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MOINEAUX SANS NID N° 306

27 Septembre 2013, 09:00am

Publié par roman

CHAPITRE 306

LES EAUX DE LA MANCHE

Le yacht de Jim Master pénétra enfin dans la Manche.

La mer était agitée par un vent debout assez fort et de grosses vagues venaient se briser contre la coque du navire qui continuait son avance rapide vers les Iles Britanniques.

Alice et son mari suivaient attentivement des yeux le vol gracieux des mouettes, tournant inlassablement dans le ciel.

— Dans combien de temps, chéri crois-tu que nous arriverons ? Demanda la jeune femme à son époux.

— Je pense que dans quatre heures, tout au plus, nous entrerons dans la Tamise, répondit l’Anglais.

La ravissante sœur du marquis d’Evreux fixa de nouveau cette étendue d’eau infinie, semblant chercher à y découvrir quelque chose.

— Pourvu, murmura-t-elle tout bas, que nous ne tombions pas sur un sous-marin allemand !

Lord Master saisit la petite main de sa femme qu’il étreignit dans la sienne.

— Ma chérie, répondit-il, en lui souriant pour essayer de la rassurer, je ne puis te dire que c’est impossible, mais regarde là-bas, je pense que ce que tu verras te réconfortera quelque peu !

Alice tourna la tête dans la direction que lui indiquait son mari, et poussa un immense soupir de soulagement en apercevant deux gros navires de guerre qui sillonnaient la mer, à un demi mille du yacht.

— Quel type de bateau de guerre est-ce ? Demanda la jeune femme.

— Ce sont deux contre-torpilleurs anglais, ma chérie, s’empressa de préciser Jim Master.

— Je crois que l’Angleterre en possède un grand nombre, n’est-ce pas, Jim ? Questionna-t-elle de nouveau.

— L’Angleterre, expliqua son mari avec orgueil, possède la plus puissante flotte du monde !

— En effet, je l’ai déjà entendu dire, ajouta Alice.

— Evidemment la guerre a réduit fortement la navigation, poursuivit Master, mais tu verras lorsque nous passerons sur la Tamise, l’énorme quantité de marchandises qui y est entreposée.

— L’Angleterre produit-elle les matières premières qui lui sont nécessaires ? Reprit Alice, plus par courtoisie envers son mari, que par intérêt, car elle avait horreur de ce genre de conversation.

Jim sourit ravi de constater que sa femme désirait se renseigner sur les activités de sa nouvelle patrie.

— L’Angleterre ma chérie, lui dit-il en entourant tendrement de son bras les épaules de la jeune femme, l’Angleterre possède surtout de nombreuses mines d’un charbon qui est un des meilleurs du monde. Elle fabrique plusieurs objets dont l’homme peut avoir besoin, mais évidemment elle manque de beaucoup de chose, également indispensables.

— Alors elle est obligée d’importer ?

— Certes ! Mais ses importantes colonies lui fournissent largement ce qui lui est nécessaire, répondit Jim.

Un silence suivit leurs paroles.

Le jeune couple recommença à fixer l’horizon. Alice soupira profondément et ajouta :

— J’aimerais faire de longs de très longs voyages !

— Dès que la guerre sera terminée, je m’empresserai de te satisfaire, mon amour, promit Jim d’une voix chaude.

— Tu ne peux savoir combien j’aime la mer ! Murmura Alice.

— Je l’ai constaté avec beaucoup de joie, car c’est également ma plus grande passion après toi.

La jeune femme sourit.

— M’aimes-tu, mon amour ? Demanda-t-il en approchant son visage de celui si jeune et si attirant de la sœur du marquis Anselme d’Evreux.

— Oui, Jim, répondit-elle en levant sur lui ses grands yeux sombres, je t’aime et il me semble t’aimer davantage chaque jour.

— Mon amour ! Tu ne peux savoir la joie ineffable que je ressens, s’écria lord Master extasié. Regarde-moi bien dans les yeux, ajouta-t-il en saisissant le bras de la jeune femme.

Alice tressaillit et obéit.

— Tu crois que je t’ai menti ? Demanda-t-elle sèchement.

— Oh ! Quelle idée ! Pourquoi prononces-tu de telles paroles, ma chérie ? Protesta-t-il vivement.

Ne pouvant résister à son désir, il l’attira à lui et posa un baiser passionné sur les belles lèvres de sa femme.

Elle chercha à se dégager presque aussitôt.

— Voyons, chéri, gronda-t-elle tendrement, on pourrait nous voir !

