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MOINEAUX SANS NID N° 144

28 Mai 2012, 09:00am

Publié par nosloisirs

CHAPITRE-144--.jpegAureçudecetteconvocation,PaulMacaireserenditimmédiatementauPalaisdeJustice,persuadéquonlefaisaitdemanderpourunedesnombreuses« affaires »dontilsoccupait.

 

Mais dès qu’il aperçut Pierrot dans le bureau du juge d’instruction, il pâlit et essaya de dissimuler l’inquiétude qui l’avait envahi.

Le magistrat n’avait pas été sans remarquer l’effet produit par l’enfant sur le nouveau venu. Il le dévisagea quelques instants en silence, puis lui désigna une chaise en face de lui :

— Asseyez-vous, monsieur Macaire, et calmez-vous !

— Mais je ... je suis très calme, Monsieur le juge, affirma le misérable, essayant de témoigner d’une parfaite désinvolture.

— Ce tremblement de vos mains est-il habituel chez vous ? Il me parait un peu prématuré à votre âge, observa ironiquement le magistrat.

C’était juste ; malgré tous ses efforts, le misérable ne pouvait réprimer le tremblement qui c’était emparé de lui en apercevant Pierrot, ce tremblement qui agitait si fortement ses deux mains.

— Puis-je savoir la raison pour laquelle vous m’avez convoqué, Monsieur ? S’informa Paul Macaire, évitant ainsi de répondre à la question.

— Il s’agit de quelque chose de très grave, poursuivit sévèrement le juge. Mais cessez de fixer cet enfant et regardez-moi, puisque je vous parle, je vous prie.

Macaire sursauta à cette observation et dirigea son regard très inquiet cette fois, sur son interlocuteur.

— Je ... je vous écoute, Monsieur le juge, bredouilla-t-il.

- On ne le dirait pas ! S’exclama le juge, sarcastique.

Puis, se carrant dans son fauteuil comme pour se préparer à soutenir une longue discussion, il continua d’une voix calme et posée :

— Jusqu’à aujourd’hui, Monsieur Macaire, je vous avais cru un homme respectable et digne de toute ma considération.

Le misérable Paul Macaire remercia le juge d’instruction d’un signe de tête.

— Je vous croyais, poursuivit le magistrat, incapable de mentir, et même si parfois, certaines de vos affaires m’avaient semblé assez embrouillées, je voulais me persuader que c’était par erreur de votre part ... Je n’ignore pas non plus qu’étant très croyant et pratiquant, beaucoup de personnes appartenant au monde ecclésiastique font partie de votre clientèle et vous confient leur intérêt. Ceci, évidemment, plaida fortement en votre faveur.

— Je n’ai jamais cherché qu’à faire mon devoir et rien de plus ! Assura avec une grande humilité Macaire, très déconcerté par le tour que prenait l’entretien, et se demandant avec inquiétude où le juge voulait en arriver

Un léger sourire éclaira le visage du magistrat.

— Je l’admets, reprit-il et je suis sûr que vous pourrez facilement m’expliquer une histoire que l’on vient de me rapporter et dans laquelle vous auriez joué un rôle assez important ... et assez bizarre, aussi, je dois en convenir.

— Vous pouvez être assuré de ma franchise, Monsieur le juge ! Affirma Paul Macaire, visiblement énervé. Je dis toujours la vérité. De quoi s’agit-il ?

Le magistrat garda le silence comme s’il cherchait comment aborder le sujet, puis demanda :

— Quels rapports avez-vous entretenue avec une vieille femme surnommée « l’Araigne » ?

Cette question inattendue déconcerta tout à fait l’usurier, mais il eut vite fait de se ressaisir et répondit :

— Oh ! Il s’agit uniquement de questions financières sans aucun intérêt !

Le juge le fixa intensément, puis ajouta :

— Rien de plus ?

— Rien, je vous le jure, Monsieur le juge ! Affirma Macaire avec énergie.

— Essayez cependant de vous rappeler, reprit l’homme de loi, parce qu’il est question d’un événement qui s’est passé il y a assez longtemps ...

— Il y a à peu près huit ou neuf ans, en effet, une dame dont je ne veux pas révéler le nom pour le moment, a perdu son mari alors qu’elle attendait un bébé. Selon le testament de son époux, cette pauvre femme aurait été presque entièrement déshéritée si elle ne lui avait pas donné d’enfant. Pour son malheur, elle mit au monde un enfant mort. Cherchant donc à éviter que la fortune n’allât entièrement aux parents déjà très riches de son défunt mari, l’infortunée essaya de substituer à son enfant mort un autre enfant celui-là ... Comprenez-vous à présent ? Acheva-t-il en fixant Macaire dans les yeux.

