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MOINEAUX SANS NID N° 160

15 Juillet 2012, 09:00am

Publié par nosloisirs

 

CHAPITRE-160--.jpegLes bruits de guerre allaient grandissant et l’angoisse se glissait dans tous les cœurs, tandis que les chancelleries et ministères d’Europe rivalisaient d’activité.

Les pays mobilisaient et des classes entières étaient rappelées sous les drapeaux. L’atmosphère était pleine d’anxiété et de tension.

En ces jours qui précédaient une nouvelle et terrible guerre, le public se montrait de plus en plus avide de nouvelles et les journaux sortaient plusieurs éditions par jour, aussitôt vendues.

Pierrot, on le sait, avait le sens des affaires. Tout en continuant à vendre primeurs et fruits, il remarqua ce qui se passait et décida de reprendre son milieu de vendeur de journaux. Aussi, le soir même, il recommençait à parcourir les rues de la capitale, distribuant les éditions du soir, et réalisant des gains appréciables.

De huit heures du matin à deux heures de l’après-midi, il vendait ses légumes et ses fruits ; ensuite, c’était le tour des journaux.

L’abbé Louis lui donnait chaque jour sa leçon de quatre à cinq heures ; puis le courageux enfant courant chercher son lourd paquet des dernières éditions des quotidiens du soir qui sortaient de l’imprimerie, tout frais d’encre et de nouvelles, et il les liquidait en moins de deux heures.

Ses affaires marchaient donc à merveille et ses économies augmentaient très vite, mais tout cela n’arrivait pas à combler le vide immense causé par le départ de Mireille.

Dieu lui pardonnerait-il de l’avoir abandonnée ? Se demandait souvent avec tristesse le petit garçon. Et bien qu’il fût partiellement rassuré de savoir que la mère Picquet ne la maltraitait plus comme par le passé, le désir de revoir sa douce petite amie ne cessait de la hanter.

< Que c’est dur de vivre loin d’elle ! > Se répétait-il tristement.

Un beau jour, ne passant dans l’avenue Jean Jaurès, Pierrot remarqué à la devanture d’une bijouterie devant laquelle il venait de s’arrêter pour renouer le lacet de sa chaussure, une ravissante paire de boucles d’oreilles d’or encerclant de minuscules turquoises, et dont le prix n’était pas excessif.

< Qu’elles iraient bien à Mireille ! Pensa-t-il ; ses pierres sont exactement de la couleur de ses yeux ! >

Tout de suite après cette réflexion, il se précipita chez lui pour prendre la modeste somme nécessaire à cet achat et revint vivement vers la boutique.

— Voulez-vous s’il vous plait, me montrer ces boucles d’oreilles ? Demanda-t-il au bijoutier en les lui désignant dans la vitrine.

Etonné par la grande jeunesse de ce client, l’homme le fixa, tout d’abord perplexe, puis s’informa, hésitant.

— Disposez-vous de l’argent que coûtent ces bijoux, mon petit ?

— Certainement, Monsieur, répondit orgueilleusement Pierrot en sortant de sa poche la somme marquée qu’il posa sur le comptoir, attendant que le vendeur apportât les boucles convoitées.

Pierrot saisit l’un des frêles anneaux dans sa main, puis il questionna :

— C’est vraiment de l’or ?

— Garanti dix-huit carats, mon petit, répondit le marchand.

— Et comment appelle-t-on ces pierres ? Questionna de nouveau Pierrot.

— Des turquoises. Elles sont très petites, mais vraies et d’une très jolie teinte, précisa le bijoutier.

— Ah !

— Si vous en doutez, reprit l’homme, vous pouvez les montrer à quelqu’un capable de les expertiser.

— Mais je vous crois, Monsieur, dit Pierrot. Vous avez le visage d’un honnête homme, ajouta-t-il ingénument.

— Merci ! S’exclama le bijoutier en éclatant de rire. Alors, vous les prenez ?

— Certainement, affirma l’enfant ; autrement, je ne vous aurais pas demandé de les sortir de votre étalage.

