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MOINEAUX SANS NID N° 53

29 Août 2011, 09:00am

Publié par nosloisirs

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53 COMEDIENS OU PRUDENT

 

Valérie Labeille était folle de désespoir. La menace d’Eugène Michonneau était pour elle une insupportable obsession. De plus, Valérie était toujours sans nouvelles de la petite Mireille. Et, comme si tout cela ne suffisait pas, sa situation pécuniaire devenait de plus en plus précaire.

D’autre part, malgré ses inquiétudes, malgré toutes ses angoisses, l’amour que lui avait inspiré Robert Montpellier ne cessait de croître. Et il fallait qu’elle renonçait à lui ! Sa dignité lui ordonnait de le repousser. Elle redoutait la honte d’une seconde erreur !

Jean Marigny vivant, Valérie ne pouvait pas épouser Robert ! Si, malgré cela, elle acceptait l’amour de cet homme, tout le monde aurait d’elle l’opinion que son père avait exprimée en ce jour malheureux où il l’avait vue momentanément abandonnée à sa nouvelle passion.

« Non ! Non ! Se disait la malheureuse, le cœur plein d’angoisse. Je veux démontrer au monde entier que je suis une femme honnête ! Je veux me réhabiliter aux yeux de tous, afin que mon père puisse me serrer de nouveau dans ses bras. Ce n’est pas seulement son bonheur que je veux reconquérir, c’est aussi l’affection de mon père !

« Ah ! Comme je serai heureuse le jour où je pourrai enfin effacer la tache dont est souillée ma réputation !... Or, il n’y a qu’un moyen de reconquérir son honneur, il n’y a qu’un homme qui puisse me le rendre : c’est Jean. Mais, après ce qui s’est passé entre nous, il refusera, bien sûr ! Il est si lâche, si vil, si méchant, si pervers ...

« Et si je l’y contraignais ? Si je le menaçais de le dénoncer comme l’auteur de ce crime ?... Il prendrait peur, alors ! Il serait bien obligé de signer une lettre par laquelle il reconnaîtrait m’avoir déshonorée en faisant usage de son pouvoir hypnotique.

« Oui, c’est ma seule ressource ! Il sait que je suis sûre qu’il est l’assassin de cette pauvre femme. Quand il me verra bien décidée à le dénoncer, peut-être cédera-t-il.

Ayant pris cette naïve résolution que lui inspirait son désespoir, la jeune femme s’habilla pour sortir.

Elle vivait dans une pension de famille des plus modestes. Elle ne quittait presque jamais sa chambre, sinon pour aller chercher un repas frugal qu’elle prenait sur un coin de table. Cependant, elle avait l’impression que, dans cette maison, il ne passait des choses étranges, toute la nuit, on entendait des allées et venues ; des gens tenaient à voix basse de mystérieuses conversations ; souvent on entendait une femme – toujours la même – qui pleurait ...

Valérie donc, s’apprêtait à sortir quand la propriétaire de la pension de famille entra dans sa chambre.

— Vous sortez, Mademoiselle ?

— Oui, Madame ; je serai de retour pour l’heure du dîner.

— C’est que je ... Commença la femme d’une voix hésitante.

— Vous avez quelque chose à me dire ? S’enquit aimablement Valérie.

— Je voudrais que vous m’écriviez une lettre.

— Vous ne savez donc pas écrire ?

— Si, mais difficilement, soupira l’autre. Et, comme il s’agit d’une lettre très importante ...

— Elle ne sera pas trop longue, au moins ? s’informa Valérie, déjà à demi consentante.

— Comme ci, comme ça ! Dit l’hôtelière en faisant un geste vague de la main.

— C’est que je suis bien pressée ; elle est vraiment urgente, votre lettre ?

— Oui, assez urgente. Il s’agit de ma fille. Vous n’êtes pas au courant ?

— Non. Que lui arrive-t-il à votre fille ? Je ne la connais même pas.