— Parfaitement, répliqua le misérable, cherchant à dominer sa frayeur, tout en jetant un regard furieux à Pierrot qui assistait à cet entretien, toujours assis sagement sur sa chaise. Mais je ne vois pas ...

— Et maintenant, continua le magistrat, je dois vous prévenir que cette dame affirme que c’est vous sui lui avez procuré une fillette qui pouvait être substituée au petit mort.

L’accusation ne pouvait être plus claire et plus nette !

Paul Macaire comprit instantanément le danger ; il était formellement accusé par son ancienne cliente qui, sans doute, était déjà venue ici porter plainte.

Avec les moyens d’enquête dont il disposait, le magistrat découvrirait très facilement la vérité. Dans ce cas, lui, Macaire serait considéré comme une vraie canaille, se livrant aux plus louches besognes !

Il n’avait pas d’autre moyen que d’essayer d’altérer la vérité sans trop nier les faits.

— Eh bien ? Que répondez-vous à ce que je viens de vous dire, monsieur Macaire ? Lui demanda le magistrat, voyant que son mutisme se prolongeait.

— La vérité comme toujours ; déclara le misérable en pesant théâtralement une main sur son cœur. Je me déclare responsable de tout cela ... Mais j’affirme n’en ressentir aucun remords !

— Cependant, monsieur Macaire, remarqua patiemment le magistrat vous savez très bien que, devant la loi, cet acte est d’une extrême gravité !

— La loi, Monsieur le juge, se défendit Macaire avec la plus parfaite assurance, la loi, hélas ; n’est pas toujours du côté de la justice et du droit ! Elle ne peut pas toujours prévoir toutes les circonstances de la vie. De plus, elle autorise souvent de grandes injustices ...

— Aussi pour toutes ces raisons, la conscience d’un honnête homme ne peut toujours se ranger de son côté. Un bon chrétien, un homme de cœur, est obligé parfois de ne pas s’y conformer ! C’est dans de telles circonstances que j’ai été fautif, et cependant, jamais encore ma conscience ne me l’a reproché !

Le magistrat hocha la tête et dit froidement :

Expliquez-vousplusclairement,carvotreraisonnementmesembleassezétrange.

Macaire soupira, puis sourit avec résignation :

— C’est pourtant tellement simple, Monsieur le juge ; j’ai essayé de remédier à une injustice par une autre ... Hélas ! A mon avis, le mari de cette femme à très mal agi en frustrant une épouse dévouée, fidèle et aimante pour favoriser une famille déjà immensément riche, sans plus se soucier de l’avenir de celle qui avait été sa compagne, poussé par l’orgueil égoïste de perpétuer son nom d’homme aisé et considéré !

— Mais puisque telle était sa volonté ! Objecta le magistrat.

— Croyez-vous que la volonté d’un être aussi dure et aussi cruel mérite d’être respectée lorsqu’elle nuit à autrui ? Répliqua Macaire avec mépris. Je suis disposé, continua-t-il, à supporter sans me plaindre la peine qui me sera infligée et je déclare, une fois de plus, avoir agi ainsi uniquement par charité.

— Je vous prie de réfléchir un peu, Monsieur le juge ; en substituant cette enfant vivante au petit mort,, je ne faisait de mal à personne ; au contraire, je sauvais une femme en l’arrachant à la misère à laquelle la vouait ce mari dénaturé, et j’évitais qu’un petit innocent souffrait de la faim durant sa vie ... Pauvre bébé sans parents, auquel j’offrais un foyer et la tendresse d’une mère ! Est-ce réellement criminel d’avoir agi de la sorte ?

Macaire se tut, fixa le magistrat en laissant échapper un douloureux soupir et reprit :

— Tout ceci me révolte, Monsieur le juge. Ma conscience de bon chrétien ne put admettre une telle injustice. Cette infortunée s’était mariée à cet homme par amour et non par esprit de lucre. Elle ne méritait pas un tel comportement. Ma conscience m’ordonnait de la protéger, de la secourir, et c’est pour cette raison que je lui ai procuré cette fillette.

Le juge d’instruction l’écoutait, les sourcils toujours froncés, et dès que Paul Macaire se tut, il demanda avec gravité :

— Avez-vous reçu une récompense après cela ?

— Oui, Monsieur le juge, répliqua le bandit, sans hésiter. Je veux dire la récompense spirituelle que l’on obtient lorsqu’on fait du bien !

— Je parle d’une récompense matérielle, fit observer le juge avec sévérité.

Macaire secoua la tête énergiquement.

— Non, Monsieur le juge, déclara-t—il avec assurance. Pas d’argent, je vous le jure ! Cela n’aurait pas été digne de moi !

— Bien, soupira le juge d’un air las, nous reparlerons plus tard de ce détail. Ce qui prime pour le moment, c’est le fait en lui-même ; comment vous y êtes-vous pris pour découvrir cette petite fille !

