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MOINEAUX SANS NID N° 159

12 Juillet 2012, 09:00am

Publié par nosloisirs

 

CHAPITRE-159--.jpegAssis l’un en face de l’autre dans le coquet bar où ils s’étaient réfugiés en quittant la prison, Alice d’Evreux et le secrétaire du lugubre établissement, Claude Lornier, s’entretenaient avec beaucoup d’animation.

Alice espérait s’attirer la sympathie et l’aide du malhonnête fonctionnaire et, de son côté, le triste individu se disait qu’il aurait sans doute à sa disposition une véritable poule aux œufs d’or.

— Pour vous expliquer pourquoi Robert Montpellier a refusé de me rencontrer tout à l’heure au parloir, commença la sœur du marquis, tandis qu’un éclair de rage brillait dans ses yeux, je dois auparavant vous raconter certaines choses, monsieur Lornier.

— Je vous écoute avec le plus vif intérêt, Mademoiselle, répondit le jeune homme en souriant.

— Tout d’abord, sachez qu’il existe entre monsieur Montpellier et moi une très tendre affection, malgré son comportement actuel à mon égard ...

Elle s’interrompit brusquement, comme si elle cherchait à coordonner ses pensées, puis enchaîna :

— Pour être franche envers vous, je dois reconnaître qu’il s’est épris d’une autre femme. Ne croyez surtout pas, Monsieur, que je lui en veuille de cette préférence, mais comme il s’agit d’un être indigne, coupable même de nombreux méfaits, vous pouvez comprendre que j’en sois très peinée !

— En effet, je vois ... et c’est certainement fort pénible convint Claude Lornier, mais poursuivez, je vous en prie !

— Alors j’ai essayé de faire comprendre à ce pauvre fou l’étendue de sa sottise, reprit amèrement la jeune femme, mais j’ai eu beau lui recommander de réfléchir, d’être prudent, ce fut toujours en vain. Comme il a toujours refusé d’admettre ce qu’est vraiment cette femme qu’il considère comme un être d’élite, victime de la méchanceté et de la jalousie humaine, il ne me restait donc qu’à lui apporter les preuves irréfutables de ce que j’avançais.

— C’est juste, reconnut Lornier ; et alors ?

— Alors comme un de mes amis d’enfance avait reçu une lettre des plus compromettantes de cette dévergondée, je l’ai supplié de la montrer à monsieur Montpellier. Tout d’abord ce garçon – qui est un parfait gentilhomme – refusa, puis il finit par céder à mes prières et s’arrangea pour faire parvenir cette missive à Robert Montpellier afin de l’éclaircir sur la moralité de sa dulcinée.

— Et qu’en a dit Montpellier ? Demanda Claude Lornier, de plus en plus intriguer.

— Il a agi de la façon la plus imprévisible, répondit amèrement Alice ; il a refusé de reconnaître l’authenticité de cette lettre et il est allé jusqu’à m’accuser de l’avoir fait écrire en imitant l’écriture de cette femme, dans l’unique but de la salir à ses yeux. Si bien qu’au lieu d’obtenir le résultat que j’escomptais, c’est-à-dire sauver celui que j’aime d’un grand danger, il m’a accusée de perfide et de méchanceté, allant même jusqu’à m’accabler de son mépris.

— Décidément, cet homme est très attaché à ses idées, remarqua Claude Lornier en soupirant.

— Il est seulement aveuglé par sa passion, murmura la belle Alice. Aussi après un tel résultat, je renonce à le voir, décidée à l’abandonner définitivement à son sort, non sans lui avoir prédit qu’il irait aussi inévitablement à sa perte !

— Hélas ! Les faits m’ont donné raison, car à présent, mon pauvre ami est en prison, attendant d’être jugé, et très gravement compromis parce qu’il s’est entêté dans ses opinions au sujet de cette ignoble femme.

— Et malgré tout cela, vous désirez encore le secourir ! Demanda Lornier en l’examinant attentivement.

Un douloureux soupir échappa à Alice d’Evreux.

— Que voulez-vous ? Je l’aime ! Avoua-t-elle à voix basse. Je sais qu’il est un homme loyal, honnête, digne de mon estime et de ma tendresse. Il est de mon devoir de l’aider, car il est victime de sa stupide passion, et j’agis ainsi pour éviter qu’il se perdre tout à fait.

