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MOINEAUX SANS NID N° 293

19 Août 2013, 09:00am

Publié par nosloisirs

CHAPITRE-293--.jpegDans le village des soldats montaient la garde autour de la Mairie où siégeait l’Etat-major ennemi et où avait été enfermé Montpellier jusqu’à son exécution qui devait avoir lieu dans la cour de l’hôpital militaire.

L’aube éclairait faiblement le village, augmentant l’aspect tragique des événements.

De gros nuages gris s’étiraient dans un ciel menaçant et une pluie fine et pénétrante commençait à tomber.

La patrouille avança encadrant le condamné qui témoignait d’un grand calme. Robert avait l’impression que les gouttes de pluie qui tombaient sur lui étaient autant de larmes versées sur son malheureux destin.

Le prêtre, tout près de lui ne cessait de l’encourager.

— Adressez votre pensée à Dieu, mon fils.

En terminant cette exhortation, il lui glissa un crucifix entre les mains.

Robert sourit tristement en murmurant :

— Merci, mon père.

Il porta la croix à ses lèvres et y posa un baiser fervent.

Maintenant, ils étaient face au peloton d’exécution qui attendait prêt à tirer.

On mit le prisonnier contre un mur. Le prêtre restait toujours près de Robert.

Un sergent s’approcha un bandeau dans une main. Mais le jeune homme le refusa d’un geste énergique :

— Non ! Je veux voir la mort en face !

Il fixa le peloton, tandis que l’aumônier murmurait des paroles de réconfort et s’éloignait de quelques mètres.

Le jeune artiste suivit les gestes des soldats qui lui faisaient face, attendant l’ordre impitoyable de leur lieutenant. Robert réalisa avec soulagement que toute peur l’avait quitté. Il ne ressentait qu’une sorte de stupeur, comme l’étrange impression d’assister à un spectacle invraisemblable ... et pourtant !

L’instant suprême arrivait pour Robert Montpellier, allias Fuchs ...

Sur l’ordre sec de leur officier, les soldats du peloton portèrent leurs fusils à l’épaule.

Tous attendaient que la décharge couchât l’infortuné jeune homme. A l’instant précis où le lieutenant s’apprêtait à crier l’ordre décisif, le son aigu d’une trompette déchira le silence qui régnait en ce triste matin.

Stupéfait, l’officier tourna la tête, il ordonna à ses hommes de reposer leurs armes.

Robert regarda dans la même direction et se mit à trembler de tous ses membres ... Il venait d’apercevoir Valérie Labeille qui, un papier à la main, se dirigeait en courant vers l’officier commandant le peloton et le lui remettait.

Le lieutenant le parcourut des yeux, sourit à la jeune femme, puis s’adressa à Robert :

— Vous êtes gracié !

— Gracié ?

— Oui ! Lisez, ajouta l’officier en lui tendant la feuille.

Le jeune homme prit rapidement connaissance des quelques lignes tracées, en proie à un tremblement nerveux et dominant difficilement une irrésistible envie d’éclater en sanglots.

Valérie ! Valérie était là, lui portant sa grâce ! Que signifiait cet incroyable mystère ?

Il ne put se poser plus longtemps cette merveilleuse question. Il fut reconduit dans la cellule qui lui servait de prison.

Resté seul, il se demanda quel fait aussi inattendu qu’incroyable avait pu se produire.

Vers dix heures du matin, sa porte s’ouvrit et le colonel du régiment allemand entra. En l’apercevant, Robert se mit au garde à vous.

— Fuchs ! Lui dit l’officier, ce n’est pas moi que vous devez remercier !

— Mon Colonel ! S’écria le jeune homme, qui donc a pu obtenir ma grâce ?

— Un ange ! Un véritable ange du ciel !

— J’aurais dû m’en douter ! Murmura Montpellier comme s’il se parlait à lui-même.

— Nous reprendrons cette conversation tout à l’heure, reprit le colonel. Pour le moment, suivez-moi !

— Est-ce que je ... je suis libre ? Bredouilla Robert d’une voix mal assurée.