— Mais non ! Mais non ! S’exclama Jim, et puis même si on nous voyait, nous ne faisons aucun mal !

— Je préfère que nul ne vous voie, répliqua sèchement la jeune femme.

— Tu m’appartiens et j’ai le droit de t’embrasser, mon amour adoré, essaya de protester lord Master.

Alice haussa les épaules et sourit avec ironie.

— Personne ne te discute ce droit, Jim, ajouta-t-elle froidement.

Mais craignant de l’avoir froissé à cause du ton dur qu’elle avait employé, elle abandonna sa belle tête sur l’épaule de son mari.

Jim posa un baiser léger sur le front blanc et pour d’Alice et la serra contre lui avec une joie profonde.

A cet instant, la sirène du yacht résonna lugubrement, faisant sursauter Alice.

— Que se passe-t-il, Jim ? S’écria-t-elle en le fixant, effrayée.

Lord Master saisi les jumelles suspendues à son cou par une courroie de cuir et scrutait attentivement la surface des ondes.

— Ne t’effraie pas, mon amour, dit-il tendrement, il ne s’agit de rien de grave. Un bateau vient de stopper pour descendre une chaloupe qui a recueilli une femme tombée accidentellement à la mer.

— Ah ! Murmura Alice en fixant le point que son mari regardait avec ses jumelles.

— Maintenant, cette femme a été remonté à bord, précisa son mari.

— En es-tu certain ?

— Oui, chérie.

Alice garda le silence.

A son tour le bateau fit mugir la sirène pour répondre qu’il n’avait besoin d’aucun secours et continuait sa route.

Le yacht qui avait ralenti sa vitesse, reprit sa marche. Il avait à peine parcouru un peu plus d’un mille que, de nouveau, la sirène déchira l’air.

Lord Master recommença à examiner l’étendue d’eau qui les encerclait à l’aide de ses puissantes jumelles, ; lorsque soudain, un cri de stupeur lui échappa.

— C’est incroyable ! S’écria-t-il.

— Quoi ? Qu’est-ce que c’est ? Questionna Alice en s’accrochant à son bras.

Elle croyait qu’il venait d’apercevoir, émergeant des flots, le périscope d’un sous-marin allemand. Mais il s’agissait de tout autre chose.

— Tiens, regarde là-bas, chérie, dit lord Master.

Alice tourna la tête dans la direction que lui désignait son mari et discerna, effleurant la crête des vagues, un petit avion volant d’une façon irrégulière et menaçant de paquer du nez dans la mer. Sans doute son pilote, par un effort désespéré, le maintenait difficilement à cette faible altitude.

Le yacht filait maintenant de toute sa vitesse vers l’appareil en détresse. Bientôt, il fut à une centaine de mètres de l’avion et un canot à moteur fut mis à la mer, avec trois hommes d’équipage.

Quelques minutes après l’avion tomba à l’eau, durement secoué par les vagues et ne tarda pas à couler. Le canot l’atteignit au moment où les flots l’engloutissaient.

— Bravo ! Cria lord Master avec enthousiasme.

— Que se passe-t-il ? Demanda Alice inquiète, ne pouvant à l’œil nu discerner ce qui arrivait.

— Les passagers de l’avion, ont été sauvée juste à temps par mes hommes, déclara son mari.

— Ah !

— Oui et à présent le canot les ramène à bord de notre yacht, continua Jim Master.

Alice saisit les jumelles de son mari.

— Laisse-moi regarder, je t’en prie ! S’exclama-t-elle avec une soudaine curiosité.

Dès qu’elle eut repéré le canot qui, à présent, se trouvait à une quinzaine de mètres, elle poussa un grand cri et laissa tomber les jumelles.

Qu’est-ce que tu as ? Questionna Jim très inquiet. Pourquoi es-tu si effrayée ?

— Mon Dieu ! Mon Dieu ! Soupira Alice livide, essayant vainement de se dominer ... cet Allemand !

— Tu as peur de ce malheureux ? S’exclama Jim.

— Ce n’est pas cela !

— Cet Allemand ne peut te faire aucun mal, chérie, lui dit son mari.

— Non ! Tu as raison ! Je suis folle ! Soupira-t-elle en passant une main sur son front. Mais je ne me sens pas bien. Je suis nerveuse, sans doute est-ce de la fatigue. La forte tension occasionnée par ces longs jours de traversée ...

— Alors, descendons immédiatement sans ta chambre ! Proposa Jim en la prenant tendrement par le bras. Tu dois te reposer tout de suite. Nous n’allons pas tarder à arriver à Londres. Dans cette grande ville, tu te sentiras davantage en sécurité.

