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MOINEAUX SANS NID N° 51

23 Août 2011, 09:00am

Publié par nosloisirs

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51 A N N A

 

A quelque vingt kilomètres de Dieppe, se trouve Saint-Valéry-en-Caux, pittoresque petit port au bord de la Manche. Des bois de pins, au milieu desquels se cachent quelques villas, entourant ce coin charmant. L’une d’elles, construire sur une hauteur et protégée des regards indiscrets par une rangée d’arbres, recélait un mystère ...

En effet, huit ans auparavant, on avait vu entrer un homme et une femme dans cette maison, et jamais, depuis on ne les avait vus en sortir.

Chaque semaine, une étrangère descendait jusqu’au pays et remontait les provisions. Si quelques curieux l’interrogeait sur les habitants de la villa, elle détournait la tête et ne répondait pas. Cette femme ne parlait ni ne comprenait le français. Elle s’expliquait par gestes et personne n’avait jamais vu ses mains nues, car elle était toujours gantés.

Aussi, que d’histoires ne racontait-on pas sur ces étranges personnages ! Poussés par la curiosité, quelques indigènes avaient bien essayé à plusieurs reprises de voir ce qui se passait là. Vaines tentatives, car la porte ne s’était jamais ouverte devant aucun d’eux.

Qui donc habitait cette maison ?

Dans une des pièces, un vieil homme maigre, à la barbe blanche, un large front surmonté d’une belle chevelure argentée, était assis devant le balcon et regardait le paysage environnant. Ses mains reposaient sur les bras du fauteuil et ses jambes enveloppées dans une couverture de laine, restaient inertes, comme privées de vie.

A côté de lui, une jeune femme de trente-cinq ans environ appuyée au balcon, semblait contempler également le paysage. Elle devait être la proie d’une grande peine, car ses yeux reflétaient une profonde tristesse. De temps en temps, le vieillard la regardait.

— Ne sois pas triste, lui dit-il en soupirant. Bientôt tu seras libre ... et moi aussi !

— Ne dis pas cela, Vincent ! protesta la jeune femme.

Mais il hocha la tête et ajouta :

— Pauvre Anna ! Tu crois peut-être que je ne sais pas lire dans tes yeux ?

Elle fit un geste brusque et répliqua :

— Tu te trompes. Je me sens très bien ici, loin du monde. J’ai beaucoup souffert, moi aussi, et j’apprécie la tranquillité et le repos de cette retraite.

— Tranquillité ! Repos ! s’exclama le vieil homme qui, soudain, laissa tomber son menton sur sa poitrine.

— Si tu remues toujours les mêmes idées, si tu ne t’obliges pas à oublier ... fit Anna.

— Je ne peux pas ! Je ne peux pas ! murmura-t-il avec tristesse.

La jeune femme se tut. Elle se contenta de regarder son compagnon avec compassion et aussi un peu de mépris.

— Je ne peux oublier cette scène ! reprit le vieux après quelques instants de silence. Je vois encore le sang, le cadavre de cette malheureuse ... de ma victime ! le dernier regard de ses yeux qui m’accusaient, qui ...

Anna laissa échapper un soupir.

— Après tout, tu n’as fait que venger ton honneur d’époux outragé ...

Mais le vieux secoua encore une fois la tête.

— Non, non, continua-t-il j’aurais dû pardonner ! C’était ma faute ... Elle était douce, elle m’aimait, je l’ai poussée dans le précipice avec ma façon d’être, mon mépris ... Et quand je pense que, même devant les juges, j’ai encore chargé sa mémoire.

— Les juges t’ont donné raison et t’ont acquitté, observa Anna, d’un ton un peu froid.

— Erreur ! Grave erreur ! Faut-il que la société soit stupide pour m’avoir pardonné mon crime !... Quelle sorte humanité, prisonnière de ses préjugés !... Je la déteste ! J’ai horreur de vivre parmi les hommes, puisqu’ils se conduisent comme des bêtes ... Ils m’ont donné raison, ils m’ont acquitté, ils me considèrent comme un homme honnête, moi qui ai tué !

— N’importe qui aurait agi comme toi, à ta place ! répliqua la femme. Tu n’as pas à t’en repentir. Ta femme avait manqué à son devoir d’épouse et tu as lavé cette offense en la tuant, elle et son amant. Tu étais dans ton droit ...

Mais un nouveau geste de son interlocuteur l’interrompit.