— Oui ! Venez !

L’officier le précéda dans le couloir et Robert le suivit, croyant rêver. Un instant après, ils pénétraient dans le bureau du commandant du régiment.

— Fuchs ! Expliqua ce dernier, hier soir, un peu avant minuit, j’ai reçu la visite d’une infirmière de l’hôpital.

— Valérie ! S’écria Montpellier bouleversé.

— Oui, un ange ! Un ange descendu sur terre, ajouta l’officier avec émotion, et qui ressemble tellement à ma chère petite fille !

— En effet, mon Commandant, c’est un être réellement exceptionnel, affirma Robert avec orgueil.

— Je n’en doute pas ! Reconnut l’Allemand.

Le jeune artiste lui adressa un regard rempli de reconnaissance.

— Cette femme délicieuse, reprit l’officier, m’a parlé comme à un père et m’a produit une profonde émotion.

Robert écouta le commandant avec la plus grande attention.

— Elle m’a confié toute votre histoire. Je lui ai indiqué ce qu’elle devait faire pour vous secourir, expliqua l’officier.

Robert tressaillit. Voyant que le commandant s’arrêtait de parler, il lui demanda :

— Et après, mon Commandant ?

— Oui, Montpellier, vous ne me devez aucune reconnaissance. Je vous l’ai déjà dit, reprit l’Allemand.

Le jeune artiste le dévisagea, effrayé.

— Comment ? Vous ... vous savez que ...balbutia-t-il en pâtissant intensément.

— Je vous répète que je savais qui vous étiez, répondit l’autre.

— Ce n’est pas possible ! S’exclama Robert.

— Ne craigniez rien, dit l’officier avec douceur. Vous pouvez me considérer comme un ami !

— Mon Commandant ! Murmura Montpellier ne sachant plus que penser.

— Et n’oubliez pas que vous n’avez pas à me remercier !

— Pourtant, mon Commandant, sans votre aide, je serais mort en ce moment ! Reprit Robert.

— Peut-être cela aurait-il été préférable pour vous ! Répliqua tristement l’officier.

Robert fut complètement déconcerté par ces paroles qui renfermaient une menace étrange et terrible. Cet homme disait être son ami, connaissant sa vie. Il lui affirmait qu’il était gracié, mais que sa mort eût été préférable ! Que signifiait un tel mystère ?

— Mon Commandant, reprit Montpellier, hésitant vous ... vous regrettez d’être intervenu pour moi ?

— C’est cela même, mon ami ! Affirma l’officier tristement.

— Je ... Je ne comprends réellement pas !

— Ne vous ai-je pas dit que vous devez votre vie à un ange ?

— Mon Dieu ! Où est Valérie ? S’écria soudain Robert.

— Je n’en sais rien, répondit l’officier en baissant la tête, tandis qu’une horrible angoisse envahissait le jeune artiste.

— Mon Commandant, s’exclama-t-il que se passe-t-il ? et par quel mystère m’avez-vous arraché à la mort ?

L’officier allemand le fixa longuement, puis murmura d’une voix rauque et infiniment triste :

² Je suis un soldat qui désire la victoire de son pays, mais je hais la guerre !

— Je vous comprends, mon Commandant, cependant ...

— La guerre, continua l’officier, est la pire de toutes les calamités terrestres et je crois que celle-ci dépasse en horreur les précédentes !

— Je partage entièrement votre avis, mon Commandant, affirma Montpellier, tout en se demandant où voulait en venir son étrange interlocuteur.

— Pour le moment, laissons de côté tout bavardage inutile et arrivons-en au fait qui nous intéresse, reprit d’une voix décidée l’Allemand.

— Je vous écoute, mon Commandant, et je vous supplie de me parler de mademoiselle Labeille.

— Entendue, puisque vous y tenez. Cette jeune femme est venue me trouver après son service à l’hôpital, alors qu’il était plus de minuit.. Elle m’a supplie d’intervenir en votre faveur.

— Chère Valérie ! Murmura Robert bouleversé.