L’homme déposa les boucles d’oreilles sur de l’ouate dans une boite minuscule qu’il enveloppa d’un papier blanc noué ensuite d’une ficelle rose et remit le précieux paquet à Pierrot qui le fit vivement disparaître dans les profondeurs de la poche de son pantalon, salua le marchand d’un aimable signe de tête et quitta la boutique.

Cette source l’avait retardé pour aller retirer les journaux du soir. Il s’y précipita et reçut sans protester les reproches du distributeur des quotidiens. Puis il commença sa tournée habituelle, son paquet sous le bras, criant à tue-tête les nouvelles les plus sensationnelles ... et, comme toujours, son lot fut rapidement liquidé.

Il aurait sans doute pu aller en chercher un second, mais comme la nuit été complètement tombée et qu’il se sentait assez las, il préféra y renoncer et rentra à la maison.

Après avoir partagé son frugal repas avec Vaillant, et comme si la brave bête pouvait comprendre, il sortit de sa poche son achat de l’après-midi et le lui montra :

— Crois-tu que ça plaira à notre Mireille ? Lui dit-il gaiement. Je l’espère, et j’attends avec impatience l’heure de les lui donner. Demain, nous irons tous les deux lui faire une visite, tu veux bien, Vaillant !

Le lendemain, Pierrot se dirigea à grands pas vers la rue de l’Ourcq, suivi du bon toutou.

Chemin faisant, il s’arrêta devant l’étalage d’un marchand de bonbons en plein vent et acheta une barre de nougat dont il savait sa jeune amie très friande.

« CommeMireillevaêtrecontente ! »Sedit-il.

Mais lorsqu’il arriva devant la baraque de la mère Picquet, il trouva tous les volets clos. Tout d’abord, il fut stupéfait, puis très vite, inquiet.

« Quesest-ildoncpassé ?Sedemanda-t-il,effrayé,cettevieillesorcièrea-t-ellepuemmenerMireille ? »

Il frappa à la porte, ne reçut aucune réponse et recommença de plus en plus fort, puis sans aucun résultat.

Une voisine attirée par le bruit, se pencha à sa fenêtre et lui cria :

— C’est « l’Araigne » que tu cherches, petit ?

— Oui. Madame !

— Elle n’habite plus ici.

— Comment ? Bredouilla Pierrot d’une voix étranglée. Elle est partie ?

— Oui, elle vient de s’installer dans sa nouvelle maison.

— Sa nouvelle maison ? Répéta-t-il, déconcerté.

— Oui, la maison qui lui appartient quai de la Marne.

Pierrot tressaillit.

— Diable ! S’exclama-t-il ; elle vit donc là-bas à présent ?

— Oui, elle a déménagé depuis plus d’une bonne semaine, précisa l’obligeante femme.

Très déçu, Pierrot se tut un instant, puis il demanda encore d’une voix mal assurée :

— Savez-vous, Madame, si elle a emmené Mireille avec elle ?

— Bien sûr, mon petit gars, affirma la voisine en souriant.

— Merci beaucoup, Madame, et au revoir ! Fit poliment le garçonnet.

Il se remit aussitôt en route en direction du canal, Vaillant toujours sur ses talons.

Ils y parvinrent quelques instants plus tard et s’approchèrent de la villa qui, autrefois appartenait à l’infortunée Valérie.

Le cœur serré, Pierrot constata que la grille du jardin était fermée à clef et que la porte du pavillon était close également.

« Pourvuquellesnesoientpaspartiesdiciégalement,sedit-ilsoudaineffrayé.

— Il demeura le visage collé aux barreaux de fer de la grille du jardin durant de longues minutes, sans que personne apparût, tandis que le soleil couchant dorait de ses derniers et chauds rayons la façade de la maison.

Il décida de faire le tour de l’enclos et brusquement, il tressaillit ; il venait d’apercevoir cachée presque entièrement par le tronc d’un gros hêtre, Mireille, sa chère Mireille, assise sur un tabouret très appliquée à un ouvrage de couture.

L’enfant n’était nullement vêtue de haillons comme Pierrot le pensait ; son corps gracile était joliment dessiné par une petite robe de percale rayée de blanc qui lui seyait à ravir et son visage, baissé dans son travail, encadré par ses lourdes tresses soyeuses semblait paisible.