— Oh ! Je t’ai déjà dit mille fois ce qu’il en était ! Je m’avais que des soupçons ... Et pas une voix ne s’est fait entendre pour la défendre ! Personne n’a dit au juge : « Cet homme avait des maîtresses, il restait plusieurs semaines sans rentrer chez lui, il avait moralement abandonné sa femme. Cet homme-là poussait le cynisme jusqu’à se vanter de ses infidélités, pour faire souffrir sa malheureuse épouse. Et quand enfin il revenait, c’était pour la maltraiter, ne lui donnant même pas le nécessaire, tandis que lui jouait et dépensait sans compter »

« Lorsqu’il la voyait pleurer, il s’amusait de ses larmes ! Il abusait de sa grande bonté. Cet homme-là n’a jamais pensé que sa femme avait droit à un peu de bonheur, à un peu d’amour, comme tous les êtres humains. Cet homme-là, Monsieur le juge, ne savait pas apprécier le trésor d’amour et de bonté que représentait sa femme ... Il était aveugle et sourd ! Parce qu’il était immensément riche, il se croyait tout permis ! »

« Par contre, sa femme étant pauvre, il ne lui accordait que le droit de pleurer et de se taire. Il exigeait qu’à ses affronts, elle n’oppose que l’honnêteté, l’amour, la soumission ... Mais de quel droit cet homme osait-il demander fidélité et vertu ? »

« Désespérément seule, elle entendit des lèvres d’un autre homme, les mots d’amour qu’elle attendait ; elle trouva auprès d’un amant, plus digne et plus tendre que son époux, l’affection et la considération que ce dernier lui refusait ... »

Anna écoutait à peine ; elle regardait au loin d’un air las. Cette scène se répétait trop souvent, pour qu’elle y prêtât encore attention. Le vieil homme ajouta encore :

— Et alors, la mort, ce barbare, ce boucher, vengea son honneur ! Son honneur ! Un honneur qu’il avait lui-même traîné dans la boue !... Mais ce fut alors qu’il compris qu’il aimait sa victime et qu’il venait de tuer l’unique amour de sa vie ...

Et le vieil homme continua de se lamenter, tandis que des larmes inondait son visage. Anna put difficilement cacher un geste de lassitude ; elle s’éloigna et alla s’appuyer à l’angle opposé du balcon.

Depuis environ huit ans, cette scène se renouvelait presque chaque jour ! Le paralytique était rongé par le remords ; tout ce qu’il disait était vrai.

Sa vie avait été celle des gens qui ne vivent que pour le plaisir, son but unique ; la satisfaction de ses caprices. Immensément riche, à la suite d’un héritage, il avait épousé une femme sans fortune qui lui plaisait et qui n’aurait jamais consenti à être sa maîtresse.

Son désir satisfait, il avait repris ses habitudes dépravées et la vue des souffrances de son épouse ne le fit nullement changer. Au contraire, on aurait dit que les larmes de la malheureuse donnaient un piment supplémentaire à ses aventures.

La vie de Geneviève fut une suite ininterrompue de chagrins et de déceptions de toutes sortes. Mais elles sont nombreuses les femmes dans son cas ! Qui n’a connu l’une de ces victimes qui supportent trahisons, mépris, mauvais traitements pendant des années, jusqu’au jour où leur amour se transforme en haine !

C’est ce qui arriva ; lassée d’un mari qui ne lui apportait que chagrins, elle voulut divorcer. Mais il s’opposa à cette demande et la pauvre fille dut continuer à vivre comme elle l’avait fait jusque là ? Seulement son cœur, devenu livre, aspirait à l’amour. Elle connu et aima un autre homme ... mais ce nouvel amour devait lui coûter la vie !

Un soir que son mari était rentré et qu’il la maltraitait, puisant la force de prendre une décision dans l’amour partagé qu’elle avait rencontré, elle abandonné le domicile conjugal. Tout naturellement, elle alla chercher aide et protection chez celui qui l’aimait. Elle n’avait pourtant jamais manqué à ses devoirs ... Si elle se réfugiait chez lui, c’est qu’elle ne savait où aller, qu’elle fuyait tout simplement la misère de sa vie, qu’elle se sentait perdue ...

Mais son mari l’avait suivie ; il la vit en compagnie de son ami. Et c’est ainsi que tous deux payèrent de leur vie un amour qui, pourtant, n’avait jamais cessé d’être pur ! Le jaloux les frappa si sauvagement que leur mort fut instantanés ...

Le tribunal accorda les circonstances atténuantes au mari que l’on crut avoir été bafoué. De plus, pour sauver sa tête, il n’avait pas reculé devant des affirmations mensongères. Lavé de son double crime il avait continué à mener la même vie auparavant ... Ce n’était qu’une apparence, car on ne sort pas indemne d’une semblable tragédie ; en vérité, en conscience ne lui laissait guère de repos.

