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MOINEAUX SANS NID N° 205

28 Novembre 2012, 09:00am

Publié par nosloisirs

 

CHAPITRE-205--.jpegJe te dis, Alice, qu’il n’y est pas ! Affirma énergiquement Anselme. J’y suis allé trois nuits de suite, muni d’une torche électrique au risque de me faire prendre pour un malfaiteur. Je n’ai trouvé aucune trace de ce sacré testament !

— Tu as mal cherché, déclara Alice avec entêtement.

— J’ai regardé et fouillé tous les meubles et tous les coins du logement. Je n’ai rien négligé, mais en vain, te dis-je !

Anselme ne put convaincre sa sœur.

— Non, répéta-t-elle, je suis sûre que tu n’as pas bien cherché. Ce gamin a caché le testament dans un endroit où tu n’es pas allé.

— Puisque j’ai fouillé partout !

Alice ne répondit pas tout de suite. Puis elle demanda brusquement :

— As-tu pensé à soulever les carreaux du sol ?

— Certainement j’en ai soulevé trois ou quatre, répliqua le marquis, agacé.

— Trois ou quatre ! S’exclama Alice avec mépris, et tu appelles ça procéder à une fouille complète !

Cette réponse fit bondit Anselme.

— Tu ne vas tout de même pas me demander de retourner tous les carreaux de son logement ! S’exclama-t-il avec un rire sarcastique.

— Evidemment, ça ne peut être entrepris en une nuit, mais bien en une semaine, ajouta-t-elle en levant sur son frère un regard autoritaire.

— Ecoute, Alice, protesta Anselme, furieux, ce garçon n’est pas un idiot !

— Je le sais, répondit-elle, très froidement.

— Et puis, il rentre aux heures les plus inattendues, parfois après minuit, parfois à onze heures et même à dix !... De plus, la concierge monte souvent pour lui porter un petit repas. Alors, tu vois combien ce que tu me demandes peut-être dangereux !

— Oui, je vois, murmura-t-elle ironiquement, d’autant plus qu’il existe un autre et insurmontable obstacle !

Anselme la fixa, perplexe, et ajouta étonné :

— De quoi veux-tu parler, Alice ?

— De ta peur, répliqua-t-elle avec un accent méprisant.

— Qu’est-ce que tu dis ? S’indigna le marquis.

— Je dis et répète que tu as peur et c’est ce qui te paralyse ! Reprit Alice méchamment.

— tu es réellement très injuste envers moi, Alice ! Murmura le marquis, amèrement.

— Non ! Et du dois admettre, car il s’agit pour nous d’un enjeu trop important pour négliger quoi que ce soit !

— Je t’assure, Alice, que je n’ai pas du tout peur ! Affirma énergiquement le marquis.

— Je ne demande qu’à te croire, mon ami, mais hélas ! Je sais bien que je ne me trompe pas, soupira la jeune femme, et que tu as peur de cet enfant !

Un éclair de haine passa dans les yeux d’Anselme. Il fixa longuement sa sœur, puis lui demanda, tout à coup :

— Veux-tu que je le tue pour te prouver le contraire ?

Alice se leva pour aller chercher dans le tiroir de son secrétaire un paquet de cigarettes. Puis après en avoir allumé une et tiré quelques bouffées elle déclara :

— Oui ! Je crois, que c’est l’unique chose qu’il nous reste à faire, mon pauvre vieux !

Anselme blêmit et baissa la tête. Il venait d’être pris à son propre piège.

— Un crime t’effraie donc à un tel point ? Glissa Alice d’une voix ironique.

— Je ne puis le nier, reconnut le marquis.

— Alors, reprit-elle d’une voix suave, il nous faut dès à présent renoncer à jamais aux joies de ce bas monde et apprendre à vivre misérablement !

— Qu’est-ce que tu vas chercher maintenant ? S’écria Anselme, très énervé.

— Ecoute-moi et laisse-toi guider par moi sans se soucier de rien, fit tout à coup la jeune femme, en posant sa main sur le bras du marquis.

