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LE PAPYRUS DE PÉTUBASTÈS

29 Mai 2012, 09:00am

Publié par nosloisirs

 

 

LE PAPYRUS DE PETUBASTES

Histoire fantastique par Lucien MONTCLAR

 

 

papyrus-01-.jpegL'amour et la cupidité ne sont pas les seuls passions qui puissent pousser les hommes à la haine et au meurtre. La science qui a ses martyrs a aussi ses ambitieux. Vous verrez en lissant cette fantastique et pourtant vraisemblable histoire, que la folie de la gloire peut être la plus cruelle de toutes.

 

Depuis tantôt quarante ans que Nanette était au service de M. Maret, celui-ci ne lui avait donné un motif de mécontentement. Lui vieux savant égyptologue, elle vieille gouvernante, il écoutait, dans une atmosphère de quasi recueillement, une vie faite de travail paisibles et d'habitude strictes.

Or, Nanette s'aperçut un jour que son maître se dérangeait. En proie à une vive exaltation, il marmottait tout le jour des paroles étranges, il se levait la nuit pour travailler, sortait en ville avec des costumes si fantaisistes que seules d'invraisemblables distractions les pouvaient s'expliquer, en un mot bouleversait comme à plaisir les habitudes les lus sacrées.

Indifférent aux reproches que sa conduite lui attirait chaque jour, M. Maret semblait possédé par une idée fixe. Nanette dans sa cuisine, était donc livrée aux plus tristes réflexions sur l'instabilité du bonheur des pauvres gouvernantes quand Monsieur descendit de son musée.

Nanette, dit-il, je vais chez M. Bonnières.

Et sans plus s’occuper de la mine renfrognée qui lui faisait réponse, il sortit.

Serrant sa serviette contre lui, comme si les paisibles promeneurs du Mail eussent été capables de la lui enlever de force, il arriva à la porte de Bonnières, son vieil ami et confrère en égyptologie. Là, s'arrêtant, hésitant, visiblement saisi d'une crainte et d'un regret. Brusquement il se décida et sonna. Le sort en été jeté !

 

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Séphora la vieille servante de M. Bonnières, déjà prévenue par Nanette des lubies de son maître, vint lui ouvrit avec une moue de mépris. M. Maret ne la vit même pas et se précipita dans le bureau de son ami.

Dès l'abord celui-ci, remarquant son exaltation, s'enquit, inquiet de sa santé. Il s'agissait bien de cela.

Mon ami, lui déclara M. Maret sans autre préambule, je suis en possession d'un secret inouï, qui peut m'assurer une gloire immortelle, et je viens réclamer votre aide pour la conquérir.

Et tandis que  Bonnières le regardait avec une stupeur mêlée de crainte :

Voilà ! J'ai trouvé dans les papier d'un vieux soldat de l'expédition d'Égypte un papyrus. Ce papyrus révèle l'emplacement et la disposition exact du tombeau de Pétubastès.

Il s'arrêta, jouissant de son effet. Cet effet fut immédiat. Au seul nom de Pétubastès M. Bonnières bondit. Pétubastès ! Répéta-t-il, Pétubastès ! Une énigme de l'antique Égypte ! Pétubastès, se pharaon de la 23e dynastie...dont...Ah !...

Mais subitement son exaltation tomba et fit place à l'incrédulité. Un tel manuscrit était impossible, le fait de déceler le secret d'une tombe royale étant radialement contraire aux coutumes des Égyptiens et incompatible avec les croyances religieuses de ce peuple.

Avec l'ardeur de la conviction, M. Maret prouva l'authenticité de son papyrus. Ils l'étudièrent tous deux, et Bonnières doit reconnaître que nulle trace de fraude n'apparaissait. Ce dernier était à moitié gagné, il proposa quelques objections pour la forme ; mais bientôt, conquis par l'éloquence de son ami, il partageait son enthousiasme et sa conviction. Mais que faire ? Livrer le secret aux compagnies officielles ? A l'administration ? Ce fut au tour de M. Maret de sursauter. Il entendait profiter seul de sa découverte.

Il fallait aller chercher la momie, déchiffrer le papyrus et les inscriptions que l'on trouverait dans le tombeau, puis revenir en France, présenter la momie au monde savant, tandis qu'un mémoire documenté révolutionnerait l'histoire des pharaons. Ainsi conduite l’œuvre devait assurer la gloire à ses auteurs.

Séduit par ce plan hardi M. Bonnières se leva comme pour un départ immédiat et jura qu'il ne reviendrait en France, qu'avec Pétubastès, ou mort. M. Maret sourit d'un air contraint, une telle ardeur le gênait, quoiqu'il eût été déçu de ne pas la provoquer. Sa joie se nuançait d'une amertume de ce qu'il n'était plus seul à posséder. Sésame du tombeau de Pétubastès.