La femme poussa un douloureux soupir et expliqua d’un ton pathétique :

— Elle est très malade. Il lui faut des soins coûteux que mes moyens ne me permettent pas de payer ... Et, comme elle a toujours son père, il est juste que celui-ci lui donne de quoi se faire soigner ; n’est-ce pas votre avis, Mademoiselle ?

— Vous avez raison ! Répondit Valérie. Mais que lui a ordonné le médecin ?

— Des médicaments très chers ! Soupira la logeuse. Une alimentation substantielle, du repos et un séjour à la campagne ... Tout cela n’est guère dans les moyens d’une pauvre femme comme moi. Vous ne pouvez pas savoir ce que j’ai dépensé pour elle. Je l’ai fait examiner par les meilleurs médecins ... Il y en a qui m’ont demandé jusqu’à dix mille francs par visite !... Malheureusement, aucun n’a pu découvrir la source de son mal et ma pauvre enfant ne cesse de dépérir. A présent, on essaye de la soigner par l’hypnotisme. Vous savez ce que c’est, n’est-ce pas ? Mais je ne crois pas que cela donne grand résultat.

— On l’hypnotise ? demanda Valérie, prise d’une étrange curiosité.

— Oui, Mademoiselle. Une fois par semaine, expliqua la femme.

— Ici ou dans une clinique ?

— Ici même ! Ma pauvre enfant ne peut pas sortir. Elle est pleine de manies, d’obsessions bizarres. En outre, elle fait un spiritisme. Et, comme le médecin m’a bien recommandé de ne pas la contrarier, je la laisse s’y adonner. Presque toutes les nuits, des spirites se réunissent chez moi. Ils disent que ma fille est un bon médium.

— C’est ainsi qu’ils passent des nuits entières à faire tourner un guéridon en évoquant les esprits ... A vrai dire, je n’ai rien vu. Quand au guéridon, je crois que ce sont eux qui le font bouger sans s’en apercevoir.

— Quand doit venir le médecin qui hypnotise votre fille ? demanda Valérie avec une inexplicable appréhension.

— Aujourd’hui. Il ne va d’ailleurs pas tarder à arriver.

La jeune femme réfléchit quelques instants, puis déclara :

— En ce cas, je ne sors pas ! Je veux le consulter. En attendant, je vais écrire votre lettre.

Et l’hôtelière dicta à Valérie une lettre douloureuse adressée à son mari. C’était semblait-il, un individu peu estimable qui l’aurait laissée dans la gêne, bien qu’il eût une bonne situation.

Un peu plus tard, le médecin arriva, Valérie lui demanda la permission d’assister à la séance d’hypnotisme. Elle était toute tremblante à la pensée de voir pratiquer sur une autre ce que Jean Marigny lui avait fait. Une idée nouvelle commençait à germer dans son esprit et cette idée allait peut-être la sauver ...

La fille de la tenancière de la pension était une personne d’environ vingt-cinq ans, plutôt grasse que maigre, plutôt laide que jolie. Elle n’avait pas de faciès caractéristique des neurasthéniques. Elle ressemblait plutôt à une petite bourgeoise satisfaite de la vie. Non, elle ne donnait pas l’impression d’une grande malade ! Elle accueillit Valérie cordialement avec, dans la voix, une certaine langueur qui aurait pu passer pour romantique.

Quand au médecin, c’était un homme assez ordinaire. Il n’y avait rien d’original dans son visage qui aurait pu être aussi bien celui d’un personnage de talent que celui d’un individu médiocre.

A peine eut-il regardé la malade que celle-ci donna tous les symptômes du sommeil hypnotique. D’une voix presque imperceptible, le médecin lui imposa toutes ses volontés ; il lui fit faire divers actes saugrenus, tels que verser de l’eau dans un verre, faire sept fois le tour de la table, déclarer qu’elle avait mal au pied droit. Il cherchait sans doute à étonner Valérie Labeille.

Après ces divers préliminaires, il proféra cet ordre d’un ton autoritaire :

— Guéris ! Je veux que tu guérisses ! Tu n’as plus mal à la poitrine ! Voyons, ta poitrine te fait-elle encore mal ?

