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MOINEAUX SANS NID N° 158

9 Juillet 2012, 09:00am

Publié par nosloisirs

 

CHAPITRE-158--.jpeg Malgré le vol assez important dont elle avait été victime, « l’Araigne » ne se trouvait pas pour autant dans la misère.

Elle possédait encore non seulement des économies qui se montaient à plus de deux millions de francs, mais aussi deux immeubles dont les revenus lui assuraient une vie exempte de tous soucis.

De plus son commerce de bric-à-brac, sans compter ses autres louches entreprises, lui permettait de réaliser des gains assez considérables.

— Pourtant, depuis la fameuse nuit du vol, la vieille femme se sentait continuellement angoissée et assaillie par de sombres pressentiments.

« Direquejaipeinétoutemavieetvécumisérablementpouramasserquelquessousetquecesontdesvoleursquienprofitent !...Non,cesttropinjuste !...Ah !Sijepouvaislesteniretleurfairepasserlegoûtdupain ! »Pensait-elleensoupirantrageusement.

Depuis quelques jours, elle manquait totalement d’entrain dans son travail.

Un matin, un mendiant nommé Hyacinthe vint la trouver pour lui louer une béquille.

— Salut « l’Araigne » ! dit-il en pénétrant dans l’ignoble boutique.

— Je m’appelle « madame Picquet » l’ami ! Protesta-t-elle, furieuse, et non « l’Araigne » !

— Tiens ! S’exclama le nouveau venu, étonné ; qu’est-ce qui te prend tout d’un coup ?

— Rien, mais j’ai un nom et je tiens à être traitée comme il convient, expliqua-t-elle sèchement.

— Alors, tu ne t’en es guère servie de ton nom, car je l’ai ignoré jusqu’à maintenant, remarqua le visiteur.

— Il y a toujours été employé par les gens respectables que j’ai l’habitude de fréquenter, grogna-t-elle méprisante.

— C’est-à-dire que je n’en fais pas partie de ces gens respectables car, tout comme des tas d’autres copains, je ne te connaissais que sous le nom de « l’Araigne » !

— Ca va ! Trancha la mégère en haussant les épaules. Dis-moi à présent ce qui t’emmène chez moi ?

— J’ai besoin d’une béquille, répondit le nouveau venu.

La vieille femme le dévisagea, puis murmura, songeuse :

— Voilà que tu vas te faire passer pour boiteux ? Ce n’est pas une mauvaise idée ...

— N’est-ce pas ? D’autant plus que mon histoire d’homme malade sans travail et mis à la rue avec toute sa famille, ne prend plus beaucoup.

« L’Araigne » haussa les épaules.

— Sans doute parce que tu as exagéré, Hyacinthe. Je t’ai toujours conseillé de parler avec modération. Que veux-tu ? Il n’y a pas que des imbéciles sur terre !

— Il faut pourtant gagner de quoi vivre, « l’Ar ... » je veux dire madame Picquet.

La vieille alla chercher dans un coin trois béquilles qu’elle tendit à son client.

— Prends celle-ci, conseilla-t-elle en désignant la plus neuve.

— Combien me la loueras-tu par semaine ? Demanda Hyacinthe.

La vieille brocanteuse réfléchit quelque secondes puis répondit en souriant :

— Parce que c’est toi et que je te connais depuis très longtemps, je ne te demanderai que cinq cent francs.

— Cinq cent francs ? Protesta-t-il en sursautant.

— Oui, pas un sou de moins.

— Diable ! J’appelle ça prendre les gens à la gorge ! s’exclama Hyacinthe, l’air indigné.

La vieille s’impatienta.

— Je veux bien t’en faire cadeau si tu trouves quelqu’un d’autre qui te loue moins cher une béquille toute neuve, répliqua-t-elle aigrement.

— Tu me prends véritablement pour un millionnaire ! Essaya-t-il d’insister.

— Ca suffit ! Coupa « l’Araigne » froidement. Si ça ne te convient pas, laisse-moi tranquille et va-t-en !

— Tu exagères ! Je ne puis payer un tel prix. Et je vais aller voir ailleurs, grommela Hyacinthe avec humeur.

Sans ajouter un seul mot, il quitta la boutique ... Après son départ, « l’Araigne » se sentit encore plus inquiète et mal à son aise.

« Ilvautmieuxquejecessetousrapportsaveccegenredindividus !Jevaisessayerdebazardermonfondquinemerapportezplusgrandchose ... »

Elle réfléchit longuement et, quelques heures plus tard elle alla frapper à la porte de Paul Macaire.

Depuis sa récente entrevue avec le juge d’instruction, entrevue à laquelle assistait Pierrot, l’usurier vivait dans une crainte continuelle ; il avait peur que le magistrat ne le convoquât de nouveau pour l’interroger sur la triste affaire conclue avec Jean Marigny.