Il essaya de voyager, il parcourut l’Europe et finit par se fixer à Paris où les distractions étaient nombreuses. Ce fut là qu’il rencontra Anna ...

Qui était donc Anna ?

C’était une femme au caractère indéchiffrable. Tant que ses parents avaient vécu, elle s’était montrée le modèle des filles. Vertueuse, courageuse, elle aimait sa famille dont elle était le soutien. En effet, ses parents n’avaient pour vivre que la modeste retraite de son père qui s’augmentait heureusement de ce qu’elle gagnait elle-même pour le compte d’une des plus fameuses modistes de Paris.

Pour que ses parents ne se fassent pas de souci à son sujet, elle chantait et riait toute la journée sans, pour cela, lever le nez de son ouvrage. Cette vie exemplaire dura tant que vécurent ses parents. Mais, à leur disparition, tout changea ...

Elle restait seule et n’avait de compte à rendre à personne. Alors, elle se dit : « Pourquoi continuer à me tuer au travail pour gagner si peu, quand d’autres ont tant d’argent avec beaucoup moins de mal ! »

Mais pourquoi cette idée, avait-elle germé dans la tête d’Anna ? Tout simplement parce qu’elle avait fait la connaissance d’une femme appelée Florence, qui étaient devenue son amie. Cette femme était actrice de variétés, puis de cinéma et avait pour amant Julien Delorme.

Fille du peuple comme Anna, Florence vivait somptueusement. Elle avait des bijoux, une magnifique maison, une voiture et, ce qui ne gâtait rien, elle était célèbre ... Quelle différence de situation entre ces deux femmes !

L’exemple qu’elle avait sous les yeux fit qu’Anna abandonna le travail qu’elle avait toujours fait et se fit danseuse. Florence l’avait aidée dans cette entreprise. Mais, loin de devenir une étoile, Anna resta une petite danseuse inconnue et mal rétribuée, toujours à la recherche d’un cachet.

Florence bonne camarade, réussissait souvent à l’imposer lorsqu’elle signait un contrat. De ce fait, elles travaillaient souvent ensemble. De plus, moralement, les deux femmes se ressemblaient ; elles étaient bonnes, capricieuses, légères, avides de s’amuser et de plaire.

Florence aimait Julien Delorme. Pourtant – et peut-être à cause de cela – elle lui faisait fréquemment de terribles scènes, car elle était jalouse. Et pourtant, Julien lui était entièrement fidèle. De plus, l’amour sincère que Florence ressentait pour Julien ne mettait aucun frein à ses demandes d’argent. Et lui en faisait toujours de plus en plus ...

Un jour arriva où Julien Delorme ne put continuer à lui en donner. Et ce fut la rupture ... Malheureux moralement et matériellement, Delorme partit pour l’Amérique dans l’espoir de refaire une fortune et d’oublier son chagrin.

Quelques mois plus tard, son ex-maîtresse mit au monde un enfant. Elle vivait difficilement à cette époque, car, attendant un bébé, elle n’avait pu continuer à travailler.

Elle rencontra alors un prince russe qui lui offrit, si elle l’acceptait, une existence fastueuse. Mais il ne voulait pas entendre parler du petit. Tout d’abord, Florence refusa. Un jour, il lui déclara :

— Je pars demain. Je serais heureux si vous consentiez à m’accompagner. Envoyez l’enfant à son père et venez avec moi !

Elle refusa encore. Puis, devant l’attrait de tant de richesse, d’un luxe qu’elle ne connaissait plus, elle céda ...

En outre, connaissant Julien Delorme, elle ne doutait pas qu’il s’intéresserait à son fils et qu’il en ferait un brave homme. Par contre, quelle vie connaîtrait l’enfant si elle le gardait avec elle ? Quels exemples lui mettrait-elle sous les yeux ?

Elle avait réfléchi toute la journée ... Prenant enfin une décision, elle appela son amie Anna et lui dit :

— Tu vas me rendre un grand service ; tu vas prendre mon fils et le mener à son père.

— Oh ! Florence, tu ne vas pas faire cela ! Et s’il refuse ?

- Il ne refusera pas, j’en suis sûre. Cet enfant sera mieux avec son père qu’avec moi. Je pars avec le prince. C’est une occasion que l’on ne rencontre qu’une fois dans sa vie, si toutefois on la rencontre !

Elle embrassa son fils, versa d’abondantes larmes, puis le posa sur les bras d’Anna. Il était temps ; le prince arrivait, prêt à partir avec ou sans elle !

