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MOINEAUX SANS NID N° 187

5 Octobre 2012, 09:00am

Publié par nosloisirs

 

CHAPITRE-187--.jpegPourtant, madame Gérard était une femme fort prudente ...

Malgré la très logique explication fournie par Claude Lornier, elle ne cessa de s’agiter dans son lit toute la nuit. Incapable de trouver le sommeil, songeant continuellement au si désagréable incident de la journée.

Ce qui tourmentait aussi la mère de Christine, c’était la visite de mademoiselle d’Evreux, dont la grande beauté l’avait vivement frappée.

Incontestablement il s’agissait bien d’affaires entre la jeune et très élégante visiteuse et Claude Lornier, mais qui pouvait affirmer que, s’ils se revoyaient de temps à autre, le fiancé de sa fille ne subirait pas le charme incontestable de cette merveilleuse femme ?

Madame Gérard songea brusquement qu’elle ferait bien de parer à un tel danger, et le plus vite possible.

Aussi le lendemain matin, sans parler à personne de ses intentions, elle se rendit à la prison où elle demanda à parler au directeur. Comme il n’était pas encore arrivé, il lui fut proposé de voir son secrétaire particulier.

Mais la mère de Christine refusa énergiquement, on s’en doute, puisqu’elle avait justement l’intention de confier au directeur de la prison certains détails concernant Lornier.

Elle attendit donc patiemment durant plus d’une heure avant de pénétrer dans le bureau directorial.

— Comment, Madame ? Encore vous ?

C’est par ces mots que l’accueillit le directeur de la prison, très agacé d’une nouvelle visite de la femme qui, quelques jours auparavant était venue se plaindre de la conduite de son secrétaire envers sa fille ...

— Que désirez-vous ? fit-il d’un ton sec.

— Excusez-moi, Monsieur de venir vous déranger de nouveau commença madame Gérard sans se démonter, mais j’ai le devoir de vous mettre au courant d’un incident très désagréable concernant encore monsieur Lornier.

Le directeur ne put retenir un geste de contrariété.

— Prenez garde à ce que vous allez dire, Madame, répliqua-t-il avec sévérité. La vie privée de me subordonnée ne me regarde pas et je ...

— Attendez de m’avoir entendue, interrompît la visiteuse, car je suis certaine que lorsque vous saurez ce qui est arrivé, vous serez forcé d’intervenir.

Alors avec force détails elle lui rapporta l’événement de la veille, c’est-à-dire la terrible bagarre qui avait opposé Grégoire et Claude Lornier.

— Evidemment c’est un fait sérieux observa gravement le directeur de la prison. Toutefois je ne comprends pas la raison qui vous a poussée à venir m’en parler ... En outre, sachez, Madame, que je suis toujours informé le premier des agissements répréhensibles de mon personnel, acheva-t-il ironiquement en lui montrant un papier posé sur sa table.

— Voici le rapport de monsieur Lornier concernant précisément ce que vous venez de me raconter. Je pense que vous êtes suffisamment intelligente, Madame, pour admettre que je ne puis tolérer des interventions étrangères concernant des questions qui ne regardent que nous ! Je vous ...

— Vous ne m’avez donc pas comprise, Monsieur le directeur, interrompit de nouveau la mère de Christine en hochant la tête d’un air désolé. Je ne suis pas venue vous trouver pour vous demander de punir ce gardien qui était certainement pris de boisson, mais je tiens à ce que monsieur Lornier soit laissé en paix, car il ne tardera pas à épouser ma fille et je ne voudrais pas qu’à la suite d’incidents de ce genre, ce mariage soit compromis !

Le directeur donna un grand coup de poing sur son bureau.

— Cela suffit, Madame, s’exclama-t-il d’une voix tonnante. Je vous répète que la vie privée de mes employés ne me regarde pas. Et si vous voulez tout savoir, monsieur Lornier lui-même m’a confié il y a très peu de temps encore, que cette union ne lui plaisait guère ... Mais c’est son affaire !... Que voulez-vous d’autre de moi ? J’ai bien autre chose à faire à présent, aussi je vous prie de bien vouloir me laisser travailler !

Madame Gérard se tut, tout d’abord interdite, mais elle eut vite fait de se ressaisir et déclara l’air offensé :

— Monsieur, vous avez en face de vous une mère que l’avenir de sa fille tourmente. Ce qui est arrivé hier m’effraye beaucoup, car je crains que la paix de ce futur ménage ne soit menacée. J’ai déduit, après avoir longuement réfléchi, que monsieur Lornier n’est pas insensible aux charmes d’une femme fort jolie et, par-dessus le marché, très intrigante, pour laquelle votre gardien a perdu la tête au point de commettre cette agression. Je suis donc venue vous demander, Monsieur le directeur, de vous arranger de façon à ce que vos employés ne manquent pas à leur devoir, car vous ignorez certainement, Monsieur que cette femme essaya en ce moment d’obtenir par des moyens illicites ce qu’elle ne parvient pas à avoir régulièrement.

Cette fois son interlocuteur l’examina avec plus d’attention.

— Que voulez-vous insinuer, Madame ? Questionna-t-il en se penchant vers elle par-dessus son bureau.

— Ceci, Monsieur : que votre secrétaire pour conquérir cette espèce de pimbêche lui a promis d’obtenir une autorisation qui lui permettra d’avoir une entrevue avec un détenu, autorisation qui n’a rien de régulier !

— Etes-vous bien sûre de ce que vous avancez, Madame ?