Sans plus attendre, ils conspirèrent le départ. En huit jours, leurs préparatifs terminés, ils partaient soi-disant pour un congrès d'égyptologues tenu à Paris. Au départ Nanette et Séphora montrèrent un maintien digne exempt de faiblesse ; elles refusèrent d'accompagner leurs maîtres à la gare et de sanctionner par leur présence une entreprise aussi folle qu'un voyage à l'âge de M. Maret et de M. Bonnières. Cette abstention leur devait être dans l'avenir, une suprême consolation ; elles n'avaient eu aucune part dans l'aventure où les deux savants disparurent mystérieusement.

 

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Sur le paquebot qui les emmenait en Égypte les deux vieillards vivaient à l'écart. Tout le jour, ils s'entretenaient de leur momie et des moyens propres à frauder la douane et les Fouilles et, à mesure qu'ils approchaient, leur foi se fortifiait dans une heureuse issue de leur entreprise.

 

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Cependant l'angoisse qui avait assailli M. Maret lorsqu'il lui avait fallu livrer son secret, renaissait plus vive. D'abord son ami avait dit en parlant de la momie « votre momie » puis ensuite « la momie », maintenant il ne causait plus que de « notre momie ». Cette prétention quoique légitime, révoltait M. Maret ; mais sauf l'insistance qu'il mettait à dire « ma momie », il n'en laissait rien voir.

Quand ils furent à Alexandrie, achevant leurs préparatifs, M. Bonnières était plus impatient que M. Maret. Celui-ci désespéré, vivait en des transes continuelles. Joindre à l'influence énervante du climat l'idée du partage inéluctable et prochain de sa gloire troublait ses veilles. Ses rares instants de sommeil étaient traversés de rêves étranges. Tantôt c'était dans le tombeau de Pétubastès M. Bonnières qui l'écartait du sarcophage y prétendait y toucher seul ; tantôt c'était une séance à l'Académie où l'on acclamait Bonnières, le célèbre historien de Pétubastès ; tantôt enfin c'était une momie placée dans une salle d'honneur d'un musée, et il lisait avec horreur, sur une étiquette : « Momie de Pétubastès pharaon de la 23e dynastie l'obsession persistait au réveil et M. Maret souffrait et parfois il pleurait lentement et silencieusement. Il se tourmenta si bien qu'un jour, le vieillard s'étonna de découvrir qu'il haïssait son ami. Ce n'était pas un mécontentement passer, mais une haine sourde et profonde. Il la sentait monter, chaque jour plus violente, contre ce compagnon qu'il s'était donné et qui s'attachait à lui comme le complice d'un criminel, irrésistiblement.

Mais d'autre soucis l'absorbèrent. Surveillée par une administration tracassière et vénale les deux égyptologues durent acheter des silences et Allah seul sait combien il n'en présenta à vendre. Enfin ils équipèrent une dahabieh (1), embarquèrent leur matériel et remontèrent le Nil.

 

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A Esdeh de nuit, la dahabieh s'arrêta. Là se trouva le tombeau, il fallu à nouveau des complaisances et dérouter des curiosités indiscrètes. Le terrain repéré, un soir vint qu'ils tentèrent l'aventure

Les travailleurs fouillaient le terrain quand un pic, en vibrant, fit voler une étincelle. La pierre était atteinte. Tandis qu'on découvrait l'orifice du puits les savants s'entre-regardèrent en poussant un cri de joie. Une échelle fixée, un ouvrier porteur de torche descendit ; mais comme M. Bonnières dans sa hâte mettait le pied sur le premier échelon, M. Maret un défi dans les yeux, une menace dans le geste, le saisi par la manche et violemment l'écarta du puits.

Moi d'abord, dit-il.

M. Bonnières quoique légèrement étonné, le laissa passer. Quand les deux vieillards et leurs ouvriers furent réunis au bat du puits, ils s'organisèrent ; puis après s'être orienté , M. Maret prit la direction de la petite troupe.