Il ne reste plus à Anna qu’à accomplir la mission dont on l’avait chargée, ce qu’elle fit. A la demande de Florence, le prince avait versé à Anna une forte somme pour couvrir les frais du voyage. Et, deux jours plus tard, la messagère se présentait chez Julien Delorme. Ce fut le marquis d’Evreux qui la reçut ...

— Que voulez-vous, Madame ?

— J’ai besoin de voir monsieur Delorme, répondit Anna.

- Il est en voyage. Je suis son neveu. Peut-être pouvez-vous me dire le but de votre démarche ?

Anna hésita un instant et révéla enfin :

— Il s’agit d’une affaire très délicate qui le regarde personnellement ...

— Dites-moi ce quoi il s’agit ; vous pouvez avoir toute confiance en moi !

La jeune femme hésitait encore, mais il fallait en finir.

— Eh bien ! Monsieur, cet enfant est le fils de monsieur Delorme et, à la demande de la mère, je le lui amène.

Anselme était au courant de la vie de son oncle.

— L’enfant de Florence, n’est-ce pas ?

— Oui.

— Mon oncle ne peut s’occuper de cet enfant, Madame. Voilà huit jours qu’il est parti pour l’Amérique.

A ces mots, Anna fut boulevA quelque vingt kilomètres de Dieppe, se trouve Saint-Valéry-en-Caux, pittoresque petit port au bord de la Manche. Des bois de pins, au milieu desquels se cachent quelques villas, entourant ce coin charmant. L’une d’elles, construire sur une hauteur et protégée des regards indiscrets par une rangée d’arbres, recélait un mystère ...

En effet, huit ans auparavant, on avait vu entrer un homme et une femme dans cette maison, et jamais, depuis on ne les avait vus en sortir.

Chaque semaine, une étrangère descendait jusqu’au pays et remontait les provisions. Si quelques curieux l’interrogeait sur les habitants de la villa, elle détournait la tête et ne répondait pas. Cette femme ne parlait ni ne comprenait le français. Elle s’expliquait par gestes et personne n’avait jamais vu ses mains nues, car elle était toujours gantés.

Aussi, que d’histoires ne racontait-on pas sur ces étranges personnages ! Poussés par la curiosité, quelques indigènes avaient bien essayé à plusieurs reprises de voir ce qui se passait là. Vaines tentatives, car la porte ne s’était jamais ouverte devant aucun d’eux.

Qui donc habitait cette maison ?

Dans une des pièces, un vieil homme maigre, à la barbe blanche, un large front surmonté d’une belle chevelure argentée, était assis devant le balcon et regardait le paysage environnant. Ses mains reposaient sur les bras du fauteuil et ses jambes enveloppées dans une couverture de laine, restaient inertes, comme privées de vie.

A côté de lui, une jeune femme de trente-cinq ans environ appuyée au balcon, semblait contempler également le paysage. Elle devait être la proie d’une grande peine, car ses yeux reflétaient une profonde tristesse. De temps en temps, le vieillard la regardait.

— Ne sois pas triste, lui dit-il en soupirant. Bientôt tu seras libre ... et moi aussi !

— Ne dis pas cela, Vincent ! protesta la jeune femme.

Mais il hocha la tête et ajouta :

— Pauvre Anna ! Tu crois peut-être que je ne sais pas lire dans tes yeux ?

Elle fit un geste brusque et répliqua :

— Tu te trompes. Je me sens très bien ici, loin du monde. J’ai beaucoup souffert, moi aussi, et j’apprécie la tranquillité et le repos de cette retraite.

— Tranquillité ! Repos ! s’exclama le vieil homme qui, soudain, laissa tomber son menton sur sa poitrine.

— Si tu remues toujours les mêmes idées, si tu ne t’obliges pas à oublier ... fit Anna.

— Je ne peux pas ! Je ne peux pas ! murmura-t-il avec tristesse.

La jeune femme se tut. Elle se contenta de regarder son compagnon avec compassion et aussi un peu de mépris.

— Je ne peux oublier cette scène ! reprit le vieux après quelques instants de silence. Je vois encore le sang, le cadavre de cette malheureuse ... de ma victime ! le dernier regard de ses yeux qui m’accusaient, qui ...

Anna laissa échapper un soupir.

— Après tout, tu n’as fait que venger ton honneur d’époux outragé ...

Mais le vieux secoua encore une fois la tête.

— Non, non, continua-t-il j’aurais dû pardonner ! C’était ma faute ... Elle était douce, elle m’aimait, je l’ai poussée dans le précipice avec ma façon d’être, mon mépris ... Et quand je pense que, même devant les juges, j’ai encore chargé sa mémoire.

