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APACHE ROI N° 29

15 Août 2012, 11:00am

Publié par nosloisirs

 

APACHE ROI TITRE

 

Le corps d'Henry Dolabelle transféré à Tourcoing venait d'être inhumé dans le caveau de famille.

La cérémonie terminée, le père et la mère étaient rentrés chez eux « au château » et ils s'étaient enfermés seuls, ne voulant plus voir personne, n'ayant plus de forces que pour pleurer.

Elle surtout, la mère pitoyable victime d'un drame qu'elle n'avait pas à se reprocher d'avoir provoqué ; elle n'était pour rien, elle dans ce qui l'avait déterminé jusqu'à ces derniers jours, elle en avait tout ignoré.

Elle n'avait jamais commis qu'une faute, et toutes les mères la lui avaient pardonnée ; celle de trop aimer son Henry.

Mais quoi ! C'était le fils unique, le fruit de son premier et dernier amour, et si mignon quand il était tout petit, et si joli garçon quand il était devenu un homme.

Et l'héritier de la fortune conquise, une fortune qui lui permettrait de faire tout ce qu'il voudrait, d'être vraiment le prince, comme l'appelaient les ouvriers.

Et enfin, épouse un peu solitaire d'un homme emporté au torrent des affaires et leur sacrifiant tout , est-ce qu'elle avait jamais connu d'autre bonheur que celui de gâter son fils ?

Ah ! Si elle avait su !

— Si j'avais su ce qui se passait nous ne le pleurerions pas aujourd'hui, mon pauvre petit ! C'est moi qui aurais parlé à cette malheureuse fille et j'aurais trouvé le moyen de tout arranger.

Depuis l'heure où elle avait appris la vérité sur la mort de son fils, elle n'avait cessé de crier cela au père, et elle le lui répétait encore, rentrée de la triste cérémonie et seule avec lui dans la chambre qui avait été celle du mort.

Lui, le père accablé, répondait :

— Oui... oui... tu as raison... il eût fallu s'y prendre autrement, mais pouvais-je me douter.

Et tout à coup, il sortait de son accablement, des colères subites, le secouait :

— Oui... oui... Mais ne parle pas de celle que tu appelles la malheureuse fille, n'en parle plus ! Je partirais, je quitterais tout pour me jeter à sa recherche et je la retrouverais, moi, et je lui ferais expier la mort de notre Henry car ce n'est pas vrai qu'elle ait ignoré le crime, c'est elle qui l'a commandé, c'est elle qui a armé l'assassin. Ah ! La misérable ! Ah ! Le monstre !... et cette police, cette police aveugle, idiote qui n'a pu rien empêcher, qui n'as rien vu, et qui ne sait même pas la retrouver elle, la vraie criminelle.

Voilà huit jours maintenant que Jacqueline avait disparu, et la police n'avait encore rien découvert de la fugitive.

Rien ? Si, quelque chose...

Dès le premier jour des recherches on avait retrouvé l'automobile abandonnée en pleine campagne, hors d'usage, d'ailleurs, culbutée dans un fossé de la route.

Mais de Jacqueline mille trace.

 

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— Elle est peut-être morte, répondit la mère qui savait tout cela.

— Non... Est-ce que ça meurt, des créatures pareilles ? Non. Morte ou même seulement blessée, on l'aurait trouvée par là. Elle n'a rien eu, elle s'est tirée de l'accident sans une écorchure... L'accident... Il n'y en a pas eu d'accident ; c'est volontairement qu'elle a envoyée sa machine dans le fossé ; elle avait trouvé un autre moyen d'échapper à la police. Ah ! Découvrir le trou où elle se cache et l'y surprendre et la tuer, oui, la tuer... comme une...chienne, comme une vipère.

— Tais-toi !... Je t'en prie tais-toi...

La pauvre mère n'était pas pour les violences, elle, et elle était autant plus prompte à s'en épouvanter que, femme, elle se sentait au fond du cœur des faiblesses pour celle que son fils avait aimée et rendue mère pour cette malheureuse que son mari accablait et qu'elle ne pouvait se résoudre à voir criminelle.

Et vite elle écartait ce sujet, elle revenait à sa seule douleur et son besoin de consolation.

— Tais-toi ! Tu vas nous porter malheur, encore !

— Encore !... Pourquoi encore ?

— Parce que... tu sais bien...la cause de tous mes maux...

Et, à voix basse, les yeux fermés :

— Il est des choses auxquelles on ne peut jamais toucher sans provoquer les colères de là-haut... Tu as eu tort de faire enlever l'enfant à sa mère... Oui, je sais tu te défends d'avoir ordonné ce vol, mais tu m'as tout avoué à moi... et nous sommes seuls.

Elle avait appris cela par les journaux de Paris qui fouillant l'affaire à fond, avaient reconstitué tout le roman de Jacqueline Myra, en partant des explications que l'assassin Pierre Dary avait fournis au juge.

— Nous sommes seuls et personne ne nous entend. C'est toi qui a commis cette faute... je devrais dire ce crime... c'en est un... et c'est de celui-là, vois-tu, qu'est sorti l'autre ; c'est parce que tu avais pris l'enfant à sa mère qu'on nous a pris le nôtre, à nous...

