre était tellement énorme, que tout l'atelier éclata de rire.

D'ailleurs mal bâti, taillé en hercule mais déjeté une épaule plus haute que l'autre, le malheureux était, en plus, affligé d'une de ces têtes qu'une femme ne regarde jamais deux fois.

Un front trop bas, un nez trop fort, des lèvres trop grosses, des yeux bigles entre des pommettes saillantes et pour couronner cette laideur, une tignasse queue de vache poussée à la diable et rebelle en peigne et à la brosse.

Al'éclat de rire de ses camarades, pierre s'était retourné d'un bon furieux, il courait au loustic en brandissant des poings prêts à le broyer.

IL AVAIT BIEN ENTENDU IL SAVAIT POURQUOI L'ONT RIAIT.

TU DIS, TOI ?

SES POINGS ALLAIENT S'ABATTRE.

UN DES PATRONS PASSA PAR LÀ :

Ah bien ! Eh bien ! Qu'est-ce que c'est que ça ? Et à Pierre qui regagnait sa place, brusquement douché :

 Comment ! C'est vous, Dary qui fait tout ce désordre.

Et tranchant :

 En voilà assez, mon garçon !... Vous aviez bien commencé ici, on était très content de vous ; mais depuis quelques temps, je ne sais ce qui vous a pris. Vous arrivez en retard, vous partez avant l'heure et vous travaillez mal, quand vous travaillez. Ca ne peut plus marcher comme ça. Il vaut mieux nous séparer.

Un instant, Pierre Dary béa, stupide ou étourdi.

— Vous entendez ? Je vous dis qu'il vaut mieux.

Il se secoua et, de ses grosses lèvres cette réponse tomba, sourde mais sans colère, avec plutôt quelque chose d'une résignation douce

— Oui, patron... Oui, j'entends et c'est vous qui avez raison ; il vaut mieux que je quitte. Faites-moi régler. Je m'en vais. Je m'en vais tout de suite.

Il s'en allait, comme il le disait et très vite dans une hâte d'être sorti de là...

Les ouvrier se regardèrent et tous les yeux dirent la même chose :

— Ah ça... est-ce que, réellement il deviendrait louf ?

Arrivé à la caisse, Pierre Dary y touchait son dû et quittait aussitôt l'usine.

L'instant d'après, il atteignait la route de la Révolte, à deux pas de là — son usine était une de ces fabriques d'automobiles qui ont en ces dernières années, surgi de tous les terrains libres de Levallois-Perret.

La poussière d'une chaude matinée de juin tombait sous l'arrosage des cartonniers ; une fraîcheur du sol et faisait plus pénétrantes l'odeur de l'herbe verte des fortifications.

Pierre Dary respira largement comme débarrassé d'un poids qui eût écrasé sa poitrine ; il gagna la porte Champerret, se dirigeant vers la gare de Courcelles pour y prendre le train.

Il rentrait chez lui et n'habitait pas loin de là, aux Batignolles ; mais après la hâte de quitter l'atelier, une impatience d'arriver le menait.

Il arriva il escalada les cinq étages et frappa à une porte.

Une femme d'une cinquantaine d'années, taillée en force comme lui, et comme lui point belle, mais l'air ouvert et avenant, vint lui ouvrit.

Il entra.

— C'est moi... Bonjour m'man... Je viens déjeuner aujourd'hui.

— Une bonne surprise, mon grand ; mais... tu n'as pas eu d'histoires à l'atelier ?

— Non... non, m'man.

Il avait un peu hésité.

— On dirait... Tu n'as pas une figure contente...

— Heu... on pourrait l'être davantage... Il y a du chômage à l’atelier ; c'est mon tour d'inspecter les pavés ; mais te tourmente pas... quelques jours seulement.

Il tournait dans la pièce d'entrée, une salle à manger modeste mais très propre et supérieurement tenue.

Maman Dary était certainement une ménagère soigneuse et entendue.

— Qu'est-ce que tu cherches ? Demanda-t-elle en voyant Pierre fouiller du regard les autres pièces après avoir inspecté la salle à manger et la cuisine.

Il répondit gêné :

— Mlle Jacqueline n'es donc pas arrivée ?

— Non pas encore.

— C'est étonnant... Elle sort de son bureau à midi moins le quart.

— Oui, mais son bureau est rue du Sentier, à une trotte...

— Par le métro, elle en a pour vingt minutes à peine et il va être midi et demi.

— Elle aura été retardée... Mais si tu as trop faim pour attendre, tu peux te mettre à table.

Maman Dary avait regagné sa cuisine où elle achevait de préparer le déjeuner.