— Vous, madame Picquet ! S’écria le bandit en ouvrant la porte à la vieille femme qui, pour cette occasion, avait revêtue sa plus belle robe ... Comment allez-vous, ma bonne amie ?

— Pas trop mal, monsieur Macaire, et vous ? Etes-vous en meilleure santé ? Demanda-t-elle aimablement.

— Ca dépend des jours ! Répondit l’homme en hochant la tête.

Puis, après l’avoir fait entrer dans son bureau, il lui désigna un large fauteuil de cuir en assez bon état, et pris place dans celui qui lui faisait face.

Alors, reprit le triste individu, comment vont les affaires depuis que nous nous sommes vus ?

« L’Araigne » poussa un grand soupir.

— Ne m’en parlez pas ! Se lamenta-t-elle, c’est une véritable catastrophe !

Macaire opina du bonnet.

— Vous avez raison ; en ce moment, le marché semble tout à fait mort ... De plus, ces bruits de guerre ne sont pas faits pour arranger les choses !

La mère Picquet écarquilla les yeux.

— La guerre ? S’écria-t-elle, épouvantée. Mais que dites-vous là, monsieur Paul ?

— Vous ne lisez donc pas les journaux ? Lui reprocha-t-il sévèrement. Vous avez tort ! Cette fois, les Allemands paraissent très décidés ... Nous nous préparons de notre côté à la mobilisation et le pire peut arriver d’un moment à l’autre !

— Que le Ciel nous assiste ! Bredouilla la vieille femme toute tremblante. Il est pourtant vrai qu’en ce moment plus rien ne marche.

L’homme l’examina en fermant à demi les yeux, puis il reprit :

— Je n’ai pourtant pas l’impression que le marasme vous touche beaucoup, madame Picquet ; vous êtes habillés comme une vraie dame !

« L’Araigne » haussa les épaules.

— Je suis fatiguée de travailler, cher Monsieur Macaire, expliqua-t-elle. Je désire maintenant prendre un peu de repos et profiter des quelques sous que j’ai épargnée en me privant pour ainsi dire de tout jusqu’à maintenant.

— Votre faites très bien, ma bonne amie, approuva Macaire en souriant. Cette toilette vous va admirablement, et, comme je vous l’ai déjà dit, vous donne l’allure d’une bourgeoise authentique !

Le visage généralement renfrogné de la mégère s’épanouit, elle était très flattée du compliment.

— C’est ce que m’a dit aussi le bougnat tout à l’heure, lorsque je me suis arrêtée chez lui pour prendre un petit café arrosé avant de me mettre en route pour venir vous rendre visite, murmura-t-elle avec orgueil.

Un bref silence suivit, durant lequel Macaire fixa sa visiteuse, cherchant à deviner pour quelle raison elle venait la trouver. Et comme « l’Araigne » ne se décidait toujours pas à parler il prit les devants.

— Vous ne m’avez pas encore révélé les raisons de cette visite, Madame Picquet, remarqua-t-il.

Une lueur brilla dans les yeux de son interlocutrice.

— Je suis venue vous demandez un conseil mon cher Macaire, je voudrais savoir ce que je dois faire de ma boutique. Bien qu’elle me rapporte toujours pas mal d’argent, j’ai grande envie de m’en défaire. Comme je viens de vous le confier il y a un instant, je suis lasse de tant travailler. A mon âge, je crois avoir droit à un peu de repos.

— Vous avez parfaitement raison, affirma Macaire avec énergie. A votre âge, en effet, il est juste que vous vous évitez les soucis des affaires et que vous puissiez enfin de ce que vous avez amassé si durement !

— C’est exactement ce que je me dis ! Renchérit « l’Araigne ».

— Dans ce cas, n’hésitez pas et cédez votre magasin pour vivre de vos rentes.

La vieille femme ne répondit pas tout de suite.

— On m’en a offert cinq cent mille francs. Qu’en pensez-vous ? Questionna-t-elle.

— Ce n’est pas mal, répondit l’usurier en souriant.

« L’Araigne » se tut de nouveau ; de toute évidence l’offre ne lui paraissait pas très avantageuse. Ses louches affaires lui avaient rapporté pal mal d’argent et, brusquement, elle regrettait d’y renoncer, surtout pour une somme si peu élevée.

— Ne pensez-vous pas que je pourrais en demander davantage ? S’informa-t-elle après un long silence.

Macaire hocha la tête.

— Non, vous auriez tort ! Au temps où nous vivons, contentez-vous de ce qu’on vous offre et cédez votre fonds sans arrière penser. N’oubliez pas que si la guerre éclate – et je la crois inévitable – on ne vous en donnera pas un sou de cette boutique.