Elle n’avait pas encore remarqué la présente de son grand ami dont elle était occupée par ce qu’elle faisait. Pierrot immobile, le cœur en fête, contemplait sa chère petite compagne et n’osait l’appeler, de crainte que « l’Araigne » ne l’entendit et forçât aussitôt la fillette à rentrer à l’intérieur de la maison. Mais le chien ne put tenir le même raisonnement et ayant reconnu, lui aussi, sa jeune maîtresse, il se mit à aboyer joyeusement.

Etonnée, Mireille tourna la tête et poussa un cri de stupeur.

— Pierrot ! S’exclama-t-elle bouleversée.

— Mireille ! Répondit Pierrot, fort ému.

Elle se précipita en courant vers les barreaux, saisit les mains du petit garçon qu’elle couvrit de baisers et de larmes, tandis qu’il l’imitait aussitôt, rendant caresse pour caresse.

— Je croyais que tu ne m’aimais plus du tout ! Murmura-t-elle sur un ton d’affectueux reproche, lorsque les premières effusions furent calmées.

— Moi ! Ne plus t’aimer ! S’écria Pierrot, indigné.

— Oui, reprit-elle, car tu n’es plus jamais revenu me voir !

— Je t’aime plus que tout au monde, Mireille, assure Pierrot très tendrement. Si je ne suis pas revenu, c’est parce que j’avais peur qu’en le faisant, tune fusses battue par la vieille !

Mireille sourit en secouant sa jolie tête.

— Rassure-toi à ce sujet, Pierrot ; « l’Araigne » ne m’a plus jamais touchée !

— Ce n’est pas possible ! S’exclama-t-il en souriant, ravi de ce qu’elle lui annonçait.

— C’est pourtant vrai, affirma-t-elle. Le juge le lui a expressément interdit et il envoie chaque jour un agent pour voir comme elle me traite.

Pierrot l’examina longuement, puis remarqua gaiement :

— Je te trouve bigrement embellie, ma Mireille !

La fillette, déjà femme, rougit de plaisir au compliment.

— Oui, insista Pierrot, tu es très jolie et cette robe te va rudement bien !

Mireille éclata de rire, puis, redevant brusquement sérieuse, elle demanda :

— As-tu reçu des nouvelles de ma maman ?

— Hélas ! Non, répondit-il en soupirant, navré de la tristesse que reflétait le doux visage de la petite fille.

— « L’Araigne » m’a appris que la guerre ne tarderait pas à éclater. Est-ce vrai, Pierrot ? Es-tu au courant, toi ?

— Oui, je crains la guerre, en effet, répondit l’enfant. A cause de tous ces bruits qui courent, mes journaux se vendent en un clin d’œil, les gens sont tellement avides de nouvelles !

L’inquiétude maintenant, assombrissait les beaux yeux de Mireille.

— Mon Dieu ! Pourvu qu’il n’arrive pas de malheur à maman ! Murmura-t-elle.

— Ne crains rien ; ce sont seulement les soldats qui sont tués pendant la guerre, expliqua Pierrot.

Alors, sortant de sa poche la petite boite enfermant les précieuses bouclées d’oreilles, il la lui tendit à travers les barreaux.

— Tiens, Mireille, j’ai acheté ça pour te faire plaisir.

— Comme c’est beau ! S’écria la fillette, éblouie, lorsqu’elle eut ouvert la boite.

— Prends aussi ce nougat, il est à la pistache, comme tu l’aime, ajouta Pierrot.

— Mais tu es donc devenu riche ? Questionna-t-elle stupéfaite.

— Presque, Mireille ! Je travaille jour et nuit pour y arriver, expliqua-t-il.

Il lui raconta ce qu’il faisait, et ils demeurèrent à bavarder ainsi sans se rendre compte du temps qui s’écoulait ... Finalement, et bien à regret, Pierrot se sépara de sa chère Mireille qui maintenant possédait un nid ... un nid qui, pour elle, était plutôt une cage !

 

( A SUIVRE LE 18 JUILLET )

 

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