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LE SIEGE DE SARAGOSSE

17 Décembre 2012, 09:00am

Publié par nosloisirs

 

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Le centenaire du siège de Saragosse fut célébré par des fêtes pacifiques. Notre ministre du Commerce s'est rendu à Saragosse ou il assista en même temps que le roi d'Espagne à l'inauguration du pavillon français de l'Exposition du Centenaire. Le souvenir de cette époque de guerre et de haine ne fut que l'occasion pour la France et l'Espagne d'affirmer leurs sentiments d'amitié. Et pourtant les deux années que dura le siège de Saragosse furent deux années effroyables, sur lesquelles notre collaborateur Paul Ginisty vous renseigne avec éloquence et précision.

 

Les anniversaires des grandes tueries historiques soulèvent le plus souvent de vieilles haines ou réveillent de vieux orgueils. L'âme des peuples autrefois, se ruèrent les uns conte les autres à de sourds frémissements à ces souvenirs. Et cependant après bien des années écoulées, dans la leçon de philosophie supérieure que le temps suffit à donner, les vrais sentiments qu'ils aient à inspirer ne devaient-ils pas être une pitié pour les victimes de ces massacres, une révolte contre la barbarie et ces immenses hécatombes, une douloureuse ironie à la pensée de la stérilité de haine ? Pour la première fois sans doute et l'événement me paraît avoir une haute importance morale c'est dans cet esprit de contemplation des erreurs humaines qu'est commémoré le centenaire de terribles événements militaires laissé une légende d'épouvante. Très noblement, un Comité, officiellement soutenu, s'est formé en Espagne pour célébrer par une manifestation résolument pacifique le siècle tombé sur la tragédie de siège de Saragosse, et pour faire de cette évocation des anciennes luttes acharnées entre Français et Espagnols, la fête de la réconciliation, la solennelle proclamation de l'amitié qui unis aujourd'hui les adversaires de jadis.

Le siège de Saragosse où dans les deux camps s'exaspéra le même héroïsme est une des plus longues et des plus affreuses boucheries que la guerre ait jamais voulues. La « journée atroce » dont parle le poème devenu populaire, de Coppée, se renouvela pendant des mois avec une pareille furie dans l'attaque et ans la défense. Pendant des mois, la mort fut la souveraine suprême de cette ville et elle eut des façons abominablement ingénieuses de tuer. Longtemps après ce dernier assaut un soldat, garnisonné à Saragosse, disait qu'on y retrouvait toujours une implacable odeur de cadavre. Et après avoir enfin forcé la cité opiniâtre, dont il aurait fallu prendre successivement chaque maison, Lannes, son vainqueur s'écriait au milieu des ruines :

J'eusse mieux aimé dix batailles par jour que de faire cette guerre-là !

 

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Les Bourbons d'Espagne que leurs divisions avaient contraints à demander la médiation de Napoléon, avaient du abdiquer après l'entrevue de Bayonne qui fut, au vrai, une scandaleuse scène de famille entre le père et le fils, la reine et l'amant de celle-ci. Napoléon avait remplacé le faible et ridicule Charles IV par son frère Joseph.

Mais le peuple espagnol encore qu'il les estimât peu, n'avait pas accepté l'abdication de ses princes. L’Espagne fut bientôt tout entière en armes. D'un bout à l'autre de son territoire elle se soulevait fanatisée par ses moines, répandant, en prêchant l'action le fameux catéchisme contre les Français.

« Est-ce un péché que de tuer un Français ? Non mon père, c'est gagner le ciel »

Murat avait eu peine à tenir à Madrid ; le roi Joseph dut quitter, au bout de peu de temps sa capitale ; Junot était battu à Vineiro, le général Dupont avait capitulé à Baylen ; des combats heureux même restaient inutiles. Il avait fallu l'arrivée de Napoléon avec a grande armée pour rétablir, pour un temps la puissance française dans la Péninsule. Mais dans le Nord, Saragosse était le dernier boulevard de la résistance.

