DÉMÉNAGEURS
DÉMÉNAGEURS
Ainsi que l'a dit un bon maître :
« O mignonne, voici l'Avril !... »
Le terme approche , qui va mettre
Bien des mobiliers en péril
Vent, pluie ou grêle, rien n'arrête
Le lourd wagon , l'humble charrette
Qui servent à déménager
Les déménageurs au plus vite
S'ils viennent nous rendre visite
Recevons-les le cœur léger
Tel des paysans d'opérette,
Coiffés d'un bonnet de coton,
Ces messieurs, l'humeur guillerette,
Sont les arbitres du bon ton
Devant les portraits de famille,
Leur verve en trouvailles fourmille,
Ils poitrinent ; enflent la voix ;
Ils font d'une façon savante
Dix doigts de cour à la servante,
Et chantent des refrains grivois...
Et qu'ils montrent de fantaisie
Dans l'art d'emballer les paquets !...
Fourrageant la paille moisie,
Et sifflant parmi les hoquets,
Sur chaque chose ils font main basse.
Par leurs mains il faut que tout passe ;
Leur pouvoir est illimité ;
Et ces subodorantes gouapes
S'épongent le front de nos nappes
Et violent leur intimité.
C'est à tort que sur eux l'on daube ;
Leur paresse est citée en vain
Arrivés au travail dès l'aube,
Ils hantent le marchand de vin
Seulement lorsque midi sonne.
Dès lors, ils n'y sont pour personne
Jusques à cinq heures du soir,
Et laissent vos meubles, vos frusques,
Vos vases plus ou moins étrusques
Négligemment sur le trottoir...
Mais quand ils ont reprit haleine
(Il en ont même trop repris)
Soufflant ainsi qu'une baleine,
Ils retravaillent à tout prix...
Il faut alors les voir descendre
Le vieux Pleyel en palissandre
Brutalement, sauvagement !...
Le proverbe est vrai, quoi qu'on die,
Et mieux vaut un grand incendie
Qu'un petit déménagement.
Hugues DELORME