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ELLE A VALSÉ JUSQU'A EN MOURIR

10 Juillet 2012, 09:00am

Publié par nosloisirs

 

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C'est une bien singulière et bien tragique destinée que celle de cette jeune fille qui mourut pour avoir trop aimé la danse. Le cas est absolument unique et causa la désolation de sa famille et la stupéfaction des médecins. On reproche à beaucoup de jeunes filles d'être frivoles et de ne penser qu'à la danse. Mais il en est peu heureusement qui poussent à ce degré de passion et de folie, l'amour de cette distraction d'ordinaire inoffensive.

 

L'étrange, l'affolante histoire de Mlle Valentine Taravel illustre avec a singulière éloquence de la réalité, le vers célèbre du poète :

Elle aimait trop le bal ; c'est ce qui l'a tuée

Valentine Taravel appartenait à une excellente famille d'industriels du Midi. C'était une charmante jeune fille de dix sept ans, très vivante, très gaie, mais d'un caractère un peu fantasque et d'une sensibilité très impressionnable.

Le plus étonnant c'est que la petite Valentine sembla venir au monde avec la passion de la danse.

A l'âge de quatre ans, elle ne connaissait pas d'autre amusement que de prendre part aux rondes des petites filles plus âgées. Elle dédaignait les plus belles poupées mais dès qu'un rayon de soleil apparaissait et que la température permettait une promenade, elle suppliait sa mère de la conduire dans le parc ou dans les squares de la ville. Et sitôt arrivée elle courait rejoindre les groupes de petites filles qui avaient organisé des rondes et qui chantaient :

Nous n'irons plus au bois

Les Lauriers sont coupés

Valentine n'aimait ni le jeu de raquette, ni les balles, ni la corde à sauter. Elle dédaignait les bonbons et les gâteaux. Son unique plaisir était « d'entrer dans les rondes » et de tournoyer avec ses petites amies.

Un jour son père et sa mère la conduisirent au cirque. Elle y vit une troupe de danseurs et danseuses espagnols vêtus de costumes éclatants et qui rythmaient leurs pas et accompagnaient l'orchestre au son des castagnettes.

Ce fut pour la petite fille une véritable révélation. Elle rentra chez elle la poitrine haletante, le visage transfiguré. Pendant plusieurs jours, Valentine ne pensa plus qu'aux danses espagnoles, vêtues de costumes éclatants, pailletés d'or. Et son imagination enfantine se représentait sans cesse leurs évolutions rythmiques, leurs mouvements gracieux et violents.

L'enfant qui d'ailleurs était une élève docile et donnait à ses maîtres pleine satisfaction, supplia ses parents de lui donner un professeur de danse. Valentine était bien jeune pour apprendre à danser. Mais ses parent cédèrent et lui accordèrent cette récompense tant désirée, un jour qu'elle avait été classée la première à la pension dont elle suivait les cours. On lui donna le premier maître de danse de la ville.

Jamais maître à danser n'eut une élève plus appliquer et qui montra plus de dispositions. Valentine avait le génie de la danse, un génie inné, naturel, instinctif.

Son professeur disait d'elle :

— Cette enfant est la danse en personne. Il suffit de lui indiquer un pas pour qu'elle le reproduise immédiatement. Elle est capable de danser sans musique et de conserver avec une admirable exactitude le rythme et le mouvement de n'importe quelle danse. Elle semble infatigable et quand sa leçon est terminée, je crois qu'elle consentirait à danser des heures encore, sans donner jamais le moindre signe de lassitude.

Le dimanche, quand ses petites amies venaient goûter chez elle, Valentine se plaisait à danser avec elles, où même à danser toute seule au milieu de ses compagnes un peu étonnées et qui eussent de beaucoup préféré jouer à la poupée.

Mais personne ne voyait là rien d'extraordinaire. Quand Valentine dansait, ses parents disaient :

— Cette enfant est gaie, voilà tout, laissons-là s'amuser.

Lorsque l'enfant devint une jeune fille, elle connut l'ivresse des soirs de bal, la joie des lumière qui jouent sur l'habit noir des valseurs et sur les épaules nues des valseuses.

Le bal était sa seule distraction, son seul plaisir, sa jeune joie. Mais elle n'y cherchait pas comme tant de jeunes filles, une satisfaction de vanité, un plaisir d'amour-propre ou de coquetterie. Valentine était une fort jolie jeune fille. Mais elle se souciait bien peu de « flirter ». Les compliments de ses danseurs étaient bien peu de chose à côté de la seule, de l'unique, de l'irrésistible ivresse de la danse.

La danse était devenue chez cette jeune fille un besoin absolu. Elle traduisait ses sentiments et ses pensées en évolutions rythmiques, ses joies et ses tristesses en pas de caractère. Rentrée chez elle, dans sa chambre ornée de meubles laquée et de claires tentures, elle esquissait encore des pas, elle dansait pour elle-même, pour elle seule...