— C’est pour cette même raison que, après de longues réflexions, j’ai décidé de lui parler et c’est pourquoi également j’ai tant insisté afin d’obtenir l’autorisation de le voir.

— Et vous vous êtes ainsi heurtée à un stupide refus de sa part ! Compléta le jeune homme.

— C’est vrai, admit son interlocutrice, et il doit continuer à me croire une femme méchante et perfide qui n’ont pas hésité à couvrir de calomnies celle qu’il aime ... Mon Dieu ! Mon Dieu ! Comment arriverai-je jamais à le convaincre de son erreur ?

Elle fixa le jeune secrétaire avec des yeux implorants et reprit :

— S’il est tellement obstiné, s’il refuse de me voir, de m’écouter, croyez-vous que malgré cela, je puisse garder encore un peu d’espoir ?

Claude Lornier baissa la tête pour réfléchir ; la situation était beaucoup plus délicate qu’il ne l’avait supposée ; il ne s’agissait pas d’une simple querelle d’amoureux, dans laquelle il pourrait facilement intervenir et obtenir une récompense, à refuser de rencontrer Alice d’Evreux, lui, Lornier, ne pourrait l’y contraindre, et il serait alors forcé de renoncer au gain qu’il escomptait !

— Pourtant, il crut découvrir une autre possibilité.

— Mademoiselle, reprit-il après un assez long silence. Je réalise parfaitement que l’homme que vous aimez est d’une nature très entière. Mais il est possible aussi que cette attitude puisse changer après quelques méditations. Puisque vous m’avez confié votre amour, Montpellier lui, ne doit pas ignorer à quel point cet amour est généreux et désintéressé, et il se pourra certainement pas demeurer insensible à un sentiment qui subsiste en dépit de tout.

Une lueur d’espoir brilla dans les grands yeux sombres de mademoiselle d’Evreux.

— Que voulez-vous dire, Monsieur ?

— A mon avis, si vous croyez que je puisse intervenir auprès de Montpellier, j’essayerai de lui parler, et, si vous me permettez d’aller le voir dans sa cellule, je discuterai de tout ceci avec lui. Peut-être alors arriverai-je à le convaincre de votre bonne foi et acceptera-t-il de vous revoir. En attendant, vous pouvez toujours lui écrire et me confier votre lettre. Je me charge de la lui remettre moi-même.

— Je ne puis vous dire à quel point je vous en serai reconnaissante ! S’exclama Alice avec ravissement.

— Je tiens à vous faire remarquer, Mademoiselle, que je cours de gros risques, continua cyniquement Claude Lornier. Naturellement, je peux approcher facilement les détenus, mais si l’on découvrait que je cherche à favoriser l’un d’entre eux, surtout s’il s’agit d’un homme en attente de jugement, je ...

— Ne vous tourmentez pas, interrompît vivement la jeune femme, je me rends parfaitement compte du tout ce que vous avancez, et comme il serait injuste que vous vous attiriez des ennuis par ma faute, je suis prête à vous dédommager très généreusement ... dans les limites de raisonnable, s’entend !

L’homme eut un sourire assez ambigu.

— Je ne serai pas d’une exigence folle, la rassura-t-il gaiement et je m’en remettrai entièrement à vous. Avant tout, je vais essayer de vous rapporter de bonnes nouvelles, et nous verrons comment agir par la suite.

Alice lui tendit la main avec élan et il la pressa chaleureusement entre les siennes. Puis ils se levèrent Lornier voulut payer les consommations, mais la sœur du marquis s’y opposa et régla l’addition. Quelques secondes après, ils quittaient le bar.

— Dès demain matin, j’irai voir Robert Montpellier, promit Lornier. Peut-être même devrais-je m’y rendre tout de suite ... Oui, c’est ce que je ferai en rentrant à la prison et j’essaierai de lui parler.

— Vrai ? S’exclama Alice fort satisfaite. Je vous supplie dans ce cas, de me communiquer aussitôt le résultat de votre entrevue.

— Je vous le promets, Mademoiselle, mais où et quand pourrai-je vous revoir ?

Alice réfléchit quelques secondes, puis ajouta :

— Vous serait-il possible de venir me trouver ce soir chez moi, vers neuf heures et demi ? Nous pourrons ainsi bavarder tout à notre aise sans crainte d’être dérangés.

— J’en serai très honoré, Mademoiselle ! S’empressa de répondre Claude Lornier, et j’irai vous rejoindre à neuf heures trente très précises.