— C’est madame Picquet dont vous venez de parler, qui me l’a procurée, Monsieur le juge, expliqua Paul Macaire après une imperceptible hésitation.

— Je suppose que cette femme n’était ni aussi désintéressée ni aussi charitable que vous, poursuivit le magistrat avec une partie d’ironie dans la voix, et qu’elle a exigé de l’argent pour vous céder ce bébé ?

— Naturellement, Monsieur le juge, admit Macaire.

— Vous l’avez payée de votre argent ?

Oh !Non,Monsieurlejuge,expliqua-t-ildunevoixdouloureuse.Jétais sijesuistoujours trèspauvre.Cestlapersonneintéresséequiapayécettefemme.

— Par quelle entremise ?

— Par la mienne évidemment, car j’étais la seule personne qui puisse servir d’intermédiaire dans cette affaire, dit Macaire.

Le juge d’instruction baissa la tête sur ses papiers ; il était évident qu’il réfléchissait. Après un assez long silence, il reprit :

— A combien s’élevait cette somme ?

L’usurier leva les deux bras en un geste d’ignorance.

— Je ne m’en souvienne plus très exactement, Monsieur le juge. Néanmoins je crois qu’il était question de cent cinquante mille francs.

— Et que se passe-t-il ensuite ? Comment se fait-il que cette dame n’ait pas réalisé son projet ?

— Parce que les frères du défunt ont découvert le stratagème.

— Ah ! S’exclama le juge, et qu’avez-vous fait alors de la fillette ?

— Je l’ai rendue à madame Picquet.

— Evidemment, dit le représentant de la loi, comme s’il l’approuvait, puisque vous saviez d’où venait l’enfant et que vous connaissiez ses parents. C’est bien cela, n’est-ce pas ?

— Je savais seulement le nom de son père, précisa le misérable. C’est ce bandit qui a commis le crime de la rue Lakanal !

— Et sa mère ?

— J’ignore qui elle est, Monsieur le juge, dit Macaire avec assurance.

— Ainsi, vous vous êtes prêté à confier à n’importe qui un bébé qui venait à peine de naître, sans savoir qui était sa mère et ignorant si son père ne l’avait pas enlevé pour réaliser une ignoble spéculation ? Questionna durement le juge.

PaulMacairenesedépartitnullementdesoncalmeetexpliqua :

— Il avait déclaré que la mère de la fillette était morte.

— Ainsi, un homme droit et honnête comme vous l’êtes a pu se fier aux propos d’un père dénaturé, capable de vendre sa propre fille et aux affirmations d’une femme indigne qui faisait un aussi vil commerce ? Vous n’avez pas pensé alors çà vous assure que la mère était réellement morte où s’il ne s’agissait pas d’un monstre n’hésitant pas à tirer profit d’un nouveau-né ?

— La défense et la justification de votre intervention put été très habilles, mais cela ne suffit pas, car, dans tout ceci, je n’ai pas l’impression que vous ayez agi avec beaucoup d’honnêteté !

— Mais, Monsieur le juge ! S’exclama Macaire, stimulant la plus vive indignation, je vous assurez que je ne regrette pourtant rien !

— Tant mieux pour vous si vous êtes en paix avec votre conscience, monsieur Macaire ! Conclut sèchement le magistrat. Pourtant, moi, j’ai à faire respecter la loi et je suis forcé de vous suspecter !

— Moi ? Suspect ? Protesta le misérable en s’agitant nerveusement sur son siége.

— Calmez-vous, Macaire, conseilla le juge d’instruction. J’agirai de façon à vous laisser en liberté provisoire tant que tout ne sera pas éclairci. Mais j’exige que vous me disiez la vérité sur ce que vous savez ; pour commencer, qu’est devenue la petite fille ?

— Madame Picquet l’a gardé et ensuite adoptée, s’empressa de répondre le misérable.

— Il s’agit donc de la petite Mireille ? S’enquit le magistrat.

— Précisément, Monsieur le juge !

En entendant cette déclaration Pierrot quitta sa chaise et, oubliant les personnages et le lieu où il se trouvait, il se mit à sauter de joie, tandis que de grosses larmes roulaient le long de ses joues.

— Quel bonheur ! Criait-il, Mireille à une vraie maman ! Je vais aller la lui apprendre tout de suite.

Et il courut vers la porte du bureau.

— Ne bouge pas ! Ordonna sévèrement le juge. Reviens t’asseoir à ta place, j’ai encore besoin de toi ! (Puis, s’adressant à Macaire, il ajouta) : Il reste à savoir qui était la mère de cet enfant. Vous n’avez aucun indice ?

— Si, Monsieur le juge, répondit l’usurier. Je crois bien que c’est l’ancienne amie de Jean Marigny qui, dit-on, aurait été sa complice dans ce fameux crime.