La malade secoua la tête et répondit d’un ton neutre :

— Non.

— Aujourd’hui, tu mangeras de bon appétit, je le veux !

— Oui, je mangerai ...

— De la viande ! Continua l’hypnotiseur, plus impérieux que jamais, beaucoup de viande ! De la viande à peine cuite !

— Oui.

— Et maintenant, dis à Madame quelle maladie tu as.

La patience se tourna vers Valérie et se mit à énumérer toute une série de maladies dont la jeune femme n’avait jamais entendu parler. Finalement, l’hypnotiseur la réveilla.

Alors, Valérie le pria de venir la retrouver dans sa chambre car elle désirait le consulter. Ce que le médecin ne manqua pas de faire quelques minutes plus tard.

— Qu’est-ce qui ne vas pas Mademoiselle ? lui demanda-t-il.

Valérie répondit :

— Rien, Docteur ! Je vais parfaitement bien, mais je désire être délivrée d’un doute.

— Je suis à votre disposition mais, avant tout, je dois vous avertir que la séance à laquelle vous venez d’assister n’était qu’une farce !

— Une farce ?

— Parfaitement, Mademoiselle ! Cette petite sotte n’est pas malade, et si vous croyez qu’elle s’est laissée suggestionner, vous vous trompez !

— Je ne vous comprends pas ! Murmura Valérie, très étonnée. Car enfin, pourquoi vous prêtez-vous à une telle comédie ?

— C’est très simple ; jusqu’à ce jour, je n’étais pas encore sûr d’avoir à faire à une simulatrice. Cette demoiselle est tout bonnement une paresseuse qui ne veut pas travailler. Elle fait tout son possible pour que sa mère demande de l’argent à son père ... Et, maintenant, Mademoiselle, je vous écoute !

Valérie exposa son cas. Le médecin réfléchit quelques instants.

— C’est bon, dit-il, nous verrons ! Mais, avant tout, pas de mensonges, n’est-ce pas ?

— Docteur, je vous ai dit la vérité ! Affirma Valérie Labeille.

Le médecin sourit et reprit :

— Il m’est bien facile de m’en assurer ...

Il se leva, regarda fixement Valérie et braqua deux doigts vers les yeux de celle-ci.

— Déshabillez-vous ! Ordonna-t-il brusquement.

La jeune femme ne bougea pas.

— Déshabillez-vous, je vous l’ordonne ! Répéta-t-il d’un ton encore plus impérieux.

Alors, Valérie ôta sa robe ; elle était en combinaison ...

— Je veux que tu sois à moi ; ordonna encore le médecin. Tu le seras ?

Valérie fit un signe de tête négatif. Le médecin la fixa intensément. Les yeux brillant d’un étrange éclat, il proféra ces mots :

— Je te l’ordonne ! Approche-toi !

Valérie fit deux pas vers lui !... Alors, il fit quelques gestes rapides et la jeune femme se réveilla.

Quand elle se rendit compte de sa tenue légère, elle poussa un cri et courut se cacher derrière un paravent. Mais le médecin l’arrêta avec un sourire rassurant.

— Ne vous inquiétez pas, Mademoiselle, dit-il. N’oubliez pas que vous êtes devant un médecin ! A présent, je suis convaincu que vous m’avez dit la vérité. Rhabillez-vous et cessez de rougir ! Devant un médecin, on n’a pas de fausse pudeur.

Et, tandis que Valérie remettait sa robe, il ajouta :

— Vous n’êtes pas une comédienne comme la fille de votre logeuse à qui je ne tarderai pas à dire son fait. En outre, votre cas m’intéresse. Asseyez-vous, nous allons en parler.

La jeune femme obéit machinalement. Les effets de l’influx hypnotique n’étaient pas encore entièrement dissipés.

— Vous êtes plus sensible que je ne le croyais ! déclara le praticien. J’ai évalué immédiatement votre influençabilité. Très bien ! Et, maintenant, je vais essayer de vous expliquer votre cas ; vous avez sûrement connu de ces ivrognes invétérés qui sont toujours sons l’effet de l’alcool ...