— Parfait ! A ce soir ! J’espère ardemment quez vous aurez de bonnes nouvelles à me transmettre, conclut-elle en lui tendant de nouveau la main.

La sœur d’Anselme d’Evreux se pressa de remonter dans sa luxueuse voiture, tandis que Claude Lornier retournait à pas lents vers le triste bâtiment de la prison ...

— Ecoutez-moi, Montpellier, dit avec sévérité le secrétaire général de la prison au jeune artiste assis en face de lui sur le bord de sa paillasse, je vous assure que je risque gros en cherchant à m’occuper de vous. Aussi, je vous demande de bien vouloir me répondre.

Robert haussa les épaules et, fixant avec froideur et un léger mépris le nouveau venu, il répliqua sèchement.

— Je vous ai déjà dit, Monsieur, que je ne tolère à personne le droit de se mêler de mes affaires personnelles !

Les deux hommes se trouvaient à ce moment dans la cellule où était enfermé depuis quelques jours l’infortuné jeune homme et venait de pénétrer Claude Lornier. .

— Vous ne vous rendez donc pas compte de la gravité de votre situation actuelle ? Poursuivit le secrétaire. Il doit être très dur pour vous trouver complètement coupé du moindre des vivants, sans pouvoir échanger un mot avec personne ...Vous repoussez malgré cela l’amitié et désintéressé que vous témoigné mademoiselle d’Evreux. Vous le regretterez amèrement bientôt, sans doute !

— Je vous demande, Monsieur, de ne pas insister ! Trancha Robert avec autorité en le foudroyant du regard. Il est exact que nous étions très liés, mais nos rapports ont totalement changé depuis déjà quelque temps !

— Peut-être souffrez-vous de votre situation actuelle vis-à-vis de cette dame ? Insista Lornier.

— Non, répondit sèchement le jeune peintre. Ma conscience est tout à fait tranquille. Je suis innocent, et certain que le tribunal finira par le reconnaître. Seulement, je ne tiens pas du tout à revoir une personne qui a très mal agi à mon égard.

— Pourtant, Monsieur, elle ne l’a fait que poussée par son affection pour vous ! Insista avec force Claude Lornier ; mademoiselle d’Evreux c’est confiée entièrement à moi et m’a dit son désespoir. C’est la raison pour laquelle, malgré les risques que je cours en ce moment, je suis venu vous parlez !

Robert se tut, cette fois. La pensée qu’Alice continuait à s’intéresser à lui et qu’elle avait réussi à lui envoyer quelqu’un jusque dans sa cellule le stupéfait et le déconcertait à la fois.

— Ainsi, vous agissez de la sorte uniquement par bonté d’âme ? Seriez-vous un ami de mademoiselle d’Evreux ? Demanda-t-il brusquement.

Claude Lornier n’hésitait pas à abattre ses cartes, lorsqu’il le jugeait opportun et il répondit sans hésiter :

— Je dois vous avouer la vérité, Monsieur ; le hasard à permis que je rencontre mademoiselle d’Evreux alors qu’elle sortait du parloir où vous aviez refusé de vous rendre. Elle était tellement bouleversée que la croyant souffrante, je l’aie abordée pour la secourir ... Alors, prise d’un besoin irrésistible de me confier, elle m’a expliqué très brièvement sa situation.

— Lorsqu’elle a su que j’avais la possibilité d’approcher les détenus, elle m’a supplié de l’aider. Je dois vous dire également qu’elle m’a offert de me récompenser et que je n’ai pas refusé je vous le confesse ... Mais ce n’est pas uniquement pour cette raison que je suis venu vous parler. C’est surtout la souffrance de cette jeune femme qui m’a ému. Je suis certain que, même si vous persistiez dans votre refus de la voir, elle me saurait gré de cette démarche.

— D’autre part, comme je suis persuadé que vous aussi vous vous trompez en la jugeant avec une telle sévérité, alors qu’elle ressent pour vous un amour désintéressé et sincère, je vous prie de m’écouter et de réfléchir avant de me donner une réponse définitive.

— Songez que, dans votre lamentable situation, une telle amitié peut vous apporter un grand réconfort ... Et vous en avez grand besoin, car vous me semblez bien abattu ; je suis sûr que, en vous présentant ainsi déprimé devant les juges, le jour de votre procès, vous produiriez une impression plutôt défavorable

Le vissage déjà très pâle de Robert refléta l’inquiétude, mais il se domina très vite, sourit tristement et leva sur son étrange interlocuteur un regard qu’il voulait sceptique, mais qui, toutefois révélait le trouble cause par ces derniers propos.