M. Dolabelle courbait la tête sans rien répondre.

Le premier jour forcé d'avouer ce que sa femme avait sur-le-champ deviné, il avait essayé de justifier son acte.

— C'était pour Henry, pour assurer à jamais son repos et le nôtre.

Mais elle lui avait fermé la bouche d'un mot terrible :

— Son repos !... Oui, son report éternel, c'est de ton acte qu'il est mort !

Et depuis M. Dolabelle gardait le silence quand la mère du mort revenait sur les causes du malheur.

Mais aujourd'hui, comme elle y insistait un peu trop et quelle devenait cruel sans le vouloir, il finit par se révolter.

— Et après ? Après ? Quand tu me le répéteras cent fois et mille fois que j'ai eu tord, est-ce que cela ressuscitera notre pauvre fils ?

A son tour, elle baissa la tête.

— C'est vrai, tout ce que je dis là est inutile... Je te fais de la peine et je me déchire mou-même au lieu de chercher un adoucissement à notre douleur.

Comme elle achevait, on frappa à la porte de la chambre et la voix d'une bonne annonça :

— C'est une visite...

Leur premier mouvement fut de rappeler :

— Nous ne recevons pas.

Mais après ce qu'ils venaient de se dire, un besoin leur naissait de respirer un peu d'air du dehors.

Mme Dolabelle alla à la porte, demanda le nom du visiteur.

— C'est une religieuse, répondit la bonne.

— De Tourcoing ?

— Oui, madame... sœur Madeleine de Saint-Vincent-de-Paul.

Mme Dolabelle allait recevoir ; son mari trancha.

— Nous n'y sommes pour personne.

Et il referma lui-même la porte que sa femme avait entr'ouverte sa décision un peu brutal, il prononça :

— Ce n'est pas pour nous qu'elle vient, c'est pour son frère.

— Son frère ? Demanda Mme Dolabelle.

— Oui, son frère qui est à Paris, son frère que j'ai soutenu de notre argent à qui j'ai fait une situation et qui m'en a récompensé en se faisant le protecteur de la misérable qui nous a mis en deuil. Et je sais ce que la sœur vient me demander et je ne veux pas l'accorder, je ne veux plus rien savoir de cet homme-là.

— C'est bien mon ami... tu es le maître... Mais qui est cet homme ?

— Roulisse, mon ancien correspondant.

— Ah !

 

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— Mon obligé, mon débiteur... et le défenseur presque le complice de la criminelle... Non ! Non ! Je ne veux pas entende parler de lui ! Je lui a fait signifier qu'il eût a se libérer dans les quarante huit heures, et il me répond en m'envoyant sa sœur, cette religieuse, une pauvre ignorante qui donnerait sa vie pour lui. Je la connais, ce n'est pas la première fois qu'elle vient plaider chez moi la cause de son frère. Toutes les fois qu'il a eu besoin de moi, c'est elle qu'il m'a envoyée... C'est elle qui...

Le reste lui resta dans la gorge.

La porte de la chambre s’était rouverte toute grande, la religieuse entrait, elle s'avançait jusqu'au milieu de la pièce, l'air confiant et très doux sous sa cornette qui battait des ailes comme un grand pigeon blanc.

Et ce fut elle qui parla la première.

— Pardonnez-moi de forcer votre porte mais il est des missions qui ne sauraient attendre, et celle que je viens remplir est de ce nombre.

M. Dolabelle eut un geste qui condamnait la mission :

Inutile... C'est votre frère qui vous envoie... et je ne veux plus le connaître...

Elle répondit, ferme et douce :

— J'ai vu mon frère, il est venu assister à la triste cérémonie, il m'a parlé, et ce sont bien ses propres paroles que je vous apporte, mais il vous faut les écouter.

— Non, s'obstina M. Dolabelle. C'est fini entre nous, j'ai remis l'affaire à à l'huissier.

— Il ne s'agit pas de cette affaire-là, mon frère la réglera sans moi ; il paie, il rembourse tout ce qu'il a reçu de vous.

— Ah !

— Cela fait, il retombe à son point de départ, il va redevenir simple employé, mais il reste encore votre obligé et il tient à s'acquitter complètement, et c'est pour l'y aider que je viens...

M. et Mme Dolabelle se regardèrent...

— Après vous avoir rendu l'argent que vous lui avait fourni, il veut encore vous rendre un bien que vous croyez à jamais perdu pour vous...

— Un bien.. quel bien ? Balbutia le mari.

— Votre bien le plus cher, celui que vous pleuriez quand je suis entrée ici.

Le père et la mère du mort s'écrièrent ensemble : — Notre fils !... C'est notre fils que nous pleurons. Et ils se serrèrent l'un contre l'autre, visités par un grand frisson, en entendant sœur Madeleine, la bouche qui ignorait le mensonge, leur répondre :

— C'est bien lui, c'est votre pauvre mort que mon frère veut vous rendre.

— Notre fils...