— Elle me demandait l’impossible, comme vous pouvez le comprendre !

— En effet !

— J’avais devant moi un être éploré qui me rappelait ma chère petite fille morte ! Continua l’officier dont la voix s’étrangla brusquement.

Robert était suspendu à ses lèvres.

— Cette infortunée reprit l’officier, me raconta sa si triste vie ... Très ému, je lui conseillai d’aller plaider votre cause auprès du général en chef qui seul pouvait lui accorder votre grâce ...

— Et après ? Insista Montpellier.

— J’avais pensé que cette dé »marche serait sans résultat ... mais je me trompais !

— Ah ! Murmura Robert déconcerté.

— Mademoiselle Labeille fut reçue par le général en chef et ne le quitta qu’après avoir obtenu votre grâce, acheva-t-il dans un souffle.

— Mon Dieu ! S’exclama Robert, la gorge sèche.

— Je l’attendais et naturellement je l’interrogeai avec impatience dès que je l’aperçus. Elle ne me répondit pas ! continua-t-il avec effort, mais à l’expression désespéré de ses yeux, je compris ce qui c’était passé !

Robert poussa un cri.

— Je n’ignore pas que le général est un homme cruel et sans scrupules ... ajouta l’officier.

Montpellier n’en entendit pas davantage et se précipita vers la porte comme un fou, mais le commandant le saisit par un bras.

— Attendez ! Ordonna-t-il énergiquement.

— Mon Commandant !

— Où voulez-vous aller ?

— Je veux interroger Valérie ! Répondit Robert d’une voix blanche. Je tiens à savoir quel a été le prix de ma grâce !

— Ne faites jamais une chose pareille ! Intervint l’officier.

Robert essaya de se libérer de son étreinte.

— Ne perdez pas la tête, Montpellier ! Calmez-vous !

— Mon Commandant, je ne ...

— Il faut vous calmer ! J’ai encore une chose à vous dire ! Poursuivit l’officier.

— Mon Dieu ! Que puis-je entendre de plus ? S’écria le malheureux avec un accent désespéré.

— Une chose qui vous intéresse et vous concerne, affirma son interlocuteur.

Le visage du jeune homme se crispa et pâlit intensément.

— Tâchez de vous reprendre, mon ami, et écoutez-moi attentivement.

— Oui, mon Commandant, répondit le jeune artiste en levant sur lui des yeux remplis d’une douleur indicible.

— Vous souvenez-vous de la mission dont je vous avais chargé il y a deux jours ? Reprit l’officier supérieur.

— Certainement, mon Commandant, répondit Montpellier, vous désiriez que je parte en vol de reconnaissance, afin d’exécuter le croquis détaillé de certains points stratégiques.

— C’est cela même,n approuva l’officier, mais vous m’aviez répondu que vous ne saviez pas piloter, alors que je suis convaincu du contraire.

— C’est vrai, reconnut Robert.

— Demain, c’est vous qui piloterez un appareil accompagné d’un opérateur chargé de prendre des photos.

— Bien, mon Commandant, répondit Robert, étonné du tour que prenait la conversation.

— Cet opérateur sera monsieur Michel Labeille, le père de cette merveilleuse jeune femme, dit l’officier en fixant Montpellier.

— Comment ? S’exclama Robert, complètement ahuri.

— Est-ce que vous commencez à comprendre ? Murmura l’officier.

— Je ... je crois ! Bredouilla Robert dont le cœur se gonflait d’un espoir insensé.

— Vous en êtes sûr ? Interrogea le commandant avec un douloureux sourire.

— Valérie aussi sera sur cet avion ?

— Portant une tenue de soldat ! Expliqua l’officier, afin que nul n’empêche sa fuite !

— Merci, mon Commandant, murmura Robert d’une voix que l’émotion étranglait.

— Et une fois partie ... le monde est grand ... et il y a également la Providence !

Bouleversé, Robert s’exclama :

— Je ne sais comment ...