— Bien, parle ! Répondit son frère.

— Je suis certaine que Robert n’a pas emporté avec lui le testament de notre oncle, reprit la jeune femme avec obstination.

— Mais, enfin, qu’est-ce qui te fait affirmer cela ? Questionna Anselme qui recommençait à s’énerver.

— C’est un garçon peu enclin à courir le risque de perdre une chose qui ne lui appartient pas ! Tu ne le connais réellement pas, mon cher, déclara mademoiselle d’Evreux.

— Admettons ! Et que décides-tu alors ? Interrogea le marquis impatient de connaître la nouvelle idée de sa sœur.

— Comme Robert a sûrement confié ce précieux papier à Pierrot en qui il a une entière confiance et qu’il sait être intelligent et rusé ...

— Enfin, où veux-tu en venir, et où penses-tu que ce petit ait caché le testament ? Interrompit Anselme à bout de patience.

— Mais chez lui ! Affirma de nouveau Alice.

— Je viens, pourtant, de te dire que j’ai fouillé partout ! Nous n’allons pas recommencer ! S’écria le marquis très en colère.

— Bien ! Bien ! Ne te fâche pas. Ce n’est d’ailleurs pas du tout de cela que je voulais t’entretenir, répliqua avec calme Alice.

— Alors, qu’est-ce que c’est ?

— Approche Anselme, murmura la jeune femme gravement, je vais te le confier tout bas à l’oreille, car même les murs ne doivent pas entendre ce que j’ai à te dire.

Et la diabolique jeune femme passa son bras autour du cou de son frère et lui parla longuement à voix basse.

Au fur et à mesure qu’elle exposait son projet, le visage du marquis se faisait de plus en plus sombre.

— Alice ! S’écria-t-il épouvanté.

— Tu as donc peur d’exécuter ce que je te propose ? S’indigna-t-elle.

— Non ! Mais ...

— Alors ?

— Rien ! Rien ! Répondit-il, résigné. Je t’obéirai aveuglément, dussé-je finir sur la guillotine !

— N’exagère pas, répliqua Alice en riant.

— Alors ... puisque c’est décidé, poursuivit Anselme d’une voix caverneuse, quand faudra-t-il agir ?

— Demain, déclara résolument Alice.

— C’est entendu !

— Voilà comment je t’aime ! S’exclama la jeune femme, ravie.

— Je suis heureux de te satisfaire ! Murmura le marquis d’une voix lasse. A plus tard, Alice !

Il quitta le boudoir de cette femme dont la perverse cruauté ne possédait pas de limite.

Le lendemain, le marquis d’Evreux entra dans l’immeuble où habitait Ernest Dubois, un volumineux paquet sous le bras.

— Vous avez l’air bien fier, aujourd’hui, Monsieur Dubois, remarqua la concierge, surgissant de sa loge, en le voyant se diriger vers l’escalier.

— Bonjour, Madame, répondit le marquis, en lui adressant son plus aimable sourire.

— Vous portez sans doute un cadeau pour votre femme ? Demanda-t-elle en désignant le paquet.

— Non ! Non ! Répondit Anselme, souriant toujours, ce ne sont que des échantillons de grains étrangers, expliqua-t-il en gagnant l’escalier.

« Maudite curieuse » Ronchonna-t-il en rentrant chez lui et en déposant son paquet sur la table.

Il ressortit un peu plus tard et fut de nouveau accaparé par la concierge.

— Voudriez-vous demain matin, en apportant le café, ajouter deux sandwiches au jambon, demanda-t-il car je pars en voyage pour quelques jours.

— Ah ! Et où allez-vous ? Demanda la concierge.

— En Normandie, répondit évasivement Anselme.

— Et quand rentrera votre femme ?

— Ma foi, je n’en sais trop rien.

— Il me tarde de la connaître, déclara la femme.

Anselme sourit.

— N’aimeriez-vous pas que je vous apporte aussi des croissants demain matin, monsieur Dubois ? Demanda très aimablement la concierge.