— C’est juste, admit madame Picquet, de plus en plus inquiète. Vous avez raison, mon ami. Je vais agir selon vos conseils et accepter cette offre.

— A propos, s’écria l’usurier après un nouveau silence, et comme si une idée soudaine lui traversait l’esprit, qu’est devenue la petite Mireille ?

— Je l’ai laissée à la maison, mais j’ai pris soin de l’enfermer à clé. On ne sait jamais avec l’autre garnement ! Il serait tout à fait capable de rôder dans les environs et de me l’enlever de nouveau !

— Il y a longtemps que vous l’avez vu ? Lui demanda-t-il avec le plus grand intérêt.

— Depuis pas mal de temps, répondit « l’Araigne » ; et vous ? Il n’est pas revenu vous ennuyer avec son histoire de testament ?

— Non, fit Paul Macaire. Le juge ne m’a pas convoqué ; et je n’ai pas revu non plus mademoiselle d’Evreux ni le marquis

— Et on n’entend pas non plus parler de Valérie Labeille, observa la mère Picquet, songeuse. On dirait, ma parole, qu’elle a été effacée de la surface de la terre !

— Peut-être, murmura l’usurier, est-elle allée rejoindre son ancien ami, Jean Marigny, à Barcelone !

— C’est possible, grogna « l’Araigne » ... En attendant son autre soupirant, Robert Montpellier, a été jeté en prison pour avoir voulu l’aider.

— Ah ! Qu’il y reste longtemps ! S’exclama Macaire. Je souhaite même qu’il y reste jusqu’au jour du jugement dernier !

— Je crains pourtant qu’il soit relâché, faute de preuves remarqua la vieille femme qui n’avait pas compris l’astuce, pourtant fort claire.

— J’ai voulu dire que je lui souhaite de reste en prison jusqu’à sa mort, précisa Paul Macaire en riant.

— Ah ! Je comprends !

— De toute manière, ce qui importe, c’est qu’il nous laisse en paix et ne nous crée pas d’ennuis supplémentaires conclut l’usurier.

— Vous avez raison ! Nous en avons déjà eu largement notre part en ce bas monde ! Soupira « l’Araigne » en hochant tristement la tête.

— Hélas ! Renchérit l’autre, la vie n’est faite que de peines et d’ennuis et il faut savoir les supporter avec courage et résignation chrétienne.

Ils continuèrent à converser ainsi quelques minutes encore, puis la mère Picquet demanda, de nouveau inquiète :

— Vous croyez vraiment à la guerre, monsieur Macaire ?

— Que voulez-vous que je vous dise, ma bonne amie ? L’Angleterre et la France ont garanti la protection de la Pologne, l’Allemagne, de son côté, ne renonce pas à son exigence, Les arabes sont en état de continuelle alerte ... En réfléchissant à ce qui se passe, même l’homme le plus optimiste est bien forcé d’admettre que le péril est sérieux.

La guerre ! Répéta la vieille femme, frissonnant de frayeur ... Que le Ciel nous en préserve ! Si les choses en sont au point que vous dites, je crois réellement que je ferais bien de me débarrasser de ma boutique et me retirer des affaires, afin de me sentir complètement libre et de pouvoir partir où bon me semble en cas de besoin.

Après avoir prononcé ces derniers mots, elle se leva et prit congé de Macaire qui la reconduisit jusqu’au seuil de sa porte.

Quelques minutes plus tard, la vieille femme se dirigeait rapidement vers la rue de l’Ourcq.

La pauvre Mireille durant toute son absence était restée enfermée à clé dans la boutique ; lorsqu’elle vit madame Picquet, elle se précipita vers elle en sanglotant.

— J’ai eu si peur ! Se lamenta-t-elle.

— Peur ? Et de quoi ? Questionna la mère adoptive stupéfaite.

— J’ai vu un rat aussi gros qu’un chat ! Expliqua l’enfant en frissonnant et je ne veux plus rester toute seule dans cette vieille boutique !

— Allons, allons, petite réagie un peu ! Conseilla « l’Araigne »’ avec un ignoble sourire édenté. D’ailleurs, nous irons vivre dans une autre maison.

— Vrai ? S’exclama Mireille en ouvrant de grands yeux.

Oui,mabelle,affirmalavieilleavecgentillesse,nousironsdicipeuhabiterlepetitpavillonquiappartenaitàValérieLabeilleetjetassurequenousyseronscommedesreines.

Cette promesse rassura un peu l’enfant qui reprit ses rêves et ses projets. Même désirant de toutes ses forces retourner auprès de son cher Pierrot, elle ne pouvait se défendre d’une certaine joie à la pensée de quitter pour toujours cet odieux réduit où elle avait tout souffert et qu’elle ne pouvait plus supporter ?...

( A SUIVRE LE 12 JUILLET )

 

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