VOTRE OPINION ET LA NOTRE 2/2

10 Janvier 2013, 09:00am

Publié par nosloisirs

N° 30

VOTRE OPINION ET LA NOTRE

Nouveau congrès international contre le duel. Les congrès s expliquent par le plaisir qu'éprouvent un certain nombre de « personnalités sans mandat » gratifiées de permis de chemin de fer, à visiter successivement toutes les grandes ville d'Europe. Mais on n'a jamais observé que ces innocentes manifestations eussent un effet pratique. Au contraire, les congrès pacifiques de La Haye ont toujours été suivis de guerres épouvantables : Transvaal, Mandchourie, etc, etc.

Le duel disparaîtra tout seul, parce que la plupart des duellistes modernes se rendent et se rendent grotesques.

Jadis on attachait une gravité capitale à certaines offenses ; on éprouvait de fortes haines ; on gardait le culte de « l'honneur » chose indéfinissable, mystérieuse, parfois absurde, souvent admirable. Dans un duel, les adversaires ne songeaient donc qu'à leur querelle. Aujourd'hui, quatre fois sur cinq, les adversaires cherchent une réclame, et ils sont aussi préoccupés de ne pas se faire de mal que de faire du bruit.

Les gens qui se tueraient n'osent plus se battre ; pourquoi priver les autres d'un sport inoffensif.

[ O O O ]

Voulez-vous être heureux en ménage ? Tranquille à votre foyer ? N'épousez point un milliardaire.

Non seulement au bout de quelques années, ces unions trop riches aboutissent fatalement au divorce ; mais la lune de miel même est troublée.

Ainsi le comte Szechenyi avait voulu monter que, chez les Hongrois, il n'y avait pas que les tziganes capables de conquérir une forte dot. Il a pris femme à New-York dans le monde le mieux pourvu de dollars et il est venu s'installer sur les bords du beau Danube bleu pour y jouir en paix des vingt premiers millions déposés à la banque de Budapest.

Ah ! La malheureuse idée !... Les concitoyens du comte ont voulu contempler de près sa félicité, son épouse et son luxe. Ils usent de mille stratagèmes pour pénétrer dans la demeure somptueuse et faire l'inventaire du mobilier. Ils assiègent la voiture des jeunes époux dès qu'ils veulent prendre l'air. Les photographes cinématographient les moindres mouvements du couple fortuné, qui n'ose plus faire un pas sans une forte escorte de police.

Le comte espérait impressionner le vulgaire ; l'effet dépasse son attente. C'est trop de succès à la fois . Quand il aura divorcé — comme les autres — il n'épousera plus qu'une bergère.

[ O O O ]

L'Espagne avait accueilli avec enthousiasme la naissance d'un premier héritier d'Alphonse XIII. Aussi le jeune roi, qui ne veut rien négliger pour le bonheur de ses sujets, leur offre un second enfant dans l'espace d'une année. Les Espagnols ne savent plis comment exprimer leur joie.

Par les agences, l'Europe est informée que le nouveau-né recevra les prénoms de : Aime-Léopold-Alexandre-Isabelin-Henri-Albert-Alphonse-Victor-Acacio-Pedro-Paul-Marie. C'est afin d'avoir beaucoup de saints protecteurs au ciel. Dans les temps troublés où nous vivons, deux recommandations valent mieux qu'une.

On comprend la satisfaction des Espagnols, ainsi assuré de ne pas manquer de souverain, si le roi régnant et l’héritier présomptif disparaissaient. Mais nous, républicains, nous ne connaissons point ces inquiétudes. Nous sommes douze millions d'électeurs, tous également qualifiés pour la magistrature suprême ; tant qu'il en reste un, la République peut compter sur un Président. C'est ce qui nous rend si calmes en face des conjonctures les plus critiques.

Si notre opinion est aussi la vôtre, c'est qu'en France le bon sens

et l'esprit ont toujours le dernier mot.

REVUE NOS LOISIRS DU 26 JUILLET 1908

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