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APACHE ROI N° 4

31 Mai 2012, 11:00am

Publié par nosloisirs

APACHE ROI EN TETE

 

Comme il terminait ce dépouillement on lui annonça :

— Il y a là une jeune dame qui désire vous parler. Il paraît que vous attendez sa visite.

M. Dolabelle chercha.

— Moi j'attends ? Non je n'attends aucune dame. Faites entrer tout de même je verrai bien.

La jeune dame entra et, à sa vue, M. Dolabelle eut un mouvement de surprise.

— Comment c'est vous, mademoiselle ! Je ne vous attendais que demain.

— Excusez-moi, monsieur. Vous aviez eu, en effet la gracieuseté de me laisser ce temps-là pour préparer mon départ, mais les préparatifs d'une jeune fille qui n'a que sa malle à emporter sont bientôt faits, et j'avais hâte de prendre mon emploi.

— Voilà qui me promet un secrétaire dévoué, mademoiselle... Mademoiselle ? Voulez-vous me rappeler...

— Jacqueline Myra.

— Ah ! Oui... Jacqueline... Mlle Jacqueline Myra. Pardon je note pour la caisse ou je vais immédiatement vous aire inscrite. Myra... par un i ou un y ?

— Y monsieur.

— Oui, oui y. je me souviens d'avoir lu le nom de votre père dans les journaux... le colonel Myra. L'ami Roulisse me l'avait d'ailleurs donné par écrit, dans une lettre où il me parlait de vous. Il vous porte beaucoup d'intérêt, ce brave Roulisse... Mais asseyez-vous donc, mademoiselle Myra.

Jacqueline qui était restée debout dans l'attitude respectueuse de l'employée devant le patron, s'assit dans le fauteuil que lui indiquait M. Dolabelle.

— Nous avons à causer, mademoiselle. La personne que vous allez remplacer est tombée malade ces jours derniers ; elle n'est pas là pour vous mettre au courant, et c'est à moi de le faire. Et d'abord je dois vous dire que vous aurez beaucoup de travail.

— Ce n'est pas pour m'effrayer, monsieur, répondit Jacqueline.

— Je passe à la question essentielle pour vous, celle de vos appointements. Je vous ai dit, à Paris, vous toucheriez trois cent francs par mois ; j'ajoute que vous aurez au 1er janvier une gratification d'un mois appointements et que je me réserve de vous faire participer, comme tout le personnel de la maison, aux bénéfices annuels. Ces conditions vous agréent-elles ?

— Oui, monsieur.

— Bien. Venez voir votre bureau.

M. Dolabelle s'était levé ; il se dirigea vers la pièce voisine, une pièce exiguë, mais très clair et très confortable.

— Voici. Celle que vous remplacez s'y trouvait très bien ; j'espère que vous...

— Je m'y trouverai très bien aussi.

— Bon, autre chose maintenant. Quand êtes-vous arrivée ?

— Hier soir, par le train de six heures.

— Diable! Vous êtes donc partie une heure ou deux à peine après notre entrevue ? Il était près de midi quand je suis sorti de chez Roulisse.

— Oui, monsieur. Je suis partie par le premier train. Comme je vous l'ai dit, j'avais hâte.

— En effet, mademoiselle... En effet. Oh ! Je ne m'en plains pas au contraire. Dites-moi où êtes-vous descendue ?

— A l'hôtel, mais je compte m'installer chez moi louer un petit logement que je meublerai comme je pourrai pour commencer.

M. Dolabelle considéra un instant sans plus rien dire, cette belle fille à l'air si courageuse et si digne et son front semble se plisser.

Jacqueline le faisait-elle penser à son fils à l'enfant prodigue qui n'était, lui, ni courageux ni digne et se plissement de son front était-il l'effet d'une comparaison cruelle pour son cœur de père ?

Il reprit la parole, pour conclure :

— C'est tout, mademoiselle. Veuillez vous installer dans votre bureau ; tout à l'heure, je vous rappellerai pour vous dicter vos premières lettres.

Mais comme elle s'éloignait, il la rappela tout de suite :

— Pardon... Un mot encore. Je dois vous prévenir que je suis infligé d'un grand fils dont la conduite me désespère. Je donnerais tout au monde pour l'avoir auprès de moi, travaillant avec moi ; jusqu'ici je n'ai pas pu obtenir qu'il me fasse ce sacrifice ; je vais aire une dernière tentative. Voulez-vous me permettre de compter sur vous pour lui parler la langue de la raison et du devoir, s'il lui arrive de lier conversation avec vous !

Et comme Jacqueline effarée se défendait d'avoir qualité pour jouer ce rôle de mentor, elle, une jeune fille.

— Si, mademoiselle ; je suis convaincu moi, que vous avez toutes les qualités de ce rôle de petite maman sérieuse et grave... mais excusez-moi si je dépasse la mesure de ce que je peux vous demander. C'est le père qui vous adressait cette prière... et un père très malheureux.