— Pourquoi ne vous renseignez-vous pas auprès de votre secrétaire ? Suggéra la mère de Christine très calmement. D’ailleurs, je crois que votre gardien doit être lui aussi, au courant de cette affaire.

Le directeur de la prison garda le silence. Il demeura quelques minutes songeur, tambourinant nerveusement de ses doigts son buvard de cuir, puis, levant de nouveau les yeux sur madame Gérard, il déclara :

— Très bien, Madame. Je vous remercie de vos renseignements. Je ne sais trop où vous voulez en venir avec ces déclarations, mais je vais agir comme le commande mon devoir ...

— Je désire seulement arriver à empêcher, Monsieur, que le futur mari de ma fille ne soit attiré par de dangereuses tentations, s’empressa de répondre madame Gérard en souriant. Je suis sûre que vous comprendrez mon inquiétude. Je tiens à ce que ces jeunes gens se marient le plus vite possible. Ensuite, je saurai intervenir s’il le faut, au moment que je jugerai opportun.

L’homme la dévisagea très étonné.

— Et vous désirez que je vous aide ?

— Je ne vois pas lire mal qu’il y aurait cela ! Remarqua-t-elle un peu intimidée.

— Mais c’est impossible, Madame ! Je vous remercie je vous le répète de vos renseignements mais je ne puis régler que ce qui concerne l’ordre dans cette maison et la discipline de mes subordonnés. Le reste ne concerne que vous seule.

Et il se leva pour lui faire comprendre que l’entretien était terminé.

Madame Gérard le remercia froidement et s’en alla, certaine d’avoir manœuvré de façon à empêcher Lornier de commettre des sottises. Elle quitta la prison, persuadée d’avoir à présent, définitivement lié le destin de sa fille à celui du secrétaire du triste établissement ...

Mais les événements n’allaient pas tarder à lui apporter une bien amère surprise.

Après son départ le directeur réfléchit encore, puis décida de parler de l’incident aux deux principaux intéressés, c’est-à-dire son secrétaire particulier, Claude Lornier, et Grégoire Morel, l’un des gardiens.

Il les fit appeler, mais seul Lornier se présenta ; Grégoire n’était pas venu assurer son travail et nul ne savait où il était.

Il y eut entre le directeur et son secrétaire une très vive discussion. Lornier, regagna ensuite son bureau, profondément humilié et en proie à la plus vive inquiétude, parce que son supérieur s’était montré inflexible et l’avait menacé des plus graves sanctions.

Claude Lornier avait bien tenté de se justifier, rejetant la responsabilité de la bagarre sur Grégoire, mais il ne put rien trouver à répondre lorsque le directeur l’accusa de délivrer de fausses autorisations pour permettre des visites à certains détenus.

A la fin de la soirée, il fut de nouveau convoqué par son supérieur.

— Votre faute étant très grave, j’ai décidé d’envoyer un rapport détaillé au Ministère de la Justice, annonça le directeur sans accorder un regard à Claude, car je ne peux pas fermer les yeux sur une telle histoire. Nous verrons ce qui sera décidé en haut lieu. Si on se montre indulgent, tant mieux pour vous. Dans le cas contraire, je n’aurai pas à me reprocher d’avoir été personnellement trop sévère.

Lornier quitta le bureau l’oreille basse, maudissant sa malchance. Il était surtout furieux contre Grégoire qu’il espérait revoir pour lui donner la leçon qu’il méritait. Mais il lui fut impossible de le rencontrer ni ce soir là, ni le lendemain, car Grégoire Morel ne se présenta pas à la prison, si bien que le gardien-chef envoya quelqu’un chez lui, mais en vain ; Morel n’avait pas été vu à son domicile.

Le directeur transmit un nouveau rapport à ses supérieurs, spécifiant tout ce qui s’était passé. Et le résultat de tout cela ne se fit guère attendre ; à la fin de la semaine, alors que Lornier pensait que tout finirait certainement par s’arranger et qu’il pourrait peut-être s’en sortir avec un simple blâme, il fut de nouveau appelé dans le bureau directorial.

Son chef le reçut debout, un papier à la main.

— Vous m’avez demandé, Monsieur le directeur ? S’enquit aimablement Lornier.

L’autre le dévisagea sévèrement, puis déclara d’une voix glaciale :

— Je dois vous faire connaître le sort qui vous a été réservé Lornier. Ne m’en veuillez pas ; j’ai laissé à mes supérieurs le soin de vous juger ...

Lornier pâlit et se mit à trembler. Il passa à deux reprises sa langue sur ses lèvres sèches avant de pouvoir parler, puis il bredouilla :

— Qu’a-t-il donc été décidé, Monsieur ?

— Vous avez été remis à la disposition du Ministère de la Guerre et vous devrez sans doute rejoindre au plus vite votre régiment, répondit le directeur.

Lornier étouffa un juron.

— Comment ? S’exclama-t-il épouvanté.

— Vos fonctions ici cessent immédiatement Lornier, reprit son chef et vous devrez à trois heures de l’après-midi aujourd’hui même, vous présenter à la caserne de Reuilly avec votre livret militaire. Adieu donc Lornier, et bonne chance !

Le malheureux quitta le bureau sans un mot. Il tenait à peine sur ses jambes et se sentait profondément humilié. Le même sort avait été réservé à Grégoire, il devait l’apprendre par le gardien-chef quelques instants plus tard.

Quant à madame Gérard son espoir de voir sa fille bientôt mariée s’effondra, mais elle se consola en se disant que Lornier épouserait Christine à sa première permission .

 

( A SUIVRE LE 8 OCTOBRE )

 

 

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