— Les juges t’ont donné raison et t’ont acquitté, observa Anna, d’un ton un peu froid.

— Erreur ! Grave erreur ! Faut-il que la société soit stupide pour m’avoir pardonné mon crime !... Quelle sorte humanité, prisonnière de ses préjugés !... Je la déteste ! J’ai horreur de vivre parmi les hommes, puisqu’ils se conduisent comme des bêtes ... Ils m’ont donné raison, ils m’ont acquitté, ils me considèrent comme un homme honnête, moi qui ai tué !

— N’importe qui aurait agi comme toi, à ta place ! répliqua la femme. Tu n’as pas à t’en repentir. Ta femme avait manqué à son devoir d’épouse et tu as lavé cette offense en la tuant, elle et son amant. Tu étais dans ton droit ...

Mais un nouveau geste de son interlocuteur l’interrompit.

— Oh ! Je t’ai déjà dit mille fois ce qu’il en était ! Je m’avais que des soupçons ... Et pas une voix ne s’est fait entendre pour la défendre ! Personne n’a dit au juge : « Cet homme avait des maîtresses, il restait plusieurs semaines sans rentrer chez lui, il avait moralement abandonné sa femme. Cet homme-là poussait le cynisme jusqu’à se vanter de ses infidélités, pour faire souffrir sa malheureuse épouse. Et quand enfin il revenait, c’était pour la maltraiter, ne lui donnant même pas le nécessaire, tandis que lui jouait et dépensait sans compter »

« Lorsqu’il la voyait pleurer, il s’amusait de ses larmes ! Il abusait de sa grande bonté. Cet homme-là n’a jamais pensé que sa femme avait droit à un peu de bonheur, à un peu d’amour, comme tous les êtres humains. Cet homme-là, Monsieur le juge, ne savait pas apprécier le trésor d’amour et de bonté que représentait sa femme ... Il était aveugle et sourd ! Parce qu’il était immensément riche, il se croyait tout permis ! »

« Par contre, sa femme étant pauvre, il ne lui accordait que le droit de pleurer et de se taire. Il exigeait qu’à ses affronts, elle n’oppose que l’honnêteté, l’amour, la soumission ... Mais de quel droit cet homme osait-il demander fidélité et vertu ? »

« Désespérément seule, elle entendit des lèvres d’un autre homme, les mots d’amour qu’elle attendait ; elle trouva auprès d’un amant, plus digne et plus tendre que son époux, l’affection et la considération que ce dernier lui refusait ... »

Anna écoutait à peine ; elle regardait au loin d’un air las. Cette scène se répétait trop souvent, pour qu’elle y prêtât encore attention. Le vieil homme ajouta encore :

— Et alors, la mort, ce barbare, ce boucher, vengea son honneur ! Son honneur ! Un honneur qu’il avait lui-même traîné dans la boue !... Mais ce fut alors qu’il compris qu’il aimait sa victime et qu’il venait de tuer l’unique amour de sa vie ...

Et le vieil homme continua de se lamenter, tandis que des larmes inondait son visage. Anna put difficilement cacher un geste de lassitude ; elle s’éloigna et alla s’appuyer à l’angle opposé du balcon.

Depuis environ huit ans, cette scène se renouvelait presque chaque jour ! Le paralytique était rongé par le remords ; tout ce qu’il disait était vrai.

Sa vie avait été celle des gens qui ne vivent que pour le plaisir, son but unique ; la satisfaction de ses caprices. Immensément riche, à la suite d’un héritage, il avait épousé une femme sans fortune qui lui plaisait et qui n’aurait jamais consenti à être sa maîtresse.

Son désir satisfait, il avait repris ses habitudes dépravées et la vue des souffrances de son épouse ne le fit nullement changer. Au contraire, on aurait dit que les larmes de la malheureuse donnaient un piment supplémentaire à ses aventures.

La vie de Geneviève fut une suite ininterrompue de chagrins et de déceptions de toutes sortes. Mais elles sont nombreuses les femmes dans son cas ! Qui n’a connu l’une de ces victimes qui supportent trahisons, mépris, mauvais traitements pendant des années, jusqu’au jour où leur amour se transforme en haine !

C’est ce qui arriva ; lassée d’un mari qui ne lui apportait que chagrins, elle voulut divorcer. Mais il s’opposa à cette demande et la pauvre fille dut continuer à vivre comme elle l’avait fait jusque là ? Seulement son cœur, devenu livre, aspirait à l’amour. Elle connu et aima un autre homme ... mais ce nouvel amour devait lui coûter la vie !

