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PETIT BOSSU

24 Août 2011, 09:00am

Publié par nosloisirs

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P E T I T B O S S U

Nouvelle par Paul MAX

Il était tout petit et très vilain. Sa bosse lui venant aussi haut que la tête, il avait des jambes trop longues, un torse trop court, un nez pointu, des cheveux filasses, de grandes oreilles... mais des yeux très beaux. Des yeux bleus tendres et profond, noyés d'ombres, qui semblaient avoir conservé tout le charme d'un mirage ou d'un rêve de bonheur, mêlé à une infinie mélancolie ; des yeux faits pour contempler les étoiles pour pleurer d'amour.

Son nom, je ne l'ai jamais su, on l'appelait « Petit Bossu » Tout le monde le connaissait ; les gamins le suivaient en l'imitant et es belles filles qui le regarder passer, les deux poings sur leurs larges hanches, riaient aux éclats, le trouant très drôle.

Lui, leur souriait en passant et cela les amusait encore, parce que, même quand toute la figure du Petit Bossu s'épanouissait, ses yeux restaient toujours graves et songeurs.

Quel âge pouvait-il avoir ? Nul ne le sut jamais. Un beau jour, il était arrivé au village et il était alors le même qu'aujourd'hui ; les uns lui donnaient trente ans, les autres cinquante ; c'était un calendrier sans date.

Or, un dimanche, on vit quelque chose d'extraordinaire à la sortie de l'église. Petit bossu se précipita vers le bénitier, y trempa sa main toute entière et offrit de l'eau bénite à une fille du village qui s'appelait Élisa ; puis sans dire un mot, Petit Bossu sortie rapidement en bousculant les gens, traversa la place de l'église et, rouge comme une pivoine, sans répondre aux saluts et aux quolibets, rentra chez lui.

Petit Bossu avait offert de l'eau bénite !

Élisa le raconta à son amie, son amie à sa voisine, le soir, tout le village le sut.

« Petit bossu es amoureux ! Petit bossu à donné de l'eau bénite à Élisa »

On en dit tant et tant qu'Élisa se fâcha et se mit à haïr le bossu ; dans la soirée elle se rendit avec ses amies, devant le cabaret où le Petit Bossu avait coutume d'aller, et comme elle le vit, sur le seuil, buvant un verre de bière, elle lui cria de toutes se forces :

— Eh, bossu ! Si c’est ta fortune que t'as sur le dos coupe ta bosse et donne-la-moi ; c'est tout ce que j'aime de ton vilain corps.

Et toutes s'éloignèrent en riant.

Petit Bossu ne répondit rien ; sa main sur laquelle il s'appuyait, tomba sur la table, ses yeux regardèrent très loin, deux grosses larmes tombèrent avec un petit bruit dans sa bière et il s'éloigna sans finir son verre.

Depuis lors il fut très triste. Ses yeux devinrent plus graves encore et sa bouche ne sourit plus jamais.

On le voyait passer, morne et très pâle sur les routes ; les gamins ne l'imitaient plus, parce que ce n'est pas gai d'imiter la douleur et il avait l'air si malheureux, si malheureux que les belles filles, à leurs ports, n'avaient plus le courage d'en rire.

Toute une semaine se passa ainsi.

Le dimanche c'était la Kermesse du village ; toutes les rues étaient pavoisées et, sur la Grand' Place il y avait des chevaux en bois, des marchands de pains d'épice et des baraques diverses.

Dès le matin tout le village fut en branle. Les hommes, les femmes, les enfants étaient vêtus de leurs plus beaux habits et riaient à qui mieux mieux.

Or, sur la place dans un coin, plus compacte, s'amusait à regarder des hommes qui, en bras de chemise, le front baigné de sueur, essayaient d'atteindre le sommet d'un mât de cocagne où se balançaient pendus à un cerceau, un saucisson, une poupée, un revolver et d'autres objets. Les hommes montaient péniblement, peu à peu, par élan... puis tout à coup, n'en pouvant plus, ils se laissaient glisser rapidement et tombaient à terre, comme un paquet aux huées de la foule.

Déjà cinq hommes avaient essayés vainement d'atteindre les objets, quand quelque chose de très petit passa entre les jambes des spectateurs, courut droit au mât ; jeta sa veste et se mit à grimper.

Tous poussèrent un cri.

— Petit Bossu ! C'est Petit Bossu !

Lui cependant grimpait d'un mouvement égal comme si un ressort l'eût fait avancer, les yeux en l'air, sans fatigue apparente. On le regardait le monde se taisait.

Et soudain ce fut une clameur de joie, le Petit Bossu avait atteint le sommet !

Alors, rapidement, il fit tourner le cerceau, décrochât le revolver et redescendit, toujours aussi calme. Il remit sa veste, enfonça le revolver dans sa poche et s'éloigna, au milieu des compliments et des félicitations, riant pour tout de bon, tandis que ses yeux prenaient un air de détermination farouche.

Toute la journée, on put le voir, une fleur à la boutonnière , causant, riant, saluant tout le monde.

Et le soir, il alla s'installer à sa place habituelle, au cabaret où on le reçut comme l'enfant prodigue. Il prit verres aux verres, invita tout le monde et fit des plaisanteries à rendre malades de rire tous eux qui l'entouraient. Enfin pour couronner ses exploits, il cria à tue-tête :

— Garçon, une bouteille de champagne !

Du champagne, on n'en avait pas dans le petit cabaret, mais le garçon, mis en belle humeur, eut une idée ; il prit une vieille bouteille de champagne, l'emplit d'au et l'apporta au bossu.

Verre par verre, celui-ci but toute la bouteille et les gens qui passaient sur la route s'arrêtaient en riant et criaient :

— Regardez !... Petit bossu qui boit du champagne !

Quand la bouteille fut vide, Petit Bossu paya donna un franc au garçon et s'en alla en fredonnant une chanson joyeuse. Seulement au lieu de partir par la grande route, il prit un petit sentier qui tournait derrière le cabaret.

Le cabaretier qui le vit, lui cria :

— Tu as un rendez-vous, Petit Bossu !

Lui ne répondit rien et s'enfonça dans le sentier.

Une minute après, on entendit un coup de feu. Le cabaretier le garçon et des passants coururent avec des lumières dans le petit sentier.

Petit Bossu était là, dans une flaque de sang plus grande que lui, son revolver en main, ses yeux d'amoureux grands ouverts regardant les étoiles.

                                                                                 REVUE NOS LOISIRS DU 12 JANVIER 1908

 

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