Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

APACHE-ROI N° 18

12 Juillet 2012, 11:00am

Publié par nosloisirs

 

APACHE ROI EN TETE

 

— Mais vous n'en êtes pas éloigné, n'es-ce pas ? Eh bien ! Non, monsieur, vous vous êtes mépris, je n'avoue rien. Ce que je reconnais c'est que j'aurais dû faire ce dont on m'accuse, c'est que j'y étais autorisée par l'infâme conduite des Dolabelle à mon égard... Écoutez monsieur le juge, laissez-moi vous le dire cette conduite ! Écoutez je vous en prie ! Depuis le jour où je suis restée seule avec ma honte et sans ressources, personne ne m'a entendue me plaindre ; laissez-moi me soulager de tout ce que j'ai étouffé.

Et d'un jet, elle dit tout ce qui s'était passé entre elle et les Dolabelle, tout le roman douloureux et navrant de sa honte, depuis la première heure de l'idylle jusqu'au calvaire de la mère en deuil de l'enfant enlevé, volé à son amour.

Et ce vol de l'enfant, elle le mit à la charge des Dolabelle, et elle ne se contenta pas d'accuser, elle donna le moyen de prouver.

— J'avais déposé une plainte, monsieur, cherchez vous la retrouverez. Et vous saurez , vous, pourquoi mes plaintes ne fut pas suivie, pourquoi la justice renonça à s'occuper de rendre l'enfant à sa mère et de punir les auteur du crime. Les Dolabelle étaient riches et puissants ; je n'étais rien. C'est moi qui fut ruinée. J'entends encore le commissaire de police de Saint-Mandé me prêchez la résignation et descendre à employer la menace pour faire taire ma douleur. Je compris monsieur ; la cause était entendue, c'est moi qui étais condamnée. J'acceptai la condamnation, je me résignai et je le répète personne ne m'a entendue plaindre. Pourquoi ? Je vais vous le dire encore ; mais vous le savez monsieur le juge ; vous connaissez mes origines ; je suis la fille d'un homme dont toute la vie fut consacrée au culte de l'honneur ! Ce n'est pas le sermon du commissaire et ses menaces qui muselèrent ma douleur et mes révoltes ; c'est le souvenir de ce père vénéré ; c'est la peur du scandale qui l'eût crucifié dans sa tombe. Et cette peur ne m'a jamais quitté, c'est elle qui l'a fait acceptée la vie de recluse que je n'ai cessé de mener depuis ma chute ; c'est elle encore qui me fait terminer cette confession par une prière, la seule réponse que j'aurais dû vous faire ; je ne tiens pas à la vie, je ne tiens plus à rien, vous pouvez et faire de moi ce que vous voudrez, mais pour Dieu ! Laissez mon père dormir en paix, que son nom ne soit pas prononcé !

Elle s'était levée pour prononcer ce vibrant plaidoyer ; elle se rassit et attendit en essuyant ses yeux le souvenir de son père avait fait monter de vraies larmes.

Le juge restait muet. Elle avait bien dit là ce qu'il fallait dire pour arriver au cœur du magistrat, mais elle ne semblait pas y être arrivée, on eût même pu croire que celui pour qui elle avait parlé ne l'avait pas entendu.

Encore qu'il n'eut pas cessé de la regarder tandis qu'elle parlait, il n'avait pas paru une seconde intéressé ; constamment son visage avait été celui d'un homme qui aurai eu une absence ou cherché autre chose que ce qu'on lui disait.

Et maintenant qu'elle n'était tue, il la regardait encore et semblait toujours courir après ce quelque chose qui n'était sans doute pas venu.

Tout à coup il changea de visage, ses yeux brillèrent et il laissa tomber :

— J'y suis ! J'ai trouvé ! Je sais où je vous ai déjà vue !

C'était cela qu'il cherchait dans les yeux de Jacqueline depuis qu'elle avait paru devant lui ; c'était pour cela qu'il avait semblé ne pas l'entendre, tout en la regardant avidement.

Et il dit ce qu'il avait trouvé :

— C'est au Sport-Club que je vous ai déjà vue un soir... il y a huit ou dix jours, mais ce soir-là vous aviez des vêtements d'homme.

Et il termina par ce coup de massue.

— Ce soir-là vous étiez le comte Ramy et vous répondiez à un journaliste qui croyait avoir découvert, à votre cravate, la perle noire volée chez le joaillier de la rue de la Paix.

Sous ce coup qui eût dû l'assommer, Jacqueline ne défaillit pas ; un vague sourire parut même sur ses lèvres qui s'entr'ouvraient pour répondre, mais le juge gardait la parole.

Il poursuivait savourant sa trouvaille et le parti à en tirer en vue de l'affaire qu'il instruisait.