— Ne dites rien. Je veux compenser le mal fait à cet ange et j’agis aussi en souvenir de ma pauvre petite fille à laquelle elle ressemble incroyablement, ajouta-t-il en tapant amicalement sur l’épaule de Robert. Maintenant, adieu !

— Adieu, mon Commandant.

— J’ai tout organisé. Attendez mon ordre, mais dès minuit, soyez tous trois prêts à décoller !

— Oui, mon Commandant, répondit Robert, ne pouvant encore croire ce qu’il entendait.

Il quitta le bureau de l’officier allemand et se dirigea immédiatement vers la place de l’église où était la maison du père de Valérie qu’il eut la chance de trouver chez lui.

En reconnaissant Robert, Michel Labeille se jeta à son cou.

— Mon cher enfant ! S’exclama-t-il.

Montpellier pressa dans ses bras celui qu’il considérait comme un père. (Puis après les premiers moments d’effusion passés, il demanda) : Et Valérie ?

— Je crois qu’elle est à l’hôpital, répondit monsieur Labeille.

— Vous n’en êtes pas certain ?

— Si, à peu près ...

— Elle n’est pas venue vous voir aujourd’hui ? Questionna de nouveau le jeune homme.

— Non, mais elle est passée hier soir.

Robert le fixa d’un air bizarre. Le brave homme, effrayé, le questionna à son tour :

— Vous ne pensez pas qu’il lui soit arrivé du mal ?

— Non ! non !

— J’ai l’impression que vous me cachez quelque chose ? Insista Michel Labeille.

— Je vous affirme que vous vous trompez, affirma Robert.

Le père de Valérie murmura tristement :

— Mon Dieu ! Quant donc finira cette maudite guerre ?

— Je pense que bien des choses peuvent s’arranger si vous acceptez de partir d’ici avec Valérie, reprit Montpellier.

— Partir d’ici ? Est-ce possible ?

Alors patiemment, Robert lui expliqua la proposition que venait de lui faire le commandant et conclut en l’informant qu’il avait accepté cette possibilité de fuir l’ennemi.

— Vous croyez être capable de piloter un appareil de reconnaissance allemand ? S’écria Michel Labeille.

— Certainement ! Et je pense que vous ne refuserez pas de m’accompagner ?

— Pour ma part, je suis prêt à partir immédiatement, répondit spontanément monsieur Labeille et je suis sûr que Valérie acceptera sans hésiter.

— Il faut tout tenter, même si nous risquons la mort.

— Je pense exactement comme vous !

— Je ne suis pas un mauvais pilote, reprit Montpellier , et avec un peu de chance nous pourrons dans quelques heures atterrir parmi les nôtres !

— Espérons que les Allemands ne nous abattront pas !

— Espérons-le !

— Je vais, avec l’aide du commandant, me procurer deux salopettes de mécanicien, car Valérie sera obligée d’en revêtir une elle aussi.

— Entendu !

— Je viendrai vous le confirmer un peu plus tard. Mais arrangez-vous pour être prêts dès minuit et attendez-moi tous les deux ici. Je pense que nous décollerons à l’aube, ajouta Robert.

— Vous pouvez compter sur nous, affirma le père de Valérie. Et que Dieu nous protège !

— Il nous protégera et nous aidera, j’en suis convaincu, conclut le jeune artiste. Maintenant, allez prévenir Valérie !

Après avoir prononcé ces dernières paroles il s’éloigna rapidement.

Il avait de la peine à coordonner ses idées et il réalisait encore mal tout ce qui venait de se passer ; sa grâce, si imprévue, à la suite de l’intervention de Valérie, mais ... à quel prix ? Et puis, cette proposition de fuite inattendue de cet adversaire allemand qui aimait sa patrie, certes, mais qui haïssait la guerre ... et qui s’était laissé aller à la pitié parce que Valérie lui rappelait une fille tendrement chérie et disparue à jamais ...

« Mon Dieu ! Que tout cela était bizarre » songeait Robert, assez désemparé …

 

{ A SUIVRE LE 22 AOUT }

 

 

JEAN PAUL

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