— Non, ce n’est pas la peine. Deux sandwiches et un café me suffiront. Je n’ai pas un gros appétit, répondit le marquis désirant couper court.

— Vous êtes comme mon mari, remarqua la bavarde.

— Tenez, Madame, prenez cet argent pour vous dédommager de tout le tracas que je vous cause, dit Anselme, agacé, en lui remettant deux billets de cent francs.

— Mais c’est beaucoup trop, Monsieur ! S’exclama la brave femme.

— Non ! Non, insista généreusement Anselme.

— Je ne sais vraiment comment vous remercier de toutes vos bontés, ajouta la concierge un peu confuse.

— Je vous en prie ! Maintenant, excusez-moi, je suis assez pressé. Au revoir, Madame.

En refermant la porte de la loge, le frère d’Alice bondit dans la rue.

Le lendemain matin à huit heures très précises, la naïve femme lui apporta du café ainsi que les sandwiches demandés. Anselme la remercia tandis qu’elle proposait de revenir prendre le plateau après son départ. Elle en profiterait, s’il le désirait, pour donner un petit coup de balai.

— Ne vous dérangez surtout pas de nouveau, répondit aimablement le marquis d’Evreux. Je vous redescendrai ce plateau en partant ; quant au coup de balai, je crois qu’il vaudra mieux que vous le donniez lundi en huit avant mon retour.
Une heure plus tard, Ernest Dubois frappait à la loge, où la concierge, des ciseaux dans la main, était occupée à tailler une robe en s’aidant d’un patron.

— Merci beaucoup, Monsieur, dit-elle au marquis, je vous souhaite un bon voyage ... Mais, mon Dieu ! Qu’avez-vous donc, monsieur Dubois, seriez-vous malade ?

— Non ! Pas du tout, bredouilla Anselme qui était effectivement livide.

— Vous êtes tout pâle !

— Je me porte à merveille, je vous l’assure, affirma le frère d’Alice, piétinant d’impatience.

— Alors, tant mieux, et bon voyage ! Répondit-elle en le dévisageant, nullement convaincue.

— Mon Dieu ! S’exclama vivement Anselme, je suis très en retard pour mon train ! Au revoir, Madame.

— Au revoir !

Mais son nouveau locataire ne l’entendit pas. Il venait de refermer presque violemment la porte vitrée de la loge. La femme sursauta, haussa les épaules et s’affaira de nouveau autour de sa table, attentive à bien poser à plat son tissu sur le patron.

Une jeune femme ouvrit la porte de la loge, après avoir frappé timidement.

— Madame, hasarda-t-elle, mon mari arrive et je vais l’attendre à la gare de l’Est. Mon petit garçon est très enrhumé et comme il dort, j’en ai profité pour sortir. Je ne pense pas être longtemps absente, mais voudriez-vous monter une ou deux fois pour le rassurer s’il se réveillait. Voici ma clé.

— Allez ! Allez vite, madame Moustier, et vous pouvez compter sur moi ! Affirma en souriant la brave femme.

— Merci infiniment et au revoir, Madame, répondit la jeune femme avant de refermer la porte.

La concierge qui avait achevé de couper son tissu, se mit à bâtir sa robe à grands points.

Il y avait à peu près deux heures qu’elle travaillait lorsque brusquement elle regarda autour d’elle avec inquiétude en humant l’air. Soudain, elle se leva, effrayée.

— Ciel ! Quelle odeur de fumée ! S’exclama-t-elle bouleversée. Mon Dieu ! On dirait que ça vient de l’escalier !

Elle se précipita hors de la loge et s’aperçut tout de suite qu’elle ne s’était pas trompée.

Une fumée âcre tourbillonnait dans l’escalier, comme poussée par un courant d’air.

A cette vue, la femme terrorisée se sentit pétrifiée sur place, incapable de bouger.

— Seigneur ! Balbutia-t-elle sur le point de s’évanouir.

Elle se domina et s’élança dans l’escalier où de minute en minute, la fumée se faisait plus épaisse et plus suffocante.

 

( A SUIVRE LE 1er DÉCEMBRE )

 

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