Le premier siège avait échoué. Mené de juin à août 1808 par les généraux Lefebvre-Desnouettes et Verdier qui avaient mission de soumettre l'Aragon il avait appris de quelle énergie résistance était capable Saragosse, où vingt mille paysans s'étaient enfermés, renforçant l'armée de José Palafox. Napoléon à qui il arriva de se tromper, s'était bien abusé cette fois, quand, de Paris, il disait que cette « effervescence » ne serait qu'un feu de paille qui s'éteindrait devant quelques régiments français. Les assaillants s'étaient trouvés en face d'une défense « frénétique » (le mot est d'un rapport du temps). Bien que la ville n'eut qu'une enceinte de murailles, c'était après des assauts d'une admirable intrépidité, mais infructueux, à des opérations de grandes guerre qu'on avait dû recourir, avec des renforts portant à seize mille hommes la colonne, relativement faible, qui s'était d'abord aventurier jusque-là. On avait vu dès lors ce que pouvait la résolution des assiégés, qui avaient jeté dans un cachot le prince Fuentes-Pignatelle, parlant de soumission ; on avait vu à quelles représailles ils étaient décidés, et comment les couverts étaient devenus autant de forteresses sur lesquelles flottait un drapeau rouge, symbole du sang qu'on jurait de répandre ; on avait vu par exemple de prisonniers français torturés, jusqu'où allait la colère contre les assaillants.

Cependant Lefebvre-Desnouettes et Verdier, après un duel d'artillerie dans lequel il avaient éteint les canons espagnols, avaient pénétré dans la ville avaient pu s'emparer de la moitié de ses faubourgs quand, en raison des désastreuses nouvelles de Madrid, l'ordre était venu de lever le siège.

 

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C'était quatre mois plus tard en décembre, Napoléon était lui-même en Espagne, cette fois que ce siège recommençait, sous le commandement de Junot, puis sous la direction supérieure de Lannes.

Le fanatisme espagnol attribuant la première délivrance de la ville à la protection de la Vierge du sanctuaire del Pilar, s'était encore exalté. Deux terribles moines, don Basile et don Santiago Sas, des pistolets passés dans leur rosaire, étaient les vrais maîtres de Saragosse car Palafox miné par la fièvre avait cédé les opérations militaires à un ancien émigré français M. de Versage, combattant ainsi contre ses compatriotes, et à un officier d'origine belge, le général Saint-Mars. Sur la place du marché, une potence, où se balançaient vite eux qui étaient simplement suspects de tiédeur. Partout des inscriptions exigeant l'obéissance absolue ; les femmes elles-mêmes prêtes à aller au-devant de l'ennemi, comme la belle comtesse Zurita, à la tête d'une légion de porteuses de munitions ; tous les habitants jouant un rôle dans la défense, et d'avance, la détermination des suprêmes sacrifices. Cent mille individus, soldats (car les troupes s'étaient augmentés de contingents) paysans réfugiés, bourgeois, gens d'Église, ayant fait le serment d'une lutte désespérée.

C'est dans ces conditions que s'entreprit l'attaque devant les fortifications, que devaient miner les sapeurs du génie du général Lacoste, de ce jeune général ardent, d'une impétueuse gaieté qui un jour dans la tranchée, rasé de près par un éclat d'obus lui enlevant une grande mèche de cheveux, s'écria en riant :

— Ce sera pour ma femme !... Je n'ai passé avec elle que cinq jours en deux ans de mariage... Je lui dois bien un souvenir !

Il devait être tué quand après vingt neuf jours pendant lesquels l'artillerie avait envoyé seize mille bombes, on put franchir la première enceinte par une brèche faite au couvent de Saint Joseph par où pénétra, le premier, le commandant Stalh, tenant à la réputation de bravoure qui lui avait faite son régiment, le 14e de ligne.

Les raffinements de cruauté de l'ennemi furent dès lors constatés ; le futur général Marbot, alors capitaine est blessé, la balle qu'on extrait de son flanc gauche, au milieu d'horribles souffrances, est aplatie avec des entailles régulières qui la font ressembler à une roue de montre par un défi, une croix grossièrement gravée sur chaque face.

La prise des couvents de l'inquisition de Santa-Engracia de Sainte Monique, des Capucins-trinitaires sont d'effrayants massacres ; on comble les fossés avec des cadavres d'Espagnols pour les traverser. Mais ce n'est encore que le début ; après le grand assaut du 27 janvier, cela va être la guerres des rues, le siège de chaque maison « Guerre au couteau ! » a fait répondre don Basile à uns sommation reddition. Une barricade est-elle emportée ? Sur ces ruines on trouve un chiffon transformé en drapeau ou on a écrit en hâte : « Mort aux Français !» la défense faiblit-elle un instant ? Un prêtre surgit, en habits sacerdotaux, un fusil à la main qui ramène une troupe de combattants. Une femme, Agostina, se couche, héroïquement, sur une pièce de canon qui vient d'être abandonnée par les Espagnols et par son exemple, les forces à venir l'arracher aux Polonais du colonel Chlopicki.

