Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

MOINEAUX SANS NID N° 12

28 Avril 2011, 09:00am

Publié par nosloisirs

12 L'INTRANSIGEANCE D'UN HOMME D'HONNEUR

 

L’abbé Louis entra, essuyant son front en sueur, bien qu’il fit froid et qu’il eût cheminé dans la neige.

— Vous l’avez vu ? demanda aussitôt Valérie, malgré la crainte d’une vérité qu’elle devinait.

Le curé fit un signe d’assentiment.

— Oui, ma fille, répondit-il, je l’ai vu.

— Tout est inutile, n’est-ce pas ? hasarda Valérie, douloureusement pessimiste.

Le prêtre acquiesça soupira et expliqua :

— Il faut attendre qu’il surmonte sa première impression, qu’il réfléchisse… Il ne faut pas désespérer.

— Je n’ai jamais eu d’espoir, Monsieur le curé, affirma Valérie effondrée. Je connais mon père et je sais qu’il ne revient jamais sur une décision qu’il a prise. Je suis perdue, perdue sans remède ! Je ne sais pas ce que je vais devenir !

— Dieu aide toutes ses créatures, dit le prêtre avec une certaine emphase.

— Ce doit être vrai, et, cependant il existe des êtres qui souffrent un horrible martyre, sans avoir commis de faute, sans avoir rien fait de mal, au long de leur vie. Pourquoi, mon Père, pourquoi ?

— C’est un mystère insondable !

— Je ne dis pas cela pour moi qui ai manqué à mes devoirs et qui mérite d’être châtiée. Mais cette pauvre Mireille, qu’a-t-elle fait pour tant souffrir ?

— Elle aura sa récompense, n’en doutez pas, dit le prêtre, avec une tranquille confiance. Nous ne pouvons pas comprendre les desseins de la Providence. Nous autres humains sommes trop peu de choses. Je vous répète que vous ne devez pas perdre l’espoir d’une réhabilitation complète. Pour l’instant, je ne puis vous en dire plus.

— Vous semble-t-il prudent que j’aille me jeter aux pieds de mon père pour lui confesser l’étendue de ma faute ? questionna Valérie avec anxiété.

— Attendez, ma fille, attendez ! répondit affectueusement le curé.

— Je dois vous dire qu’en dehors de tout cela, je suis dans une situation désespérée, déclara la malheureuse frissonnante d’angoisse ; on va venir me chasser de cette maison et je n’ai rien à manger…

— Pourquoi ne me l’avez-vous pas dit ? lui reprocha l’ecclésiastique. J’en aurais parlé à votre père. Il est persuadé que vous avez le nécessaire et que, matériellement vous êtes à l’abri du besoin. Ah ! Je n’imaginais pas que cet homme fût arrivé à vous dépouiller à ce point.

— Que dois-je faire, mon Père ? gémit la malheureuse fille en enfouissant son visage dans ses mains.

— Ce qui vous arrive est vraiment terrible. Si je n’étais pas si pauvre…

— Non, Monsieur le curé, pas ça ! protesta la jeune femme d’une voix vibrante. Je ne veux pas être une charge pour personne. J’irai voir mon père et il décidera de mon sort.

— N’y allez pas ! N’y allez pas avant que je lui aie parlé de nouveau ! s’écria le prêtre en secouant la tête avec compassion.

Le bon curé n’osait pas dire la vérité sur ce qui s’était passé pendant l’entrevue que lui avait accordée monsieur Labeille. Ce dernier sans lui laisser placer un mot avait déclaré dès son entrée :

— Je suppose que vous venez implorer ma pitié pour ma fille, mais vous vous êtes déranger pour rien ! Quand j’ai pris une décision, elle est irrévocable !

— Pourtant, Monsieur, répondit le prêtre, j’ai le devoir de vous informer complètement. Hier, je ne pouvais pas le faire parce qu’il s’agissait d’un secret reçu en confession, mais aujourd’hui, ma liberté est dégagée. La faute de votre fille n’est pas si grave et ne mérite pas la terrible intransigeance dont vous faire preuve.

— A-t-elle ou n’a-t-elle pas manqué à ses devoirs ? répliqua monsieur Labeille, les sourcils froncés et une flamme hostile dans ses yeux durs. C’est la seule chose que je veuille savoir. Le reste n’est que détails sans importance.

— Souvent nous manquons à nos devoirs, sans qu’il y ait de notre faute, fit remarquer le visiteur.

— C’est faux ! protesta l’autre. Je n’admettrai jamais cette théorie !

— Et si je vous affirmais que votre fille n’est pas responsable de la faute qu’elle a commise ?

— Je ne vous croirais pas !

— Et cependant, c’est vrai ! Elle a agi sous l’effet d’une suggestion sans que sa volonté y fût pour rien.

Le père de Valérie laissa échapper un éclair de rire douloureux.

— Allons, Monsieur le curé, ne cherchez pas à me faire prendre des vessies pour des lanternes ! Malgré la douleur qui m’accable, j’ai encore l’usage de ma raison… Ah ! comme je voudrais pouvoir serrer ma fille dans mes bras ! Mais je ne veux pas de faux semblants !

— Je ne vous apporte rien de pareil, Monsieur poursuivit le prêtre avec une divine patience. D’après ce que votre fille m’a rapporté de son désespoir, de son repentir sincère, de la clairvoyance avec laquelle elle juge sa propre faute, j’ai pu comprendre que cet homme s’est emparé de sa volonté. Ecoutez-moi et vous comprendrez.