— Et selon vous, que me faudrait-il donc faire ? Murmura-t-il.

— C’est extrêmement simple ! S’empressa de répondre l’insidieux personnage ; acceptez de voir mademoiselle d’Evreux et écoutez ce qu’elle a à vous dire. Même si vous avez des raisons de lui en vouloir, considérez l’aide morale qu’elle tient tant à vous apporter et montrer-vous plus indulgent à son égard ...

— Depuis longtemps déjà, de par mes fonctions ici, j’approche les malheureux qui souffrent entre ces murs humides, et je puis vous affirmer que rien, dans ce lieu, n’est plus précieux que le réconfort que vous offre une sincère amitié. Ne vous entêtez donc pas et acceptez avec joie le secours que l’on vous offre si généreusement ...

Un geste brutal du peintre interrompit ces belles paroles.

— Vous parlez ainsi, Monsieur, dit robert en souriant avec ironie, parce que vous ignorez beaucoup de choses, et que vous n’imaginez surtout pas la perfide subtile et cynique dont est pétrie l’âme de cette femme ; Alice d’Evreux, dont vous plaidez la cause avec tant de chaleur, peut-être dans le misérable but d’une récompense matérielle ... Oh ! Je ne vous en veux nullement et je vous comprends même. Mais moi, je connais la vérité ; je sais de quoi cette femme est capable et ce qui se cache derrière cette prétendue passion pour moi !

Le visage de Claude Lornier manifesta la plus totale stupeur car il ne s’attendait guère à une telle réaction. Il avait cru que les rapports existant entre Alice et Montpellier, si tendus fussent-ils gardaient un fond d’amitié. Mais la situation se révélait très différente de celle qu’il imaginait, et il comprenait maintenant que, malgré tous ses efforts, il n’arriverait pas à convaincre le jeune artiste.

Tandis que le détenu se replongeait dans ces tristes pensées, Claude Lornier réfléchissait rapidement. Il était satisfait d’avoir parlé avec franchise au prisonnier. Etant à présent au courant d’une partie de la vérité, il entendait en user pour extorquer tout ce qu’il pourrait de la sœur du marquis, n’étant pas homme à laisser échapper une aussi belle occasion !

Il savait qu’il y aurait pas mal d’argent à gagner et n’entendait pas y renoncer.

— Très bien ! Conclut-il en soupirant ; puisqu’il en est ainsi, je n’insiste pas. Sachez toutefois que j’ai agi dans de bonnes intentions et n’oubliez pas que je reste à votre disposition si vous aviez besoin de la moindre des choses ...

— ... à condition d’être récompensé, acheva Robert ironiquement.

L’autre hocha la tête, nullement vexé.

— Que voulez-vous ? Répondit-il avec philosophie, il le faut bien. La vie est dure pour tous et mon salaire très modeste. Après tout, je ne fais rien de mal ; je me limite à prendre quelques petites libertés vis-à-vis du règlement ... dans l’intérêt même des prévenus.

Il s’interrompit, puis ajouta après une légère hésitation :

— N’oubliez pas ce que je viens de vous dire, Monsieur Montpellier ; au cas où vous auriez besoin de moi, faites-le moi savoir par un gardien.

— Je vous remercie, Monsieur, répondit le détenu. Je ne désire qu’une seule chose ; voir arriver au plus vite le jour de mon procès !

— Au revoir, fit Claude Lornier en se dirigeant vers la porte de la cellule. Je suis sûr que mademoiselle d’Evreux sera très malheureuse d’apprendre l’échec de ma démarche auprès de vous. J’essayerai de la convaincre de ne plus vous importuner et d’effacer votre image de son cœur.

— Parfait ! Au revoir, donc, consolateur des âmes affligé&es ! Répondit ironiquement le jeune artiste.

Lornier se retira tout en se félicitant de sa prudence et de l’habileté dont il avait fait preuve dans cette délicate mission. A présent, il avait la certitude de l’indifférence de Montpellier pour Alice et ceci lui permettait d’agir pour exécuter certains projets qu’il caressait depuis que Grégoire lui avait parlé de la fameuse autorisation ...

( A SUIVRE LE 15 JUILLET )

 

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