De nouveau le père et la mère se regardèrent et la mère traduisit l’angoisse de ce regard !

— Ah ! Ma sœur, c'est mal de jouer avec notre douleur. Vous savez bien que votre frère ne peut pas ressusciter notre pauvre mort.

— Je le sais, répondit sœur Madeleine, mais je sais aussi qu'il peut vous le rendre sans le ressusciter.

Et comme l'angoisse persistait au fond de leurs yeux et qu'elle se teintait de méfiance, la religieuse parla clairement.

— Votre fils, en mourant a laissé derrière lui son image vivante, un enfant qui est sa chair et son sang.

Et elle développa l'idée de son frère, le rêve de rédemption qui hantait le cerveau du bon Roulisse depuis le jour où, la main forcée, fait l'exécuteur de l'arrêt qui enlevait le petit Jean à sa mère.

— Votre fils est mort, mais il revit dans cet enfant, ans cet autre lui-même qui est deux fois votre fils et qu'il vous faut pendre auprès de vous, pour qu'il s'occupe la place que son père a laissé vide et que son sourire innocent sèche vos larmes et console votre deuil... Ah ! Le bon moment que celui où le doux chérubin vous apparaîtra dans le petit lit qui fut celui de son père, et semblera vous dire, comme l'enfant du poète « Ne pleurez pas, c'est moi qui suis revenu ! » Et la joie de recommencer votre tâche de père et le mère autour de ce fils ressuscité tout petit, et ses tendresses à recueillir et son bonheur à faire. Oh ! Dites-moi que vous acceptez ! Permettez-moi d'honorer à mon frère que j'ai réussi dans ma mission.

Le grand-père et la grand-mère restaient muets, mais le menton du grand-père,

tremblait et les yeux de la grand-mère étaient pleins de larmes.

Et, tout à coup, ils éclatèrent ensemble.

— Où est-il ?

Sœur Madeleine comprit : c'était l'enfant qu'ils parlaient — et elle leur répondit :

— Il est ici dans les environs. Sans vous en douter, vous avez dû passer auprès de lui, le voir dans les bras de sa nourrice que mon frère lui donna, mon frère n'a pas voulu que le fils de votre fils allât se perdre dans le troupeau des petits abandonnés, et qui l'a fait élever pour se racheter de l'avoir volé à sa mère.

La grand-mère eut ce cri :

— Et nous aussi nous voulons nous racheter de ce qui nous a porter malheur.

Et, s'emparant de sœur Madeleine.

— Venez ! Conduisez-moi à mon enfant ! Ne me faites pas attendre davantage sa grand-mère ; il l'a déjà trop attendu.

M. Dolabelle les laissa partir et il se dit qu'un mot à la religieuse.

— Merci !

Et resté seul le grand brasseur d'affaires, l'homme de pierre pleura.

La grand-mère et sœur Madeleine étaient sortis du château, elles avaient gagné la route.

Comme elles s'y engageaient une pauvresse assise au bord du fossé et qui, la tête dans ses mains, semblait dormir ou pleurer, attira leur attention.

Mme Dolabelle fouilla dans sa poche, en sortit une bourse et la laissa tomber aux pieds de la pauvresse en murmurant :

— De la part d'une mère qui va retrouver un peu de bonheur !

Et elle s'éloigna, très vite, avec sœur Madeleine.

La pauvresse avait tressailli ; elle écarta ses mains qui voilaient son visage et regarda non pas la bourse tombée devant elle, mais les deux femmes qui s'éloignèrent.

Un moment, elle les accompagna des yeux, sans faire un geste ni murmurer un seul mot ; puis elle se leva et ce fut pour les suivre à une distance respectueuse.

La bourse resta dans le fossé.

Mme Dolabelle et sœur Madeleine marchaient à grands pas, mais leur course ne fut pas longue.

Au bout de quelques minutes, elles s'arrêtèrent devant une maison de pauvre apparence, au seuil de laquelle un enfant jouait avec un mouton à roulettes arrivé jadis de Paris dans la botte du bonhomme Noël.

— C'est là, murmura sœur Madeleine.

La grand-mère lui étreignit le bras !

— Est-ce lui qui joue là ? Ah ! Mon Dieu ! Je ne peux pas reconnaître mon enfant.

La religieuse répondit :

— Ce n'est pas lui. Ce n('est que son frère de lait. Votre enfant est plus jeune de quelques mois et sa nourrice ne peut pas encore le laisser seul... entrons...

Elles entrèrent et, en passant, la grand-mère caressa de la main la joue du frère de son enfant et elle failli s'évanouir d'ivresse en entendant le bébé répondre à sa caresse par le mot, chez lui disait tout :

— Mama !

Une autre secousse la remit debout.

La nourrisse accourait au-devant des visiteuses ; elle avait un enfant sur son bras, un autre bébé rose et frais, avec des yeux doux qui riaient à tout.

Et, dans ses yeux qui semblaient — Oh ! L'illusion maternelle ! — chercher les siens de préférence. La grand-mère avait déjà reconnu les yeux fermés par la mort, les yeux de son Henry...

( A SUIVRE LE 18 AOUT )

 

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