Alors, de la meilleure bonne foi du monde, l’abbé Louis répéta tout ce que Valérie lui avait confié. Et pour finir, il implora :

— Ayez pitié d’elle !

Michel Labeille haussa les épaules ; son visage se fit de marbre tandis que ses yeux lançaient des éclairs.

— Je ne peux pas avoir pitié, décréta-t-il. Je ne pourrais pardonner qu’à une condition ; que cet homme répare sa faute en épousant ma fille ! L’honneur serait sauf ! Mais elle-même est tombée si bas qu’elle s’est perdue avec un criminel… et cela rend toute réparation impossible !

— Plût à Dieu qu’elle ne l’eût jamais aimé ! Si ce n’était pas un homme indigne, un gibier de potence, il l’épouserait. Je le jure sur mon honneur qui m’est plus précieux que tout au monde !

— Il ne faut pas penser à cela, monsieur Labeille.

— Je me garderai bien d’y penser. Cette répugnante affaire me lève le cœur ! Un crime ! Lisez ! Lisez donc ce qu’on raconte dans les journaux !

Il tendit au prêtre une feuille qu’il prit sur un guéridon à côté de lui. Le quotidien relatait tout ce qu’avaient fait le juge d’instruction et la police pendant la nuit précédente. Il parlait de la descente qui avait eu lieu dans la maison de Valérie, de ce qui s’y était passé et le nom des Labeille revenait à chaque instant dans l’article.

— Vous voyez, reprit le père avec indignation ; son déshonneur est du domaine public ! Le monde entier saura quel genre de relations ma fille entretenait avec cet individu. Bientôt on la tiendra pour sa complice !

— Cette fois, j’en ai assez ! Je retourne au Canada où je vais m’ensevelir pour toujours dans quelque coin perdu… Cela m’évitera la tentation de me faire sauter la cervelle après avoir tué cette fille infâme ! Retournez le lui dire ! Qu’elle n’essaie pas de me revoir. Qu’elle oublie qu’elle a un père ! Vous pourrez lui apprendre de plus qu’elle a saccagé ma vie et que je pars en la maudissant !

Le prêtre essayer de parler, de protester, profondément ému par les phrases dramatiques qu’il venait d’entendre, mais Michel Labeille l’en empêcha :

— Non ! Non ! ne dites rien ! Je ne veux plus rien savoir ! Parlons d’autre chose si vous voulez ; du temps de la politique ou de ce qu’il vous plaira… mais, de ma fille, jamais !

L’abbé Louis prit congé tristement. Dans le fond, il comprenait très bien les raisons de cet homme ; il était rentré chez lui, fou de joie, après dix ans d’absence impatient de retrouver l’amour de sa fille et la tranquillité de son foyer… et il tombait dans un drame sordide ! Comment lui faire comprendre qu’une âme innocente et solitaire, comme celle de sa fille, avait pu oublier son devoir, sous la suggestion d’un homme qui lui apportait cet amour dont les jeunes filles sont assoiffées ?

< Au fond, monsieur Labeille est bon, pensait le prêtre, et quand il y a de la bonté, tout peut s’arranger. Avec un peu de chance, j’arriverai à trouver une solution… > 

Il leva les yeux au ciel et continua en lui-même : « Et que Dieu me pardonne si, pour réussir, je dois faire quelque petit mensonge ! »

Il avait donc agi sagement en conseillant à Valérie d’attendre quelques jours avant d’aller voir son père. En ce moment il aurait refusé de lui parler… peut-être même en serait-il venu à menacer. Maintenant, le brave homme faisait son possible pour consoler Valérie qui venait de lui apprendre dans quelle triste position se trouvaient ses finances.

— Ne vous préoccupez pas au sujet de la maison, dit-il. J’irai trouver la personne qui vous a prêté l’argent et je la convaincrai d’attendre.

Valérie leva ses yeux baignés de larmes. Elle eut un triste sourire et secoua la tête, soupirant avec amertume. Puis elle dit, profondément abattue :

— Vous êtes trop bon, Monsieur le curé… et vous ne connaissez pas les gens, permettez-moi de vous le dire !

— Ca par exemple ! tenta-t-il de protester…

— Si, si ! s’écria la malheureuse. Celle qui m’a prêté cet argent est une femme impitoyable et sans cœur. C’est la mégère qui a exploité la petite Mireille. Il est impossible d’attendre un peu de bonté et de compréhension d’une femme pareille. En outre, elle s’est mis dans la tête de devenir propriétaire de cette maison. Peut-être même que, à cette heure-ci, je ne suis plus chez moi ici !...

— Courage, ma fille ! soupira le curé. Ne désespérez pas et ne dramatisez pas trop. Même si cette femme est ce que vous me dites j’irai lui parler. Et si je ne réussis pas à la convaincre, j’irais implorer la pitié de votre père.

— C’est inutile ! dit-elle. Vous n’obtiendrez rien, ni de la vieille usurière ni de mon père… Oh ! Que vais-je devenir ?

Et elle retomba dans une crise de larmes qui bouleversa le bon ecclésiastique. Il la laissa s’épancher quelques minutes, pouis il murmura avec un ton de reproche affectueux.

— Allons, ressaisissez-vous Valérie ! Je vous répète qu’on doit toujours garder l’espoir de la Providence !

 

                                                                            (A SUIVRE LE 1er MAI)

 

Commenter cet article