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MOINEAUX SANS NID N° 150

15 Juin 2012, 09:00am

Publié par nosloisirs

 

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Après son entretien orageux avec Michel Labeille et Valérie, Jean Marigny s’était éloigné de la ville, fort déprimé.

Les phrases blessantes et dures du père et de la fille avaient exaspérés la rancoeur de son âme perverse et cruelle.

C’était pour cette raison que le misérable avait refusé rageusement l’offre d’argent faite par monsieur Labeille, quelques instants avant qu’il ne le quittât.

Contrairement à toutes ses habitudes, il l’avait rejetée, uniquement par esprit de révolte et pour avoir l’air de réagir quelque peu devant les installations infligées par Valérie et son père.

Mais maintenant, il commençait à regretter son geste absurde et se disait qu’un peu d’argent lui aurait été fort utile, car le chèque mensuel accordé par Michel Labeille était largement entamé et d’ici quelques jours, Jean serait complètement à sec en attendant le début du mois suivant.

Cette perspective pourtant ne le tourmentait pas outre mesure. Doué d’une imagination extrêmement fertile, il finirait bien par se débrouiller et trouver quelques sous, car il excellait dans toutes sortes de louches manœuvres, nous le savons.

Arrivé devant la porte du modeste immeuble où il logeait, il vit Esposito, l’Italien avec lequel il s’était lié tout récemment, et qui l’attendait en fumant tranquillement une cigarette.

Cette visite le contraria, car il aurait préféré un peu de solitude en ce moment, mais il se domina et lui sourit aimablement.

— Comment ça va, mon vieux ? Dit Esposito. Je ne te félicite pas pour ta mine ! Ajouta-t-il, le tutoyant brusquement. J’en conclus que les choses ne se sont pas déroulées comme tu l’espérais. Mais ne te frappe pas ; dans la vie il faut savoir supporter bien des contrariétés.

— Tout en parlant, ils montèrent jusqu’au modeste logement de Marigny, où ils pénétrèrent quelques secondes après.

Jean se laissa tomber sur une chaise en poussant un soupir de découragement.

— Je dois t’avouer que tout va mal ! S’écria-t-il amèrement. J’ai dû supporter toutes sortes d’affronts et je me demande comment j’ai fait pour y résister !

Son nouvel ami le dévisagea longuement, puis lui demanda :

— Ils ont refusé de te donner de l’argent ?

Le français haussa les épaules, tandis qu’une lueur mauvaise étincelait dans ses yeux.

— Non ! Et même à vrai dire, le vieux m’en a offert pour partir, mais j’ai refusé.

— Ca, c’est complètement idiot ! S’écria Esposito, stupéfait autant que réprobateur. Et pourquoi as-tu refusé ?

Jean passa une main sur son visage, soupira de nouveau et reprit en hochant la tête.

— Je n’en sais rien ! Peut-être à cause de toutes les humiliations qu’ils m’ont fait subir tous les deux. Je dois même t’avouer que je ne sais pas si, par la suite, j’irai chercher le chèque qui me donne le vieux au début de chaque mois ! Acheva-t-il frémissant de rage.

Esposito le fixait avec une expression de totale désapprobation.

— Allons allons, calme-toi, voyons ! Conseilla-t-il. Tu aurais le plus grand tort de renoncer à ton chèque mensuel. Je comprends que ces couleuvres soient dures à avaler, mais dis-toi bien que, lorsque cette personne deviendra ta femme, tu pourras t’offrir une sérieuse revanche. Pour le moment, suis donc mon conseil ; serre les poings sans rien dire et prends ce qui t’est offert. Il faut savoir être philosophe, mon ami !

— Ah ! Si cette femme pouvait m’appartenir un jour ! S’exclama le bandit d’une voix sourde.

— Ne te tourmente donc pas de la sorte, Marigny ! Dit Esposito en allumant une cigarette. Se faire du mauvais sang ne mène à rien ... qu’à te rendre malade.

— Oui, mais avec tout cela, nous ne pouvons pas quitter l’Espagne pour le moment.