— Oui, oui, c’est elle ! Hurla Pierrot. Et à présent, elle pourra reprendre Mireille à « l’Araigne ». Voulez-vous que j’aille chercher Mireille, Monsieur le juge,

— Je t’ai déjà dit de ne pas quitter sa chaise ! Rappela le magistrat avec une douce sévérité.

Pour sa part Macaire était consterné ; cet enfant l’avait battu ! A cause de lui, toutes ses escroqueries ne tarderaient pas à être découvertes et il passerait certainement tout le restant de sa vie en prison ...

— Votre culpabilité ne fait aucun doute, reprit le juge en se tournant de nouveau vers lui. Cependant, je veux bien admettre que vous avez agi ainsi dans une bonne intention, et c’est pour cette raison que je suis disposé à vous aider, à moins de découvrir que ceci n’a été pour vous qu’une affaire, et à la condition que vous soyez disposé à aider la justice à voir clair dans toute cette histoire.

— Vous pouvez compter entièrement sur moi, Monsieur le juge ! S’écria l’odieux personnage.

— Pouvez-vous fournir une preuve confirmant, aux yeux de la loi, que Valérie Labeille est bien la mère de cette enfant ?

— Non, Monsieur le juge, cela m’est impossible, d’autant plus que Jean Marigny a disparu de la circulation, répondit Macaire.

— C’est bien dommage ! Murmura le magistrat, car nous aurions pu ainsi retire l’enfant à sa mère adoptive. Pour pouvoir le faire, il faudrait démontrer que cette fillette possède une véritable mère et que cette dernière la réclame légalement. Nous allons voir ce que madame Picquet dira quand elle saura que nous sommes courant de toutes ces choses ...

En se tournant vers son secrétaire, il ordonna :

— Vous convoquerez madame Picquet pour demain matin à dix heures, accompagnée de la petite fille. (Puis, s’adressant à « oncle Judas » il ajouta : Vous pouvez vous retirer, Monsieur Macaire, mais revenez ici demain matin à dix heures.

— Quant à toi, Pierrot, tu resteras avec nous jusqu’à ce que j’aie décidé ce que l’on fera de toi. Les autorités ne peuvent permettre qu’un enfant de ton âge passe ses journées dans la rue, sans avoir personne pour répondre de tes actes.

Pierrot sursauta et ouvrit de grands yeux désolés.

— Pourquoi, Monsieur le juge ? S’écria-t-il. Quel mal ai-je donc fait ? Protesta-t-il énergiquement. Quelqu’un s’est-il plaint de moi ?

— Ce n’est pas aux autres que tu fais du mal, mon enfant, mais à toi-même. Aussi vais-je essayer de te faire entrer dans un orphelinat.

— Mais je ne veux pas ! S’exclama Pierrot, sur le point de pleurer.

— Tu n’as pas encore l’âge de travailler, petit, reprit très paternellement le magistrat. Tu iras dans un orphelinat, que tu le veuilles ou non. Là, on te donnera l’instruction nécessaire et on t’apprendras un métier. Il faudra te soumettre à la tutelle de l’Etat, puisque tu n’as pas de parents.

Pierrot demeura songeur quelques minutes, puis il déclara :

— Monsieur le juge, je vous préviens que, chaque fois qu’on m’enfermera dans cette espèce de prison, je m’en évaderai !

Malgré lui, le juge sourit. Il aurait dû se montrer plus sévère, mais la forte personnalité de cet enfant de dix ans attirait irrésistiblement toute sa sympathie ; il fit semblant de se fâcher et répliqua :

— Nous agirons de manière à ce que la chose te soit impossible.

— Alors, il faudra m’attacher, parce que je casserai tous les carreaux des fenêtres ! Je n’obéirai à personne, même si on me frappe à coups de bâtons ! Poursuivit le petit garçon dont la voix s’élevait de plus en plus. Ce que je veux, c’est travailler pour devenir riche et me faire restituer tous mes biens !

— De nouveau, le magistrat le fixa avec attention.

— Que veux-tu dire, petit ?

— Je veux parler de l’héritage de mon père, Julien Delorme, héritage qui m’a été volé, expliqua Pierrot.

— Qui donc te l’aurai volé ? Questionna encore le juge.

— Ce bandit de marquis d’Evreux et sa sœur ! S’écria l’enfant, car tout ce qu’il possède m’appartient. Alors, si vous persister à vouloir m’enfermer dans un orphelinat, vous m’empêcherez d’agir et ce brigand gardera mon patrimoine.

— Si tu as des droits, je te trouverai un avocat qui les défendra, déclara le juge avec bonté, mais il te faudra tout de même entrer dans un orphelinat ...

( A SUIVRE LE 31 MAI )

 

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