 

APACHE-ROI-01-MARS-1908-.jpeg


— Il va falloir vous expliquer sur cette métamorphose, mademoiselle, me dire d'où vous son venus et le besoin de jouer ce personnage du comte Ramy et les moyens de le jouer, car il doit coûter cher le personnage, et vous n'avez raconté, je crois qu'abandonnée par M. Dolabelle fils, vous étiez restée seule avec votre honte et sans ressources ; vous n'avez même parlé d'une vie de recluse qui vous vous étiez condamner à mener.

Il avait bien entendu tout le plaidoyer de Jacqueline.

— Et vous avouerez bien que j'ai le droit et le devoir de vous demander quelques éclaircissements... Répondez, mademoiselle je vous écoute... Mais peut-être allez-vous exiger maintenant la présence de l'avocat chargé de votre défense.

— Non, monsieur. Je n'ai pas plus besoin d'avocat maintenant qu'au début de votre interrogatoire, la découverte que vous avez faite ne saurait ni m'effrayer ni même m'embarrasser... et la preuve qu'elle me laisse froide, c'est que je n'hésite pas à me reconnaître dans le comte Ramy. Oui, je le reconnais, c'est moi. Jacqueline Myra qui joue à paris le personnage du comte Ramy c'est moi que vous avez vue l'autre soir, au Sport-Club et voici ma réponse à votre demande d'explication.

— Voyons !

Le juge s'accouda sur les bras de son fauteuil et ses yeux exprimèrent clairement ce que sa bouche retenait :

— Je ne suis pas curieux, ma petite, mais je voudrais bien savoir comment tu vas te tirer de là !

Elle commença :

— Je vous ai dit, monsieur, que j'étais sans ressource. Ce n'est pas tout à fait exact.

— Ah ! Ah !

— Laissez-moi achever, s'il vous plaît ! Vous apprécierez après m'avoir entendue. Des ressources, il m'en restait ; j'étais jeune et je pouvais travailler, c'est ce que j'ai fait.

— Travailler... Diable ! On est fondé à se demander à quel genre de travail vous avez bien pu vous livrer pour en tirer de quoi mener la vie luxueuse du comte Ramy...

— Le luxe du comte Ramy n'a jamais été qu'apparent, monsieur le juge ; en réalité le comte vit très modestement.

— Ah bah ! Je me suis laissé dire qu'il habitait un hôtel particulier.

— Un hôtel loué et ce n'est pas lui qui en paye le loyer.

— Est-ce à dire qu'il est entretenu ? En ce cas il l'est richement et cela ne détruit pas mon observation.

— Pardon! Le comte ne doit rien qu'à son travail. L'hôtel qu'il habite et ses superbes voitures automobiles que vous allez sans doute lui reprocher tout à l'heure fait partie de son travail, ils en sont les instruments... et pas plus que l'hôtel, les voitures n'ont rien coûter au comte.

Le juge béa.

— Ma foi j'aime mieux vous déclarer que je ne comprends pas, fit-il avec désinvolture.

— Je vais vous faire comprendre ; mais d'abord je dois vous demander de garder pour vous le secret que vous m'obliger trahir.

— Ah ! Il y a un secret et vous me demandez à moi, vous...

— Oui, monsieur moi Jacqueline Myra, accusés d'avoir commis ou fait commettre des crimes. Je vous demande à vous, le juge chargé d'instruire ces crimes, de ne pas divulguer le secret du comte Ramy.

— Mais c'est de la folie, mademoiselle ! Mon devoir...

— C'est de la conscience monsieur. Ce secret ne m'appartient pas et sa divulgation pourrait causer un grave préjudice à ne tierce personne. Et pour en finir, vous allez en juger vous-même.

Et Jacqueline s'expliqua :

— Puisque vous étiez, l'autre soir au Sport-Club vous avez dû remarquer la personne que j'abordai en quittant le journaliste ?

Le juge chercha un instant sans trouver.

— Je ne me souviens pas, je ne

— Un industriel universellement connu et estimé le véritable créateur de l'industrie automobile.

— Ah ! Oui en effet... Je me souviens maintenant.

— Eh bien ! Cet industriel.

— Est votre fournisseur d'automobile ?

— Oui, monsieur, mais il est un peu mieux que cela pour moi... Ne cherchez pas, vous ne trouveriez pas. Cet industriel monsieur, c'est mon patron.

— Votre...

— Patron ! C'est pour lui que je travaille. Je suis son employé ou plutôt son représentant, son voyageur chargé de faire valoir sa marque et de lancer ses créations. Et voilà comment les belles machines que je promène ne me coûtent rien et sont mes instruments de travail ; c'est pas elles que je m'acquitte de ma tâche. Et vous avez tout le secret de ma métamorphose. Pour faire ce métier-là, il fallait un homme et un homme qui s'imposât à l'attention publique ; de là, l'hôtel particulier, ce titre de comte et les légendes répandues dans le public par les agents de la maison que je représente. Ma métamorphose monsieur le juge, n'a pas été autre chose qu'un expédient de publicité. Le comte Ramy dévorant les routes sur des machines extraordinaires, c'est purement l'homme sandwich qui promène sur les boulevards l'affiche du produit à lancer.