— Et pourquoi ?

— Parce que je possède juste de quoi vivre pendant quelques jours, je te l’ai dit, déclara franchement Jean Marigny. Comment entreprendre un tel voyage dans ces conditions ?

— Tu vois bien que tu as très mal fait de refuser l’argent du vieux ! Objecta l’Italien. Il nous aurait été fort utile en ce moment.

Marigny laissa échapper un horrible juron.

— Non ! Répliqua-t-il avec colère, car tu ne peux imaginer comment j’ai été traité ! Je me demande à présent pourquoi je ne les ai pas assommés tous les deux !

Esposito s’approcha de lui, sourit et le frappa amicalement sur l’épaule.

— Allons allons, Marigny, n’oublie pas que, parfois il faut savoir courber l’échine pour arriver à ce que l’on désire. La vie est ainsi faite, et on n’y peut rien !

— L’autre ne répondit rien, le visage toujours très sombre.

Il sentait la rage l’étouffer et il aurait aimé se venger sur l’heure et leur faire subir, tant au père qu’à la fille, la vengeance des humiliations qu’il avait endurées ... Mais cela n’était guère possible pour le moment. Peu à peu, bien que sa colère intérieure se diminuât pas, il réussit néanmoins à se calmer. Il se leva, but un grand verre d’eau, n’ayant plus chez lui une seule bouteille de vin ; puis se tournant vers son visiteur qui le fixait avec une nuance d’ironie dans les yeux, il murmura amèrement !

Monpauvreami,jenaimêmepasunverredevinàtoffrir !

— Qu’importe ! S’écria l’Italien. Allons boire dehors ; j’ai de quoi payer aujourd’hui. Viens, je pense que tu n’as pas l’intention de rester enfermé ici à ramasser tes ennuis !

Marigny réfléchit puis marmonna :

— Il faut absolument que je réussisse un bon coup ! C’est ce qu’il y a de mieux à faire dans mon cas. Sortons, tu as raison. Nous verrons un peu de monde et je chercherai à sauter sur la première occasion qui s’offrira, si minime soit le profit !

Sur ce, tous deux quittèrent la chambre de Jan et se mirent à errer par la ville, s’arrêtant dans les cafés et tavernes et boire aux frais d’Esposito qui, disposait de quelque argent, en faisant généreusement profiter son nouvel ami.

Lorsque la nuit arriva, ils pénétrèrent dans un restaurant populaire pour manger un morceau.

Tout en dînant, Esposito raconta toutes sortes de blagues à Marigny qu’il parvint finalement à dérider, bien que ce dernier ne parvint pas à refouler la rage qui grondait dans son cœur.

Un peu plus tard, les deux compères sortirent de l’établissement et se promenèrent au hasard, décidés à profiter de cette belle nuit argentée par la lune.

Ils atteignirent ainsi les environs du port et longèrent un grand boulevard planté de magnifiques platanes au bout duquel s’étendait un grand parc.

— Ce qu’il peut faire chaud ce soir ! S’exclama Jean Marigny.

— Allons donc nous asseoir sur ce banc, proposa Esposito, nous avons beaucoup marché.

— Allons ! Consentit l’autre.

Un instant après, ils s’installaient sur un banc situé sous un superbe tilleul. Le lieu était désert et silencieux. Un réverbère éclairait faiblement l’allée.

On entendait au loin le grondement continu et bourdonnant de Barcelone dont la vie ne s’atténue jamais, même durant les heures nocturnes. Un appel strident de sirène, venant du port tout proche déchira brusquement l’air.

— Il fait réellement très bon ici, remarqua Marigny et il respira à pleins poumons le parfum pénétrant des magnolias qui montait jusqu’à eux, poussé par une brise tiède et légère.

— Oui, on y est rudement bien, reconnut à son tour Esposito en allumant une cigarette. (Puis regardant autour de lui, il ajouta en riant) : Il y en a d’autres qui partagent cet avis !