« — Le siège de Saragosse ne ressemble à rien à la guerre que nous avons faite jusqu'à présent, écrit Lannes pendant l'action... le feu est aux quatre coins de la ville, nous l'écrasons de bombes ; cela ne fait rien sur le moral de ces gens-là ! »

On se bat corps à corps dans chaque maison ; les aragonais disputent chaque pièce, on s'égorge à tâtons dans la cave, on se fusille par des trous percés dans le plancher des étages, la lutte recommence sur le toit ; c'est une résistance incroyable où le terrain n'est cédé que pied à pied. Les femmes jettent de la chaux vive sur les assaillants. Telle maison ainsi emportée après une bataille d'une journée est cependant reprise. Celle de l'angle de la calle de las arcades est successivement occupée seize fois par les Espagnols et par les Français ; elle s'écroule en les ensevelissant les uns et les autres.

L'objectif c'est la grande rue de Cosso parallèle au cours de l'Ebre. On s'avance en ouvrant des mines sous les rues ; quand l'explosion s'est produite on attaque la maison ébranlée. Mais ces destructions mêmes forcent souvent à marcher le découvert et ce sont des heures critiques. Les assiégeants ont d'ailleurs l'infériorité du nombre et la crainte d'une diversion extérieure force à dégarnir les colonnes d'attaque. Vingt et un jours , les Français malgré les épuisement, disputent chaque pouce du sol de cette ville éventrée, où on a renoncé à enterrer les morts, où on ne respire qu'une âcre odeur d'incendie, où les émanations putrides tuent ceux qui ont résisté au feu...

 

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Un jour, Lannes — qui a failli d'avoir le bras cassé par la maladresse d'un de ses soldats — prend lui-même un fusil, et des ruines du couvent de Jésus envoi une douzaine de coups à l'ennemi, vengeant, en personne, le capitaine Lepot, tué à ses côtés. Le maréchal, si maître de lui est exaspéré . Près de lui le capitaine Hardy, du 14e de ligne, meurt en criant :

— C'est embêtant d'être assassiné par ses brigands !

A bout de force, mourant de faim, minés par la fièvre, les Espagnols se plaisent encore à des bravades. A l'entrée d'une rue qui défend encore les abords du Cosso, ils plantent un écriteau avec ces mots : « Barranco de la muerte » gouffre de la mort. Enfin des fourneaux de mines de trois mille livres de poudre font sauter le couvert de San-Francisco avec le régiment de Valence qui était enfermé, le couvent de Saint Lazare , le quartiers des Tanneries, l'Université. Le sanctuaire révéré, Notre Dame del Pilar n'a pas été épargné, et la population aragonaise reproche déjà à sa Sainte son abandon. Saragosse n'est plus qu'un monceau de ruines fumantes. Le Cosso est pris. Alors malgré l'indomptable Basile — qui devait se noyer dans l'Ebre en tentant d'échapper aux envahisseurs — La Jute capitule. Ce ne sont plus que des spectres que les Français ont en face d'eux ; ils campent sur un immense charnier.

Le 19 mars — et quelle plus tragique citations pourrait-on faire ? — Lannes écrit à Berthier.

J'ai fais faire le relevé des personnes mortes depuis le 21 décembre jusqu'au 21 février, jour de notre entrée sur la place. Votre Altesse verra qu'il est mort cinquante quatre mille individus. C'est inconcevable ! Depuis notre entrée dans Saragosse, il en est mort encore huit à dix mille et cette ville est réduite en ce moment à quinze mille habitants au plus.

Il y a une lettre de lui, peut-être plus émouvante encore, parce que à côté du soldat qui avait triomphé de la plus extraordinaire résistance qu'on eût jamais vue, il y a l'homme jetant un cri douloureux :

— Quelle guerre ! Etre contraint de tuer tant de braves gens ou même de furieux ? La victoire fait peine !

C'est un beau mot de vainqueur.

 

REVUE NOS LOISIRS DU 12 JUILLET 1908

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