Un soir que son mari était rentré et qu’il la maltraitait, puisant la force de prendre une décision dans l’amour partagé qu’elle avait rencontré, elle abandonné le domicile conjugal. Tout naturellement, elle alla chercher aide et protection chez celui qui l’aimait. Elle n’avait pourtant jamais manqué à ses devoirs ... Si elle se réfugiait chez lui, c’est qu’elle ne savait où aller, qu’elle fuyait tout simplement la misère de sa vie, qu’elle se sentait perdue ...

Mais son mari l’avait suivie ; il la vit en compagnie de son ami. Et c’est ainsi que tous deux payèrent de leur vie un amour qui, pourtant, n’avait jamais cessé d’être pur ! Le jaloux les frappa si sauvagement que leur mort fut instantanés ...

Le tribunal accorda les circonstances atténuantes au mari que l’on crut avoir été bafoué. De plus, pour sauver sa tête, il n’avait pas reculé devant des affirmations mensongères. Lavé de son double crime il avait continué à mener la même vie auparavant ... Ce n’était qu’une apparence, car on ne sort pas indemne d’une semblable tragédie ; en vérité, en conscience ne lui laissait guère de repos.

Il essaya de voyager, il parcourut l’Europe et finit par se fixer à Paris où les distractions étaient nombreuses. Ce fut là qu’il rencontra Anna ...

Qui était donc Anna ?

C’était une femme au caractère indéchiffrable. Tant que ses parents avaient vécu, elle s’était montrée le modèle des filles. Vertueuse, courageuse, elle aimait sa famille dont elle était le soutien. En effet, ses parents n’avaient pour vivre que la modeste retraite de son père qui s’augmentait heureusement de ce qu’elle gagnait elle-même pour le compte d’une des plus fameuses modistes de Paris.

Pour que ses parents ne se fassent pas de souci à son sujet, elle chantait et riait toute la journée sans, pour cela, lever le nez de son ouvrage. Cette vie exemplaire dura tant que vécurent ses parents. Mais, à leur disparition, tout changea ...

Elle restait seule et n’avait de compte à rendre à personne. Alors, elle se dit : « Pourquoi continuer à me tuer au travail pour gagner si peu, quand d’autres ont tant d’argent avec beaucoup moins de mal ! »

Mais pourquoi cette idée, avait-elle germé dans la tête d’Anna ? Tout simplement parce qu’elle avait fait la connaissance d’une femme appelée Florence, qui étaient devenue son amie. Cette femme était actrice de variétés, puis de cinéma et avait pour amant Julien Delorme.

Fille du peuple comme Anna, Florence vivait somptueusement. Elle avait des bijoux, une magnifique maison, une voiture et, ce qui ne gâtait rien, elle était célèbre ... Quelle différence de situation entre ces deux femmes !

L’exemple qu’elle avait sous les yeux fit qu’Anna abandonna le travail qu’elle avait toujours fait et se fit danseuse. Florence l’avait aidée dans cette entreprise. Mais, loin de devenir une étoile, Anna resta une petite danseuse inconnue et mal rétribuée, toujours à la recherche d’un cachet.

Florence bonne camarade, réussissait souvent à l’imposer lorsqu’elle signait un contrat. De ce fait, elles travaillaient souvent ensemble. De plus, moralement, les deux femmes se ressemblaient ; elles étaient bonnes, capricieuses, légères, avides de s’amuser et de plaire.

Florence aimait Julien Delorme. Pourtant – et peut-être à cause de cela – elle lui faisait fréquemment de terribles scènes, car elle était jalouse. Et pourtant, Julien lui était entièrement fidèle. De plus, l’amour sincère que Florence ressentait pour Julien ne mettait aucun frein à ses demandes d’argent. Et lui en faisait toujours de plus en plus ...

Un jour arriva où Julien Delorme ne put continuer à lui en donner. Et ce fut la rupture ... Malheureux moralement et matériellement, Delorme partit pour l’Amérique dans l’espoir de refaire une fortune et d’oublier son chagrin.

Quelques mois plus tard, son ex-maîtresse mit au monde un enfant. Elle vivait difficilement à cette époque, car, attendant un bébé, elle n’avait pu continuer à travailler.

Elle rencontra alors un prince russe qui lui offrit, si elle l’acceptait, une existence fastueuse. Mais il ne voulait pas entendre parler du petit. Tout d’abord, Florence refusa. Un jour, il lui déclara :

— Je pars demain. Je serais heureux si vous consentiez à m’accompagner. Envoyez l’enfant à son père et venez avec moi !

Elle refusa encore. Puis, devant l’attrait de tant de richesse, d’un luxe qu’elle ne connaissait plus, elle céda ...