Jacqueline passe dans on bureau toute remuée par l'accent douloureux de ces derniers mots et quand M. Dolabelle la rappela pour prendre la dictée des lettres, elle se sentit singulièrement gênée par la confidence du chagrin de famille.

Mais M. Dolabelle n'y pensait plus ; il dictait tout aux affaires à traiter, et un peu froid comme un hommes de chiffres.

La dictée terminée, il congédia Jacqueline sans revenir sur la confidence.

Il quitta le Peignage un peu avant midi et ne reparut qu'à rois heures ; mais dès son arrivé, il alla au bureau de Jacqueline et annonça :

— Mon fils arrive ce soir... Vous le verrez demain matin.

Et maintenant il avait l'air plus léger, presque joyeux.

— Je ne vous renouvelle pas ma prière, mademoiselle, ajouta-t-il aussitôt ; je m'en remets à votre cœur plein de souvenir de votre père.

Cela dit, il descendit aux ateliers et ne revint que pour la signature du courrier.

Il n'avait pas reparlé de son fils.

Comme la journée finie, Jacqueline allait quitter son bureau, l'employé préposé au courrier, le postier de la maison, un vieux bonhomme qui avait vu certainement débuter M. Dolabelle et était là comme chez lui, vint la complimenter.

— Très bien, votre courrier, très bien. Le patron est enchanté, il me l'a dit et s'il ne vous l'a pas dit à vous-même, c'est qu'il a un souci en ce moment. Oui, le prince qui fait encore des bêtises.

— Le prince ?

Malgré elle, Jacqueline avait posé la question et le vieil employé expliquait :

— C'est juste, vous ne savez pas. Le prince c'est le fils du patron. Pas besoin de vous dire pourquoi ce titre, n'est-ce pas ? Vous le devinez ; le fils unique, l'enfant gâté.

Et il expliquait aussi les bêtises du prince mais il les excusait, lui.

— Qu'est-ce que vous voulez, mademoiselle ! C'était forcé. Sa mère l'avait trop gardé dans ses jupes ce garçon-là et, un beau jour, elle l'a laissé filer en liberté dans un grand pré, au printemps. D'ailleurs pas méchant pour un sou, le poulain ; ici tout le monde l'aimait et l'aime encore.

Jacqueline rentra chez elle elle poursuivie par la pensée de l'enfant prodigue.

Derrière le jeune homme qu'elle n'avait jamais vu, elle en un autre, un gâté de la fortune comme lui.

Elle revoyait celui qu'elle avait eu peur d'aimer, si peur, qu'ayant trouvé cette autre place, à Tourcoing , elle avait voulu partir tout de suite, s'enfuir plutôt.

Le lendemain matin, à huit heures, elle reprenait le collier ; le vieil employé vint lui souhaiter le bonjour et li donner les dernières nouvelles.

— Le patron n'est pas encore là, c'est que le prince est arrivé hier soir. Alors ça doit être toute une affaire au château. Vous le verrez notre prince, il ne repartira pas pour Paris sans vous faire une petite visite. Pardon ! Je crois que voilà le patron.

Le vieil employé regagnait au galop son poste, c'était bien M. Dolabelle qui arrivait.

Il n'était pas seul, il avait quelqu'un avec lui et, à entendre de son bureau ce qu'il disait — car elle pouvait l'entendre, même sans prêter l'oreille — Jacqueline devina tout de suite qui était ce quelqu'un à qui il parlait.

— Ainsi c'est dit, tu repars ; mes observations les supplications de ta mère, ses larmes, rien ne te fait ; ma menace même de ne pas te donner l'argent que tunes venu chercher, de ne plus t'en donner, du tout, ne te fait pas hésiter... C'est Paris qu'il te faut.

— Oui, il me faut Paris... répondit l'enfant prodigue d'un ton mélancolique et doux.

Était-ce cette douceur qui avait frappé Jacqueline ? A la voix de l'enfant prodigue, elle avait brusquement porté ses deux mains à son cœur, et voici qu'elle restait là, bouche bée, à écouter la suite...

Le père reprenait.

— C'est bien je t'ai dit tout ce que je pouvais e dire. Je me tais. Je vais e conduire à la gare ; autant que je pourrai, je eux cacher au public les tristesses que nous viennent de toi. Un instant. J'ai une lettre à dicter, une lettre urgente que tu emporteras pour la remettre toi-même au destinataire dès ton arrivée à Paris. Il s'agit de toi et sois tranquille, ce n'est pas pour te faire du mal que je l'écris ; je ferme ma caisse aux bêtises, mais je reste un père et j'entends que tu aies le nécessaire.

C'est à peine si Jacqueline entendit cette fin. Son cœur avait cessé de battre, sa vie s'était arrêtée, quand le père avait parlé d'une lettre à dicter ; un nuage avait passé sur ses yeux.

 

5 JANVIER 1908 N° 2

 

M. Dolabelle l'appelait :

— Voulez-venir, mademoiselle Myra ?

