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LES PRUNES DE L'ONCLE DONATIEN

27 Avril 2012, 09:00am

Publié par nosloisirs

 

LES-PRUNES-.jpegL'oncle Donatien est un ancien militaire. De ses longues années de services et de ses rares campagnes sans péril, il a, avec des manies inhérentes au métier et au célibat, rapporté une santé de fer que conserve un égoïsme féroce.

Deux nièces, filles d'une sœur défunte et peu regrettée, sont avec leurs maris et leurs enfants, toute sa famille. Il habite la campagne et, sous le prétexte que les pavés de la ville lui fatiguent les pieds, il,ne va jamais chez elles. Mais les nièces ne manquent pas de le venir voir dans toutes les circonstances, anniversaires, fêtes, jour de l'an, où il est bienséant de se rappeler que l'oncle Donatien existe. Elles accomplissent ce devoir moins par affection qu'en prévision de l'héritage du vieux soldat. L'âge a éteint en lui toutes passions. Le jardin qu'il cultive, le poulailler dont il surveille les pontes et les couvées fournissent à peu près à sa subsistance. Une chatte et un perroquet vivent de ses restes. Le bonhomme avec un petit bien recueilli de ses parents, jouit d'une pension de retraité dont il doit à peine dépenser le tiers, supputent les nièces, Mme Cottu et Mme Prampart. L'oncle en effet, n'offre jamais un cadeau, ne reçoit personne à sa maigre table et s'habille comme un mendiant. Aux grands jours seulement il offre quelques gouttes d'une liqueur dont l'âpre tanaisie forme la base.

C'est tonique, affirme l'oncle quand ses mijaurées de nièces et leurs moutards rechignent au-dessus du verre qu'il les invite à vider. Les maris, en hommes habitués aux amertumes, absorbent stoïquement la rasade.

Les héritiers pardonnent aisément une ladrerie dont ils bénéficieront un jour. Mais le vieux grognard semble décidé à laisser attendre longtemps sa succession.

Je me sens capable de vous enterrer tous, dit-il parfois, et son rire découvre, sous sa moustache, trois ou quatre longues dents jaunes.

L'oncle Donatien considère ses neveux et ses nièces des intrus qui le dépouilleront après sa mort. Ses intonations, ses gestes, ses regards sont chargés d'une haine qui éclate à tout propos. Il se plaît à contrarier, à contredire, à humilier ses héritiers.

Aussi est-ce avec un plissement mauvais de son œil clignotant que, ce jour e l'an, il frotte contre la joue de ses nièces et des deux enfants une barbe vieille d'une semaine. Les maris ont la chance d'échapper à cette caresse piquante.

Mes amis, vous êtes arrivés comme j'avais procéder à ma toilette pour vous mieux recevoir.

Mais vous être très bien ainsi, affirme gentiment Mme Cottu.

Et Mme Prampart surenchérissant s'extasie sur la bonne mine de l'oncle qu'elle trouve rajeuni.

Hein ça vous embête, riposta l'ancien militaire.

Oh ! Mon oncle, protestent à la fois les deux héritières présomptives.

Allons c'est bien, il ne faut pas que cela vous empêche de trinquer à ma santé.

Toute la famille, qui redoute la liqueur à la tanaisie remercie avec ensemble, cependant que l'oncle sort du placard un bocal de verre sombre.

J'ai fais cela à votre intention, dit Donatien en posant le flacon sur la table.

Il extrait du bocal des prunes vertes comme des choux qu'il arrose d'un liquide incolore.

Ça c'est du nanan, dit-il en écartant ses gros doigts déformés par le jardinage.

On se regarde et sous l’œil de l'oncle qui surveille l'effet, on boit la liqueur et l'on suce la prune. L'alcool est à peine sucré, et la prune résiste à la dent. Les enfants en pleurent. Les nièces sont prises de toux. Les maris philosophes déposent sur le plateau le noyau de leur prune résolument croquée.

C'est fort, dit Mme Cottu, la bouche pleine.

Tu seras encore plus forte qu'elle, puisque tu l'emporteras, ricane l'oncle.

Mme Prampart voudrait bien se débarrasser de la prune qu'elle roule d'une joue à l'autre. Profitant ce que l'oncle tourne le dos, elle l'ensevelit dans son mouchoir. Mme Cottu et les enfants font de même et se félicitent d'une ruse qui leur rend la parole.

Aussitôt les enfants taquinent la chatte sous la table et le perroquet dans sa cage. Les mères les rappellent à la sagesse, sachant que l'oncle n'endure pas qu'on touche à ses bêtes.

La famille se lève pour partir, mais l'oncle, désignant les verres vides, propose une seconde tournée de prunes.

C'est plaisir de vous voir lever le coude. Queues et noyaux, tout y a passé. A la bonne heure, voilà ce que j'appelle avoir de l'estomac. Recommençons.

Tout le monde se récrie et défend son verre. Mais d'une cuiller autoritaire, l'oncle administre à tous une nouvelle prune qui oblige les femmes et les enfants à recourir à leur mouchoir.

Au départ l'oncle Donatien appuie en rechef sa barbe hérissée sur la joue délicate des nièces et de leurs progénitures et reconduit les visiteurs jusqu'à la porte du jardin. En rentrant dans la cuisine il monologue pour la chatte et le perroquet, compagnon élus de sa solitude égoïste.

Dis donc, la Minouche, et toi Jacquot, avez-vous vu leur grimace. J'en ris encore.

Ni Minouche ni Jacquot n'écoutent leur vieux maître. La chatte est occupée sous la table et le perroquet frotte contre les barreaux de sa cage son bec agacé.

Intrigué par leur manège, l'oncle Donatien les observe. Il aperçoit une prune entre les griffes de Minouche et dans la patte crispée de jacquot un second fruit déchiqueté. Ce sont, sans doute, les marmots qui ont jeté leurs prunes. Les enfants ça gaspille toujours. Par habitude d'ordre l'oncle ramasse les prunes et les range sur la table.

Bientôt la contemplation de ces deux fruits fait naître en son esprit des soupçons qu'il tient à éclaircir.

Prenant le chemin qu'on suivi ses neveux, il inspecte les ornières et interroge les ruisseaux. A peine a-t-il marché deux cent pas qu'il a trouvé, semées comme l'eût ait le Petit Poucet, six autres prunes sur la route.

L'oncle calcula. Ils éraient là six croquants à qui il donna douze prunes ; quatre aux maris, qui ont d'ailleurs laissé les noyaux sur l'assiette. Quatre de douze restent huit. Donc, deux prunes découvertes à la cuisine et six qu'il tenait à la main, le compte y est. Les nièces et les moutards n'ont pas mangé leurs prunes. L'oncle comprend . De retour à la cuisine il remet dans le bocal les huit prunes déjà sucées couvertes de poussière.

Ah ! Les bougres ! ils les auront à leur prochaine visite et ils les avaleront. Je leur demanderai plutôt les noyaux. On ne la lui fait pas deux fois, la barbe de tonton Donatien.

Il enfonce d'un poing rageur le bouchon du bocal.

J'ajouterai même du tord boyau plus carabiné pour leur donner du vitriol à boire à ces gueules sucrées-là qui crachent mes bonnes prunes sur les chemins. Et s'ils refusent d'avaler, je les déshérite.

Ses longues et rares dents jaunes apparaissent cruellement sous sa moustache grise dans un rie vengeur.

                                                              REVUE NOS LOISIRS DU 5 AVRIL 1908

 

 

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