Ses parents s'inquiétèrent. On fit venir un médecin qui recommanda d'envoyer quelques temps Valentine à la campagne. Rien n'y fit. Les jours de foire, quand les jeunes gens et les « jeunesses » du pays se réunissaient sur la place du village, pour danser les vieilles danses campagnardes d'autrefois au son d'un accordéon monotone. Valentine suivait d'un œil extasié les mouvements des danseurs rustiques. Sans doute, ils n'étaient pas élégants, ils n'étaient pas beaux mais ils dansaient.

Deux mois après, Valentine Taravel rentrait chez ses parents. Elle était, moins que jamais, guérie de son étrange passion. Toujours d'un caractère très doux, elle semblait mélancolique de lassée de l'existence. Mais dès qu'elle était un instant seule, elle rangeait dans un coin les meubles qui pouvaient la gêner et elle se mettait à danser ; des danses gaies, des danses tristes, des danses rapides, des danses à mouvements ralentis. Et souvent son père et sa mère se levaient dans la nuit, en entendant le bruit de ses pas sur le plancher de sa chambre. Et dès qu'ils avaient entrouvert la porte, ils voyaient la jeune fille les cheveux dénoués, les yeux brillants, qui dansait toute seule au lieu de dormir. Sa mère la suppliait alors de se coucher et de dormir. Valentine éclatait alors en sanglots.

— Pourquoi, disait-elle, m'empêchez-vous de danser ? C'est mon seul plaisir, mon seul bonheur. Je ne fais de mal à personne.

On fit appel à un nouveau médecin, spécialiste très connu et très compétent en matière de maladies nerveuses. Il interrogea longuement la jeune fille, les parents, leur posa mille questions, il ne découvrit aucune tare héréditaire. Il promit alors de revenir et prescrivit un traitement calmant.

Pendant quelque temps, en effet, Valentine parut se détacher un peu de son étrange passion. Elle dormait mieux et consentit à ne plus danser la nuit.

Déjà ses parents se réjouissaient, croyant Valentine guérie de son inquiétante et bizarre manie.

Mais une nuit, la jeune fille se réveilla en sursaut. Elle se leva brusquement comme en proie à une idée fixe. A tâtons, à pas furtifs, elle quitta sa chambre afin de pouvoir danser sans être entendue, sans être dérangée. Elle monta au grenier, un vaste grenier de vieille demeure provinciale. A travers les lucarnes percées dans le toit, la lune devait éclairer féeriquement le grenier où l'on avait entassé de vieux meubles et où des fruits avaient été rangés pour l'hiver.

Alors, sûre de n'être entendue ni vue de personne, Valentine en proie à une sorte d'extase, se mit à valser , à valser seule, dans ce décor bizarre. Lentement d'abord, puis plus fiévreusement, plus ardemment, plus violemment, elle tourna dans le vieux grenier, comme une danseuse hindoue dans un palais. Elle tourna vertigineusement de plus en plus vie. Ah ! Quelle joie elle dut éprouver. Pour la première fois depuis plusieurs jours, elle pouvait enfin, sans gêneurs, se livrer tout entière à la danse.

Vers onze heures du soir, une femme de chambre avait entendu le bruit d'une porte qui se fermait. C'était la porte de Valentine. Vers deux heures du matin, on entendit distinctement un grand cri d'angoisse.

Valentine était tombée sur le plancher du grenier morte par syncope. Elle avait dansé trois heures sans s'arrêter.

Le grand spécialiste qui la soigna quelques temps et que nous avons pu interroger, nous a fait, au sujet de cette lamentable destinée de jeune fille, ces curieuses déclarations :

— Le cas de Mlle Taravel ne correspond à aucune maladie nerveuse classée par les médecins. Mais si exceptionnel qu'il soit, il n'est pas inexplicable pour la science. Toute passion agissant sur une nature nerveuse et impressionnable peut annihiler complètement la personnalité. Celte jeune fille ne pensait plus qu'à danser. Les préoccupations habituelles de la vie lui étaient devenues étrangères. Ne pensant qu'à la danse, l'esprit continuellement hanté par cette passion, elle finissait par accomplir automatiquement les gestes correspondants. Elle réalisait sa pensée en mouvements. Rien ne pouvait s'opposer à son désir de danser. Elle a dansé la nuit de sa mort comme un morphinomane se pique, comme un alcoolique boit. La cause matérielle de la mort est un arrêt syncopal du cœur.

Les médecins expliquent. Mais les parents de Mlle Taravel pleurent.

 

REVUE NOS LOISIRS DU 3 MAI 1908

TOUS LES LUNDIS A 14 HEURES SERIE DE PHOTOS

 

 

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