Pierre de s'assit pas.

— Ce n'est pas naturel, reprit-il après un silence. Je ne peux rien dire du matin puisque je ne suis jamais là ; mais je remarque que, depuis quelque temps elle est en retard tous les soirs... Il y a quelque chose là-dessous.

— Bah ! Qu'est-ce que tu veux qu'il y ait ?

— Est-ce que je sais moi. Quelque amoureux... peut-être.

— Eh ! Eh ! Elle est assez belle pour ça.. et c'est de son âge... Est-ce que ?...

Mais maman Dary ne peut achever.

Pierre avait frappé du pied.

— Je ne veux pas que tu plaisantes là-dessus ! Je le sais bien qu'elle est belle... trop belle... et qu'elle à vingt ans... et qu'on doit lui faire la cour.

— Et puis ?

Maman Dary revenait à la salle à manger et elle regardait curieusement son fils.

— Qu'est-ce que ça peut te faire à toi ? D'abord ça ne te regarde pas...

— Comment ! Ça ne me regarde pas ! Une jeune fille qu'on nous a confiée...

— Pardon ! A moi, c'est à moi qu'on l'a confiée et je suis bien tranquille et c'est pour cela que je me permet de plaisanter ; Mlle Jacqueline est le modèle des jeunes filles ; l'homme n'est pas né qui la fera dévier celle-là... et tu le sais bien, tu la connais, depuis six mois qu'elle a sa chambre ici, qu'elle a accepté que je sois quelque chose comme sa mère... sa mère à elle, la jeune fille bien élevée, presque du monde et moi, l'ouvrière de rien, la servante de sa pauvre mère qui me la confie en mourant. Et tu sais aussi comme elle est vaillante, comme elle s'est mise au travail, puisqu'il fallait travailler. Un modèle je te dis !... Sous tous les apports.

 

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— C'est vrai... c'est vrai... je le sais... balbutia Pierre.

— Alors qu'est-ce que tu vas chercher là ?

En s'avançant encore et regardant son fils dans les yeux, maman Dary articula :

— Est-ce que, par hasard, tu penserais un peu trop à elle ?

Il se recroquevilla les sourcils froncés.

— Je pense... Je pense... Je ne pense rien du tout...

— Tu fais tout aussi bien, mon grand ! Ce serait un vrai malheur.

Il se rebiffa :

— Un malheur... pourquoi donc ?

— Eh ! Parce qu'elle n'est pas pour toi, cette perle-là. Tu ne te connais donc pas, toi ? Tu ne t'es donc pas regardé ? Mais malheureux tu es laid, tu es affreux, tu fais peur. Quand je songe que c'est moi qui t'ai fait comme ça, j'ai du remords, j'ai envie de te crier : pardon ! Et je te le crie, mon pauvre Pierre, et je te supplie de ne pas m'en vouloir si tu en souffres, et surtout de ne pas t'égarer à rêver des choses impossibles.

Après le premier mouvement de révolte, Pierre avait courbé la tête.

— C'est bon … c'est bon... mâchonna-t-il en se détournant machinalement pour cacher son visage qui s'empourprait e honte, ce visage que sa ère elle-même trouvait affreux.

Mais il ne lâchait pas son idée ; il revint aussitôt.

— N'empêche qu'il faudra lui demander des explications à ta perle ! Ces retards sont inadmissibles.

En s'enlevant dans un besoin de secouer l'amertume dont sa mère venait de l'abreuver :

— Si ce n'est pas toi qui lui parles, ce sera moi ! Acheva-t-il en frappant sur la table. Moi je ne supporterais jamais ça ! Jamais ! Entends-tu ? Jamais !

— J'entends bien fit maman Dary, très calme ; même que tu parles trop fort.

— Si ça ne suffit pas, je crierai !

— Ah ! Non, je te le défends ! Tu vas te taire.

Elle perdait patience, tout de même.

— Tu ne vas pas recommencer la vie que me faisait ton père quand il avait bu.

— Je ne bois pas, moi !

— Mais il avait tellement bu, lui, que tu en as quelque chose, toi ! Et puis en voilà assez ! Tu es chez moi, toi.

— Chez toi !

Il éclata. Le sang de son père, l'alcoolisme lui monta su cerveau.

— Je suis chez moi ! J'ai ma part de tout ce qui est ici... Et la preuve...

il saisit une chaise par son dossier et la lança contre le mur ; il enleva un fauteuil comme une plume et l'envoya rejoindre la chaise ; et se jetant sur la table, il la prit à deux mains pour la culbuter.

                                                                                       (A SUIVRE LE 25 MAI)

 

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