En effet, un peu plus loin, un couple d’amoureux allait à pas lents. Ils semblaient tellement absorbés par leur rêve qu’ils ne remarquaient rien de ce qui les environnait. La femme était une ravissante brunette d’une vingtaine d’années, accrochée tendrement au bras de son compagnon.

— Jamais je n’aurai la joie de les imiter avec Valérie ! S’écria soudain Marigny avec envie.

Durant quelques secondes, les deux hommes suivirent des yeux le jeune couple qui, petit à petit, se perdit dans l’ombre de l’allée.

La lune à présent, éclairait les arbres et les pelouses de ses pâles rayons et dépouillait de tout mystère ce lieu enchanteur et solitaire.

Esposito était agacé » par le silence inusité de son ami. Tout en fumant, il le surveillait du coin de l’œil ; très expansif par nature, il ne pouvait admettre ce mutisme, mais il comprenait cependant que son compagnon était en proie aux plus sinistres pensées et il n’osait le déranger.

Finalement, il prit le risque et hasarda :

— Puis-je savoir ce qui te tourmente à tel point ? Cesse donc de ruminer toutes tes préoccupations et réagis un peu, que diable !

Jean répondit par un geste vague de la main. Alors, l’Italien n’insista plus et recommença à fumer sur cigarette sur cigarette.

Marigny semblait changé en une véritable statue et son visage avait une expression effrayante pour quiconque l’aurait observé.

En ce moment, dans ce décor qui prenait une apparence irréelle en raison des ombres fantomatiques dues aux rayons de la lune, le misérable se sentait envahi par d’inexplicables remords.

— Peut-être parce que et pour la première fois de sa vie, il se sentait seul, méprisé et repoussé par tous ...

Il est vrai qu’il avait maintenant Esposito qui se disait son ami, mais Marigny n’ignorait pas ce que signifiait ce genre d’amitié. Et si l’Italien lui témoignait tant de prévenance, ce n’était pas par élan de sincère solidarité, mais parce qu’on fond de lui-même, il espérait recevoir une grosse récompense de son nouvel ami, lorsqu’il se serait approprié de l’immense fortune de Michel Labeille.

Une profonde amertume submergeait Jean Marigny et soudain tandis que ses méditations devenaient de plus en plus sombres et angoissante, il frissonna de terreur ; l’ombre de l’arbre qui arrivait jusqu’à lui ressemblait à une main menaçante avançant vers le banc sur lequel il était assis auprès d’Esposito.

< Comme je me sentirais plus léger si je n’avais pas cet horrible crime sur la conscience ! > Se dit-il stupéfait lui-même qu’une telle pensée pût lui venir.

Pendant ce temps, l’Italien fumait silencieusement renversé sur le dossier du banc, calme et béat. Peut-être évoquait-il sa belle et lointaine Italie ... ou la femme qu’il aimait et qui était resté dans la presqu’île latine.

Une rage soudaine s’empara de Jan Marigny. Sa dépression se transforma en une colère folle et brutale. Il se leva brusquement, surprenant Esposito en s’écriant sourdement !

— J’en ai assez ! Partons d’ici ! Ce coin est trop romantique pour des hommes de notre espèce ! Je dois te confesser que les pensées les plus ridicules et les plus grotesques me passent la tête en ce miment.

— Tiens ! S’exclama l’autre, nullement ému, moi je ne me pensais à rien !

Il se leva à son tour avec regret, bailla et s’écria en murmurant

— Partons puisque tu en as assez. Mais je n’ai aucune préférence pour ce soir ou un autre.

Ils recommencèrent à se promené et silencieusement et comme Marigny ne se déridait pas, l’Italien éclata d’un rire sarcastique.

— Cesse donc de faire cette tête d’enterrement ! s’exclama-t-il. Tu m’étonnes beaucoup ; je ne te croyais pas sentimental et faible comme un collégien !

Jean le foudroya d’un regard furieux, mais ne répondit pas ; il pressa le pas, tandis qu’Esposito le suivait en ricanant tout bas …

 

( A SUIVRE LE 18 JUIN )

 

 

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