Elle fit un signe affirmatif et il poursuivit :

— Il suffit à des malheureux de prendre un verre pour être complètement gris ! Ce cas-là est le vôtre !

— Mais, je ne bois pas, Docteur ! Protesta Valérie.

— Je le sais bien ! J’ai fait usage de cette comparaison pour vous faire comprendre que la pratique répétée de la suggestion hypnotique sur un individu y rend celui-ci beaucoup plus sensible que les autres. Vous saisissez, maintenant ?

— Oui, répondit-elle en souriant. Je saisi très bien !

— Cet homme vous avait si bien suggestionnée, poursuivit le médecin, qu’il vous tenait à la merci de sa volonté, sans même avoir besoin de s’approcher de vous. C’est ainsi que, de loin, par simple télépathie, il réussissait à vous hypnotiser.

— C’est vrai ! s’écria la malheureuse en pâlissant.

— Et c’est là le plus grand crime qu’un homme puisse commettre ! L’hypnotiseur sans conscience est le plus dangereux des malfaiteurs.

Il y eut une courte pause puis, Valérie demande timidement.

— Vous avez raison, Docteur ! Et maintenant, dites-moi ...

— Tout ce que vous voudrez ! Proposa le médecin avec bonté. Je suis ici pour vous servir et, cela à titre purement amical, car vous ne devez pas être riche pour habiter dans cette pension de dernier ordre !

La jeune femme soupira :

— Je vous remercie infiniment, Docteur ! dit-elle à voix basse. Ce que je voudrais surtout, c’est que vous me disiez si un médecin en voyant un homme peut dire si celui-ci possède ou non un pouvoir hypnotique.

Le médecin hocha la tête :

— Cela, non, Mademoiselle, répondit-il.

— En ce cas, je ne pourrai jamais me justifier ! s’exclama Valérie, vivement déçue.

— Pour l’instant, reprit le médecin, nous savons que vous êtes un bon sujet pour ce genre d’expérience. C’est déjà un point d’acquit.

— Mais, murmura Valérie, cela ne prouve pas que ce soit cette canaille qui m’a suggestionnée !

— Non, certes ! Mais il y a un proverbe qui dit : « Qui a bu boira » Vous pouvez donc être sûre que, tôt ou tard, cet individu fera d’autres victimes.

Une lueur d’espoir passa ans les yeux de Valérie.

— Alors, ce qu’il faudrait, c’est lui tendre un piège afin de le prendre sur le fait.

Sur ces mots, le médecin se leva tendit la main à la jeune femme et dit :

— Vous pouvez compter sur moi, Mademoiselle, dit-il. J’aurai beaucoup de plaisir à démasque ce sinistre individu. Et maintenant, je retourne auprès de votre logeuse. Quand à sa fille, le seul médicament dont elle ait besoin, c’est une bonne correction ! Cela lui fera passer ses malaises et lui rendra de l’appétit.

Le médecin sortit, laissant Valérie toute pensive.

« Quel homme étrange ! se dit-elle. Sa sincérité me fait pas de doute !... En tout cas, il m’a suggéré une bonne idée ; oui, je vais surveiller Jean et je tâcherai de découvrir s’il n’est pas en relation avec quelque malheureuse à laquelle il ferait subir le même sort qu’à moi. En ce cas, je n’aurais plus qu’à le faire prendre en flagrant délit par le médecin et les gens devront bien se rendre compte que je n’ai pas menti.

Valérie joignit les mains, leva les yeux au ciel et se mit à prier ardemment.

— Mon Dieu ! Mon Dieu, sauvez-moi ! Rendez-moi mon honneur ! Faites que je puisse me présenter la tête haute devant mon père et devant Robert, car je l’aime de toute mon âme. Seigneur ! Seigneur ! Rendez-moi digne de lui !

 

( A SUIVRE LE 01 SEPTEMBRE )

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