Elle n'aurait pas eu besoin d'en tant dire ; dès les premiers mots, le juge parisien avait parfaitement compris, mais il souriait, sceptique.

— Très bien, dit-il, ingénieuses vos explications.

— Ingénieuses. Vous croyez que j'invente ? Il vous faut des preuves de ma sincérité ? En voici une et la meilleure.

Jacqueline ne bluffait pas ; elle avait cette preuve et de là le sourire qu'avait éveillé sur ses lèvres la découverte du magistrat.

Elle ouvrait un portefeuille qu'elle avait sur elle et en sortait un papier qu'en tenait au juge, et ce dernier y jetant les yeux ne pouvait retenir un mouvement qui était un aveu de défaite.

Ce papier était un traité et bonne et due forme qui liait Jacqueline Myra à l'industriel en question ; le juge y lisait la confirmation de tout ce que venait de lui apprendre sa cliente, et quelque chose encore qu'elle avait passé sous silence, le chiffre des appointements qui lui étaient alloués, un chiffre qui parut éblouir le juge, tout en courant qu'il fût des choses de Paris.

— Trois mille francs par mois !... Trente six mille par an !... exclama-t-il les yeux ronds. C'est fantastique.

— N'oubliez pas que je risque ma vie tous les jours, répondit simplement Jacqueline et veuillez conclure, monsieur le juge ; pensez-vous que la femme qui fait cela, puisse encore avoir la tête à combiner des crimes et à les faire exécuter ?

Le juge ne se prononce pas.

— Nous n'en sommes pas encore à conclure, fit-il un peu aigre. Le comte Ramy a oublié de s'expliquer sur son achat de la perle noire de la rue de Paix car enfin, il l'avait acheté, cette perle dont le prix faisait, parait-il hésiter un ambassadeur ; combien comptait-il solder la facture de ce caprice royal ! Était-ce encore la caisse du grand industriel qui devait en faire les frais ?

— Non monsieur ; ni cette caisse, ni la mienne, ni celle de personne. Je n'ai jamais l'intention d'acquérir cette perle ce caprice royal comme vous dites, n'était qu'un bluff, une pure réclame destinée à grossir encore e bruit fait autour du comte Ramy...

— Oh ! Oh !

— Je dis la vérité, monsieur et j'invoque là-dessus le témoignage que vous ne sauriez suspecter, celui du joaillier lui-même.

— Du joaillier... Le joaillier savait ?

— Oui, monsieur et mieux encore ; le bluff venait de lui ; c'était lui qui l'avais imaginé pour attirer l'attention du grand public sur sa perle noire. Veuillez le mander ici, devant moi ; je vous répète que j'invoque son témoignage.

Le juge laissa passer la demande sans y répondre, il suivait son idée :

— Eh bien ! Il peut se féliciter de l'avoir attirée l'attention du grand public et d'abord la vôtre.

— La mienne ?... Que voulez-vous dire, monsieur le juge ?

— Vous avez compris. C'est en admirant la perle et l'ingéniosité réclamière du joaillier que l'idée vous vint d'avoir le joyau sans bourse délier.

— Ah !... Vous reprenez l'accusation ; c'est moi qui ai indiqué le cambriolage à faire, et les cambrioleurs sont mes hommes, n'est-ce pas ? Les mêmes qui ont opéré dans le Nord et qui viennent d'enlever la fiancée de M. Henry Dolabelle.

Jacqueline souriait encore, mais elle avait mis dans ce sourire, une amertume douloureuse qui eut désarmé tout autre homme qu'un juge d'instruction.

Et cette amertume n'était pas feinte ; au moment où elle croyait toucher à la victoire, elle se rendait compte quelle n'avait même pas entamé la religion du magistrat.

— Si c'est là votre conviction, monsieur le juge, si la vérité sortie de ma bouche n'a pu trouver le chemin de votre cœur ni celui de votre conscience, je n'ai plus rien dire et je ne dis plus rien.

Le juge ne répondit pas ; il réfléchissait ne quittant pas des yeux son extraordinaire cliente.

Il reconnaissait qu'elle avait répondu à tout et que rien elle ne justifiait les effroyables soupçons dont on la chargeait ; mais il s'obstinait son parisianisme averti cherchait en elle sous les dehors comme il faut, l'être de passion et de boue qui ment et trompe comme un autre respire.

(A SUIVRE 15 JUILLET)

 

 

041

Commenter cet article