Il la força doucement à le suivre et la conduisit jusqu’à sa cabine décorée avec un goût raffiné et munie du confort le plus moderne.

La jeune femme s’étendit sur son lit, ferma les yeux, soupira profondément, puis murmura :

— Jim ! Le naufragé que tu viens de secourir n’est pas de nationalité allemande !

— Qu’est-ce que tu racontes ? S’exclama lord Master en fixant sa femme avec inquiétude et incrédulité, la croyant en proie à une forte fièvre.

— Rassure-toi, chéri, je ne divague nullement et je sais très bien ce que je dis, reprit calmement Alice, cet homme est français !

— Mais ... comment le sais-tu ? Insista Jim, perplexe. (Puis il ajouta en la fixant avec plus d’attention) : Tu as sans doute connu cet homme autrefois ?

— Oui, répondit-elle tout bas, mais je ne veux pas qu’il me voie ... surtout ici !

— Que signifie ce mystère, Alice ? S’écria lord Master avec un accent de stupeur et de léger reproche.

Un imperceptible sourire erra sur les lèvres pâles de la jolie femme. Elle hocha la tête et poursuivit :

— Jim ! Je te supplie de ne pas te mettre de fausses idées en tête car la raison pour laquelle je ne tiens pas à rencontrer cet homme est très simple : lui et mon frère se haïssent ! Comprends-tu à présent ?

— Ah ! Bredouilla lord Master.

— Oui, reprit Alice avec assurance. Mais ne suppose pas qu’il s’agisse pour cela d’un mauvais garçon !

— Ne crains rien,ma chérie, affirma son mari en souriant, je te promets qu’il ne te verra pas puisque tu le désires. Tu es ici chez toi et libre d’agir comme bon te semble !

— Pourtant, ajouta la jeune femme, je ne veux pas que mon attitude envers lui t’empêche de faire ce qu’il faut pour le secourir, car je crois qu’il en a grand besoin, le malheureux !

— Je suis heureux de t’entendre parler ainsi ! S’écria lord master, car nous devons respecter les lois de la mer et sauver ce naufragé !

— Jim, je t’affirme que je suis de ton avis, insista alice. Fais tout ce que tu peux pour secourir le peintre Robert Montpellier.

— Robert Montpellier ? Répéta l’Anglais.

— Oui ! Soupira la sœur du marquis, c’est lui qui a exécuté la toile de la « Maya » !

— Lui ? S’écria lord master.

— Mais oui, chéri, répondit en souriant Alice. Qu’as-tu ?? On dirait que cette réponse te contrarie.

— Non ! Non ! Protesta lord Master avec énergie, cependant il t’a peinte dans une tenue ...

— Voyons, Jim, un peintre n’est-il pas un peu comme un médecin ! Expliqua la jeune femme.

— Je ne dis pas le contraire !

— J’espère que tu n’es pas jaloux, chéri ! Ajouta Alice assez sèchement.

— Oh ! Alice, que vas-tu imaginer ?

— Alors, tout est parfait, ce serait tellement ridicule s’il en était autrement ! Reprit-elle avec énergie. D’autant plus, comme je viens de te le dire, que je ne veux pas revoir ce garçon !

Son mari demanda brusquement :

— Tu es bien sûre qu’il s’agit de ce peintre chérie ?

— J’en suis certaine, Jim !

— Et de le revoir t’a troublée à ce point ? Reprit-il en ne la quittant pas des yeux.

— J’ai été stupéfaite chéri, répondit-elle en haussant les épaules.

— Bon ! Je vais aller me renseigner et m’assurer que c’est bien lui, poursuivit lord Master.

— Tu as raison, c’est une excellente idée !

— Jim sourit à sa femme, et après un geste affectueux de la main, quitta la cabine.

Restée seule, Alice se leva et regarda autour d’elle, désorientée en proie à une violente agitation.

— Robert est ici ? Murmura-t-elle comme si elle ne parvenait pas à se persuader de cette incroyable réalité.

Elle était bouleversée et comprenait à son émotion, que son amour pour le jeune artiste était plus intense que jamais.

« Mon Dieu ! Se dit-elle avec amertume. Je ne pourrai donc jamais l’arracher de mon cœur ?... Et dire que j’ai cru qu’il était mort ! »

Elle s’étendit de nouveau sur son lit, alluma une cigarette et s’enfonça dans ses absorbantes réflexions.