Elle ne bougea pas, elle ne répondait pas, muette et comme pétrifiée.

M. Dolabelle dut venir la chercher :

— Je vous appelle, mademoiselle. Vous ne m'entendez donc pas ?

Elle recouvra la parole, put balbutier :

— Pardon, monsieur. Je viens. Je viens...

Elle suivait machinalement elle entrait( dans le cabinet du directeur.

Mais, le seuil franchi, elle défaillit encore et s'arrêta.

Ses yeux avaient rencontré ceux de l'enfant prodigue et, aussi troublé qu'elle, l'enfant prodigue avait eu un cri étouffé et un mouvement vers elle.

Et très pâle, tous deux, ils continuaient de se regarder sous l’œil du père et oubliant sa présence, comme si quelque chose de plus fort que leur volonté eut rivé les yeux de l'un à ceux de l'autre.

Ce fut la voix de M. Dolabelle qui remplit le silence.

— Asseyez-vous mademoiselle. J'ai besoin d'un document pour vous dicter la lettre, je vais le chercher à la caisse.

Il s'en allait, il les laissait seuls !

Un silence encore et tout à coup , un cri d'enfant prodigue, dans un élan vers l'apparition, un élan fou, avec des bras qui voulaient étreindre.

— Vous ! Vous ! Jacqueline !

Jacqueline comme hypnotisée, le regardait venir à elle.

Elle ne reprit conscience de la situation qu'en sentant des baisers sur ses mains.

Elle se rejeta en arrière.

— Oh ! Non, je vous en prie. Vous vous trompez, vous ne me connaissez pas, il n'y a jamais rien entre nous. Mais elle ne grondait pas, il n'y avait que de la souffrance dans l'accent de sa voix, une souffrance qui était un aveu et ses mains restaient dans celle d'Henry.

Et lui répondait :

— C'est vrai. Il n'y a jamais rien qu'un pauvre amoureux repoussé. A chaque fois que j'ai pu vous approchez et osé vous dire mon amour, vous vous êtes bouché les oreilles, vous avez refusé de m'entendre ; mais vos yeux restaient ouverts, et j'y lisait qu'au fond, vous me pardonniez de vous aimer, et je vous aimais de plus en plus, comme un fou que je suis. Puis, vous avez disparu, et j'ai eu des heures de véritable désespoir ; il me semblait que c'était fini de vivre pour moi. Je vous ai cherchée par tout Paris ; je suis allé vous demander chez vous, car je connaissais votre adresse — un jour je vous avais suivie jusque-là — votre concierge m'a appris que vous aviez trouvé une place en province. Alors je n'ai plus eu qu'une idée, partir, battre toute la France. Ah ! Ma mère croit que c'est pour elle que je suis venu ; mon père se figure que c'est pour obtenir de l'argent. Ils se trompent tous les eux ; c'est pour vous que je suis venu, pour vous, dans l'espoir insensé d'avoir de vos nouvelles, quelque part, en route, de retrouver dans l'air le parfum qui se dégage de vous. L'argent ! L'argent ! C'était pour vous que je le demandais. Je vous aime Jacqueline, je vous adore, et je vous supplie de ne plus me repousser.

Elle avait écouté e long cantique d'amour sans l'interrompre ; au début, elle avait essayé e protester, de fermer la bouche à celui qui parlait. Les mots s'étaient arrêtés sur ses lèvres, elle avait succombé à la griserie de cette adoration qu'elle avait voulu fuir et qui venait la reprendre.

— Et vous ne me repoussez plus, vous consentez à m'entendre, vous me laissez vos mains. Ah ! Jacqueline ! Jacqueline !

Brusquement comme il les mangeait de baisers, ces mains qu'on laissait dans les siennes, elle les retira.

— Votre père ! Souffla-t-elle, réveillé en sursaut du rêve où elle s'égarait. Votre père qui va revenir... il revient le voici.

Henry alla s'asseoir devant le bureau et laissa tomber sa tête dans ses mains.

M. Dolabelle rentra, un papier à la main ; la note qu'il était allé chercher à la caisse.

Son regard alla tout droit Jacqueline et de Jacqueline à henry ; il vit leur trouble à tous deux — il ne pouvait pas ne pas le voir — et un sourire bizarre passa sur son visage.

Sans rien dire, il s'installa dans son fauteuil, parut réfléchir un instant en relisant la note qu'il rapportait et laissa tomber enfin :

— Veuillez écrire, mademoiselle. Je dicte.

Et il dicta.

« Mon cher Roulisse,

« Deux mots d'abord au sujet de votre dactylographe »

Il interrompit sa dictée pour demander froidement :

— Ça ne vous gêne pas, mademoiselle, que je vous dicte à vous-même, ce que je pense de vous ?

Elle ne répondit que d'un geste vague et attendit tout angoissée, convaincue Que le père s'était aperçu de quelque chose.

 

                                                        ( A SUIVRE LE 3 JUIN )

 

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