Sur la foi du papyrus, ils avancèrent sans hésitation. Sous l'attaque convenue du pic ou du levier les pierres basculaient et leur livraient passage. Longtemps ils parcourent le dédale souterrain sans qu'un obstacle imprévu vint les arrêter ni que le guide marquât une hésitation. Les ouvriers s'étonnèrent ; a un moment ils refusèrent de suivre les savants. Une crainte superstitieuse les éloignait de ces hommes qui violaient le secret des tombes avec une telle sûreté et qui semblaient refaire dans ce labyrinthe inexploré un chemin familier à leurs pas. Redoutant quelque magie où maléfice, ils retournèrent. Rien ne put les retenir, prière ou menace. Les deux savants restaient seuls. Pas un instant ils ne songèrent à abandonner l'entreprise qu'elle fut devenue singulièrement hasardeuse. Munis de lampes électriques, ils reprirent leurs marche. Les puits se multipliaient, qu'il fallait franchir, mais les vieillards ne sentaient point la fatigue ; au reste, ils touchaient au but. Un couloir déclive apparut et au fond un portique sculpté et peint. Le pieux constructeur de l'hypogée, conscient d'avoir dérouté depuis longtemps le violateur possible, n'avait plus songé qu'à réaliser la demeure somptueuse digne du dieu qu'il allait habiter. Au fronton du portique, l'urœus aux ailes déployées enserrait de ses griffes le cartouche royal. Le papyrus n'avait pas menti, partout les inscriptions disaient la gloire de Pétubastès, le pharaon de la 23e dynastie.

Le cœur battant, la gorge sèche, la respiration haletante, les deux hommes s'arrêtèrent. Un instant ils crurent rêver. Était-ce possible ? Était-ce vrai ?

Malgré leur émoi ils franchirent le seuil, sous l’œil mauvais des cynocéphales géants sculptés au mur, et entrèrent dans la salle du double. Hypnotisés, les deux savants ne voyaient plus rien que la porte qui conduisait à la chambre mortuaire. A ce moment une angoisse insensée étreignit M. Maret. Si le manuscrit l'avait trompé. S'ils allaient trouver une salle vide ? Cette crainte domina sa terreur et il gagna la porte suivit de son ami. Le sarcophage était là.

Ils y coururent tous deux en poussant un cri. Soudain ils s'arrêtèrent, tremblants de frayeur. Dans ces solitudes souterraines ou le bruit seul des pas sur les dalles éveille un écho sonore et prolongé, le cri d'enthousiasme des savants avait déchaîné une tempête hurlante. Par rafales, ils l'entendaient gronder dans les puits comme aux tuyaux d'un orgue, s'amplifier en un roulement de tonnerre pour s'éteindre par degré.

M. Bonnières blêmi, défaillant et dû s'accrocher au sarcophage pour ne pas tomber. En une seconde M. Maret qui le guettait revit son rêve ; son ami s'écartant du sarcophage et prétendant y toucher seul. Épuisée par les émotions du voyage la pauvre cervelle de M. Maret ne put résister à cette dernière vision. Devenu fort furieux, le savant bondit d'une détente sur son ami. Je saisis au cou entre ses doigts crispés et le coucha sur le sarcophage. Alors sans lâcher prise, il eut un éclat de rire cruel et dont le timbre suraigu eût fait frisonner de peur quiconque l'eût entendu. Puis le malheureux sembla se calmer. Mais bientôt repris d'un accès de rage, secouant la dépouille inerte de son ami, il lui cria au visage :

 

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Voleur ! Voleur ! Tu voulais me tuer pour garder mon secret, hein ! Tu a touché le sarcophage avant moi, mais c'est « ma momie », « ma momie », entends-tu et non 'notre momie «  comme tu disais.

M. Bonnières surpris, ne se défendit pas et quand M. Maret desserra son étreinte, il glissa à terre doucement. Le drame n'avait pas duré deux minutes. Assis près du cadavre de son ami, le meurtrier, hébété, répétait d'une voix blanche.

Il a touché le sarcophage avant moi, alors je ne pouvais pas... je ne pouvais pas.

Après un long temps il se leva, traîna le cadavre auprès d'un puits et l'y précipita. Il restait là, stupide, quand un éblouissement lui vint. Cloué auprès du puits il sentit le vertige lui vider la cervelle, il chancela et, les bras en croix, s'écroula. Des doigts qui se crispent au rebord du puits, un tournoiement rapide dans le vide, un hurlement qui fit ricaner de joie les cynocéphales de pierre, puis le silence pesant et calme.

 

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La-haut la nuit tombait. Une nuit égyptienne dont la splendeur bleue perce le cœur d'une angoisse infinie. A la rive noire du Nil, les dahabiehs flottantes grinçaient de leurs amarres et s'entre-choquaient au gré du courant. Au pronaos d'un temple baigné de lune, un fellah chantait une étrange et plaintive mélopée où passait la tristesse des dieux disparus. Depuis un jour passé les travailleurs loués par les savants s'étaient enfuis, craignant un drame ou un accident. La tombe gardait son secret.

Le secret gardé par la tombe le fut aussi par les hommes. Jamais plus on n'entendis parler de deux savants. Avec eux disparut à jamais le papyrus unique qui indiquait l'emplacement et la disposition exacts du tombeau de Pétubastès.

 

(1) Les dahabiehs sont des bateaux spécifiques à l'Égypte comme les sandals et les Felouques plus petits

 

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REVUE NOS LOISIRS DU 19 AVRIL 1908

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