En outre, connaissant Julien Delorme, elle ne doutait pas qu’il s’intéresserait à son fils et qu’il en ferait un brave homme. Par contre, quelle vie connaîtrait l’enfant si elle le gardait avec elle ? Quels exemples lui mettrait-elle sous les yeux ?

Elle avait réfléchi toute la journée ... Prenant enfin une décision, elle appela son amie Anna et lui dit :

— Tu vas me rendre un grand service ; tu vas prendre mon fils et le mener à son père.

— Oh ! Florence, tu ne vas pas faire cela ! Et s’il refuse ?

- Il ne refusera pas, j’en suis sûre. Cet enfant sera mieux avec son père qu’avec moi. Je pars avec le prince. C’est une occasion que l’on ne rencontre qu’une fois dans sa vie, si toutefois on la rencontre !

Elle embrassa son fils, versa d’abondantes larmes, puis le posa sur les bras d’Anna. Il était temps ; le prince arrivait, prêt à partir avec ou sans elle !

Il ne reste plus à Anna qu’à accomplir la mission dont on l’avait chargée, ce qu’elle fit. A la demande de Florence, le prince avait versé à Anna une forte somme pour couvrir les frais du voyage. Et, deux jours plus tard, la messagère se présentait chez Julien Delorme. Ce fut le marquis d’Evreux qui la reçut ...

— Que voulez-vous, Madame ?

— J’ai besoin de voir monsieur Delorme, répondit Anna.

- Il est en voyage. Je suis son neveu. Peut-être pouvez-vous me dire le but de votre démarche ?

Anna hésita un instant et révéla enfin :

— Il s’agit d’une affaire très délicate qui le regarde personnellement ...

— Dites-moi ce quoi il s’agit ; vous pouvez avoir toute confiance en moi !

La jeune femme hésitait encore, mais il fallait en finir.

— Eh bien ! Monsieur, cet enfant est le fils de monsieur Delorme et, à la demande de la mère, je le lui amène.

Anselme était au courant de la vie de son oncle.

— L’enfant de Florence, n’est-ce pas ?

— Oui.

— Mon oncle ne peut s’occuper de cet enfant, Madame. Voilà huit jours qu’il est parti pour l’Amérique.

A ces mots, Anna fut bouleversée.

— Mon Dieu ! s’écria-t-elle. Mais alors, que vais-je faire ?

— Ne vous inquiétez pas ! la rassura le marquis. Vous pouvez laisser cet enfant ici. Je suis sûr que mon oncle sera heureux de le trouver à son retour. Il a toujours aimé Florence et, si elle avait eu un caractère plus facile, il ne l’aurait jamais quitté.

Anna soupira.

— C’est vrai ! Reconnut-elle. Cependant, je suis fort contrariée, car j’avais formellement promis à Florence de laisser l’enfant entre les mains de son père.

Le marquis eut alors un sourire un peu ironique et conseilla :

— En ce cas, vous n’avez qu’à partir à votre tour pour l’Amérique ! Mais n’ayez aucune crainte, voyons ! Je ferai, pour cet enfant, tout ce que mon oncle aurait fait lui-même. Je m’en occuperai personnellement. D’ailleurs, il m’en avait chargé. Il prévoyait qu’un jour ce qui arrive aujourd’hui se produirait et m’avait prié de remettre à la mère une certaine somme, à la condition express que personne ne sache jamais d’où venait cet enfant.

Anna, criblée de dettes, se sentit sauvée. Florence était loin, bien loin. Elle garderait le magot ... Elle n’hésita plus !

— En ce cas, dit-elle, je ne vois aucun inconvénient à vous laisser l’enfant ... Florence vous sera très reconnaissante de ce que vous ferez pour elle, car, en ce moment, elle se trouve dans une situation très précaire, presque la misère.

— Inutile de me le dire ! Ironisa Anselme. Donnez-moi l’enfant et attendez-moi un instant.

Il prit le bébé dans ses bras, sortit de la pièce et revint quelques instants plus tard, apportant à Anna une liasse de billets de banque ...

— Voilà, dit-il. Il est inutile de vous recommander, je pense, le plus grand secret sur cette affaire. Mon oncle désire que l’on ignore toujours qui est la mère de son fils.

Anna promit ... Et c’est fort satisfaite qu’elle quitta cette maison. L’argent reçu était pour elle ! Florence n’en avait pas besoin, puisqu’elle était avec son prince russe ... D’ailleurs, elle serait bien en peine de lui faire parvenir, elle ignorait son adresse ...