Pendant ce temps, lord Master s’était rendu dans la cabine du commandant avec lequel il s’entretint longuement. Il apprit ainsi les noms des deux naufragés qu’il venait de recueillir à bord de son yacht.

Quelques instant plus tard, Jim revenait frapper à la porte de la cabine de sa femme, l’arrachant ainsi à ses méditations.

— Alors ? S’enquit-elle, dès qu’il fut entré.

— C’est bien lui, tu ne te trompais pas, répondit lord Master en refermant la porte, et il s’approcha du divan où Alice était étendue.

— Tu vois ! S’exclama-t-elle.

— Oui, continua l’Anglais en s’installant dans le fauteuil placé à côté de sa femme. J’ai même appris que ce garçon s’est envolé d’un terrain d’aviation allemand. Il s’était fait passer, pendant quelque temps, pour un sous-officier ennemi, afin de ne pas être envoyé dans un camp de prisonniers !

— C’est tout ce qu’il a dit ? Questionna anxieusement la sœur du marquis.

Jim répondit lentement, un sourire indéfinissable aux lèvres :

— Je n’ai pas encore eu la possibilité d’interroger personnellement cet homme, ma chérie.

— Que comptes-tu faire de lui ? Demanda-t-elle s’efforçant de paraître indifférente.

— Dés que nous arriverons à Londres, expliqua calmement le jeune lord, je remettrai ces deux naufragés aux autorités militaires.

— Mon Dieu ! S’exclama Alice, effrayée.

— Tu ne dois pas t’émouvoir, chérie, protesta Jim en remarquant son inquiétude. Ces hommes n’ont rien à craindre étant français. Au contraire, ils seront traités avec égards !

— Tu ne pense pas, Jim, qu’ils puissent avoir des ennuis ? Insista Alice.

— Mais pas du tout, voyons ma chérie, protesta énergiquement son mari. Les autorités militaires les interrogeront et les remettront tout de suite en liberté.

— Tu les aideras sans doute à fournir les preuves qui leur seront nécessaires ? Questionna-t-elle encore.

— Cela m’est impossible, car je ne les connais pas du tout ! Répliqua l’Anglais.

— Et lorsqu’ils seront relâchés, feras-tu quelque chose pour eux ?

— Certainement ! Affirma lord Master.

— Tu ne peux pas savoir le grand talent que possède Robert Montpellier ! Murmura la jeune femme.

— j’en suis absolument convaincu, à en juger par le merveilleux portrait qu’il a fait de toi, répondit sèchement Jim Master.

Alice sourit.

— Je crois, Jim, que tu n’aimes pas cette toile ! Murmura-t-elle en le regardant avec tendresse, cherchant à se faire pardonner l’intérêt qu’elle témoignait à Montpellier.

— Au contraire, Alice, c’est un véritable chef-d’œuvre !

— Si j’avais pu prévoir qu’il provoquerait ta jalousie, je l’aurais mis en pièce ! S’écria-t-elle énergiquement.

— Oh ! Alice ! Je t’assure que je ne suis pas du tout jaloux ! Protesta vivement son mari.

— Heureusement, chéri ! Tu ne peux t’imaginer combien cette pensée pouvait me tourmenter ! Affirma-t-elle en l’enveloppant d’un regard tendre.

— Je te remercie, mon amour, et je te répète que j’apprécie infiniment le grand talent de ce garçon, insista lord Master.

— Jim ! Murmura-t-elle d’une voix chaude et passionnée, je t’aime chaque jour davantage !

L’Anglais quitta son siège et accourut vers la jeune femme qu’il étreignit avec émotion. Il était loin de se douter de la perfidie de celle à laquelle il venait de donner son nom !

— Chéri, reprit Alice, j’ai une demande à te formuler. Robert Montpellier étant en mauvais termes avec mon frère Anselme ; il me déplait qu’il apprenne que la sœur de son ennemi à épousé son sauveteur !

— Tu as raison, Alice, je vais donner des instructions à tout le personnel ; en présence des deux naufragés et pendant le temps qu’ils seront chez moi, ils me donneront le nom de lord Richmond, qui était celui de ma bisaïeule et que j’ai d’ailleurs le droit d’ajouter à celui de Master.

— Jim, tu as comme toujours une excellente idée !

Pendant ce temps, le yacht poursuivait rapidement sa route et une heure plus tard, il remontait la Tamise. Peu après, il jeta l’ancre dans un des interminables quais de l’imposante capitale anglaise.

{ A SUIVRE LE 30 SEPTEMBRE }

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