Mais Anna ne paya pas ses dettes ! Elle changea de domicile, se refit une garde-robe et retrouva du travail. Pour commencer, cela n’alla pas trop mal, mais, elle dépensait plus qu’elle ne gagnait, elle ne tarda pas à se retrouver sans argent. Cependant, elle avait rencontré un homme fort riche, dont elle était devenue l’amie ; cet homme n’était autre que Vincent Leroux. Anna connut, à cette époque, deux années fort agréables.

Cependant, Vincent était souvent triste et ses moments de mélancolie devenaient de plus en plus fréquents. Aux questions d’Anna, il opposait des réponses évasives. Mais la jeune femme comprenait qu’il était rongé par une douleur secrète.

Cela dura jusqu’à un certain soir, où étant un peu ivre, Vincent se mit à pleurer désespérément. Anna, bonne fille qui l’aimait bien, essaya de le consoler, le résultat fut désastreux ; la tendresse de cette femme sembler augmenter son chagrin.

Traversant une vraie crise de désespoir, il lui raconta le drame de sa vie. Anna en fut bouleversée. Et elle se sentit liée à lui par ce secret et le remords qu’il en éprouvaitersée.

— Mon Dieu ! s’écria-t-elle. Mais alors, que vais-je faire ?

— Ne vous inquiétez pas ! la rassura le marquis. Vous pouvez laisser cet enfant ici. Je suis sûr que mon oncle sera heureux de le trouver à son retour. Il a toujours aimé Florence et, si elle avait eu un caractère plus facile, il ne l’aurait jamais quitté.

Anna soupira.

— C’est vrai ! Reconnut-elle. Cependant, je suis fort contrariée, car j’avais formellement promis à Florence de laisser l’enfant entre les mains de son père.

Le marquis eut alors un sourire un peu ironique et conseilla :

— En ce cas, vous n’avez qu’à partir à votre tour pour l’Amérique ! Mais n’ayez aucune crainte, voyons ! Je ferai, pour cet enfant, tout ce que mon oncle aurait fait lui-même. Je m’en occuperai personnellement. D’ailleurs, il m’en avait chargé. Il prévoyait qu’un jour ce qui arrive aujourd’hui se produirait et m’avait prié de remettre à la mère une certaine somme, à la condition express que personne ne sache jamais d’où venait cet enfant.

Anna, criblée de dettes, se sentit sauvée. Florence était loin, bien loin. Elle garderait le magot ... Elle n’hésita plus !

— En ce cas, dit-elle, je ne vois aucun inconvénient à vous laisser l’enfant ... Florence vous sera très reconnaissante de ce que vous ferez pour elle, car, en ce moment, elle se trouve dans une situation très précaire, presque la misère.

— Inutile de me le dire ! Ironisa Anselme. Donnez-moi l’enfant et attendez-moi un instant.

Il prit le bébé dans ses bras, sortit de la pièce et revint quelques instants plus tard, apportant à Anna une liasse de billets de banque ...

— Voilà, dit-il. Il est inutile de vous recommander, je pense, le plus grand secret sur cette affaire. Mon oncle désire que l’on ignore toujours qui est la mère de son fils.

Anna promit ... Et c’est fort satisfaite qu’elle quitta cette maison. L’argent reçu était pour elle ! Florence n’en avait pas besoin, puisqu’elle était avec son prince russe ... D’ailleurs, elle serait bien en peine de lui faire parvenir, elle ignorait son adresse ...

Mais Anna ne paya pas ses dettes ! Elle changea de domicile, se refit une garde-robe et retrouva du travail. Pour commencer, cela n’alla pas trop mal, mais, elle dépensait plus qu’elle ne gagnait, elle ne tarda pas à se retrouver sans argent. Cependant, elle avait rencontré un homme fort riche, dont elle était devenue l’amie ; cet homme n’était autre que Vincent Leroux. Anna connut, à cette époque, deux années fort agréables.

Cependant, Vincent était souvent triste et ses moments de mélancolie devenaient de plus en plus fréquents. Aux questions d’Anna, il opposait des réponses évasives. Mais la jeune femme comprenait qu’il était rongé par une douleur secrète.

Cela dura jusqu’à un certain soir, où étant un peu ivre, Vincent se mit à pleurer désespérément. Anna, bonne fille qui l’aimait bien, essaya de le consoler, le résultat fut désastreux ; la tendresse de cette femme sembler augmenter son chagrin.

Traversant une vraie crise de désespoir, il lui raconta le drame de sa vie. Anna en fut bouleversée. Et elle se sentit liée à lui par ce secret et le remords qu’il en éprouvait

( A SUIVRE LE 26 AOUT )

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