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MOINEAUX SANS NID N° 301

12 Septembre 2013, 09:00am

Publié par roman

CHAPITRE 301

EN ANGLETERRE

Lorsque Robert Montpellier revint à la surface, il se sentit solidement happé par un bras.

Il eut à peine le temps de réaliser ce qui lui arrivait qu’il se trouva assis à l’intérieur de l’embarcation qu’il avait vue venir à leur secours.

Contrairement à ce qu’il avait pensé, le canot n’appartenait pas à un navire de guerre mais à un richissime Anglais qui surpris par les événements, avait décidé de rentrer dans sa patrie par ses propres moyens, malgré le danger que les sous-marins et les avions représentaient pour lui et son équipage.

Michel Labeille lui aussi avait été repêché. Il était assis à l’avant du canot, les yeux hagards, tremblant de froid et d’angoisse.

Le bateau filait rapidement pour regagner le grand yacht qui l’avait mis à la mer.

Un des deux hommes demanda soudain :

— Vous êtes Allemand, n’est-ce pas ?

— Pas du tout, répondit robert dans un anglais parfait.

— Comment ? Et cet uniforme ?

Montpellier sourit.

— En effet, mon uniforme est celui d’un Allemand, mais je ne le suis pas.

— Seriez-vous Américain pour parler aussi bien notre langue ? Reprit le marin.

— Non, je suis Français, répliqua Robert et mon compagnon aussi.

L’homme se tut, perplexe, et s’occupa de sa manœuvre, car il atteignaient le yacht.

Dix minutes plus tard, marins et naufragés étaient à bord.

Robert qui se trouvait dans de meilleures conditions physiques que Michel Labeille fut conduit chez le commandant du yacht pour être interrogé.

— On vient de me dire que vous affirmez ne pas être Allemand, Monsieur, commença l’officier britannique en le dévisageant avec méfiance.

— C’est exact, Commandant, affirma Montpellier, je suis Français et vous prie de me remettre entre les mains des autorités anglaises dès que nous serons à terre.

— Cette décision concerne le propriétaire de ce bateau.

— Ah ! Ce yacht ne vous appartient pas ?

— Non ! J’en suis le commandant.

Robert se tut. L’officier lui posa d’autres questions auxquelles le jeune homme répondit de la façon la plus satisfaisante.

Quelques instants plus tard, il fut conduit dans une cabine où se trouvait déjà Michel Labeille.

Ce dernier était dans un bien triste état. Dès qu’il aperçut Robert il lui désigna le hublot.

— C’est de sa propre volonté qu’elle s’est jetée par-dessus bord, balbutia-t-il désespéré, elle l’a fait exprès !

Robert s’efforça de le calmer. Il réussit à le faire allonger sur une des couchettes puis s’assit près de lui sur un escabeau.

Il n’arrivait pas à croire aux paroles de Michel Labeille, ni à comprendre comment Valérie avait pu tomber à la mer.

Peut-être s’était-elle trop penchée, et à la suite d’une secousse plus violente que les autres, avait-elle été précipitée dans les flots !

Malgré les affirmations de l’infortuné père, le jeune homme ne pouvait croire à la disparition de celle qu’il aimait.

— Il est impossible qu’elle soit morte ! Elle a dû remonter à la surface et nager ... mais ... après ... Elle n’avait pas la force physique de nager longtemps.

Il éclata brusquement en sanglots, le cœur écrasé de peine, comprenant que tout espoir était vain, car comment Valérie aurait-elle pu échapper à la mort en tombant dans une mer agitée et très éloignée de la côte ?

« Mon Dieu, pria-t-il avec ferveur, ayez pitié de cette âme si éprouvée et si pure ! »

Il regarda Michel Labeille qui, toujours immobile sur sa couchette, les yeux grands ouverts semblait l’incarnation même de la douleur.

Un peu après le crépuscule, le beau yacht s’engagea dans l’estuaire de la Tamise, remontant le grand fleuve jusqu’à Londres.

Il faisait nuit depuis longtemps lorsque Robert Montpellier et Michel Labeille débarquèrent dans la capitale du Royaume Uni.

Ils furent aussitôt confiés aux autorités militaires. Cette décision fut prise par le commandant sans avoir demandé contrairement à ce qu’il avait déclaré quelques instants plus tôt, l’avis du propriétaire du bateau.

Robert répondit à toutes les questions qui lui furent posées et raconta son incroyable odyssée. Il se souvint, fort heureusement qu’il possédait un excellent camarade dans la capitale anglaise qui pourrait confirmer son identité.

Convoqué de toute urgence, l’ami de Montpellier accourut et affirma qu’il connaissait depuis de longues années le jeune artiste et qu’il répondait à son honnêteté et de sa moralité.

En ce qui concerne Michel Labeille toutes difficultés furent aussi très vite aplanies.

— Parfait ! Conclut l’officier chargé de leur interrogatoire, vous pouvez disposer, Messieurs, vous êtes libres ! Je vous conseille de vous présenter sur le champ à l’Ambassade de France qui vous apportera son aide.

— Sommes-nous réellement libres ? Insista Robert, heureux de la rapidité avec laquelle leur cas avait été réglé.

— Mais certainement, affirma l’officier anglais avec beaucoup de courtoisie.

Robert lui serra chaleureusement la main, puis glissa son bras sous celui de Michel Labeille, indifférent à tout ce qui se passait.

Le jeune homme s’aperçut tout de suite que le malheureux père de Valérie était à bout de forces, terrassé par sa douleur. Il faillit tomber à deux reprises car il tenait à peine sur ses jambes.

Robert le soutint avec sollicitude en lui murmurant :

— Courage, cher monsieur Labeille !

— Ma chère fille ! Répliqua l’infortuné dont les yeux se remplirent de larmes.

— Soyez courageux, reprit doucement Robert, peut-être Dieu n’a-t-il pas permis que ...

— Non ! Taisez-vous ! Ma fille chérie repose maintenant au fond de la mer ... et désormais, je suis seul au monde !

— Ce n’est pas bien de parler ainsi ! Dit affectueusement le jeune artiste, car vous m’oubliez, monsieur Labeille !

— C’est vrai ! Soupira Michel.

— Nous sommes deux à la pleurer ! Affirma Montpellier d’une voix étranglée.

— Hélas !

— Courage ! Il faut réagir et supporter stoïquement ses souffrances, mêmes les plus terribles, ajouta Robert.

— C’est impossible ! Je ne peux vivre sans ma petite fille ! C’est trop cruel, trop douloureux !

Robert ne put retenir ses larmes, il détourna la tête pour éviter de montrer son visage au père de l’infortunée Valérie. (Puis réussissant finalement à se dominer, il lui dit doucement) : Courage, mon ami, il le faut !

Et le soutenant affectueusement, ils descendirent lentement l’escalier. Lorsqu’ils atteignirent la porte, un homme très grand, âgé d’une cinquantaine d’années, les arrêta :

— Vous êtes bien monsieur Montpellier ? Demanda l’inconnu.

— Oui, Monsieur, répondit Robert avec étonnement.

— Veuillez vous donner la peine de me suivre, Messieurs.

— Mais ... je ne vois pas ...

L’homme sourit et s’inclinant ajouta :

— Je suis John le valet de chambre de lord Richmond le propriétaire du yacht qui vous a recueilli en pleine mer, Monsieur.

— Ah ! Très bien, reprit le jeune artiste dont le visage s’éclaira.

— Alors, suivez-moi, s’il vous plait ! Pria l’autre tout en faisant signe au chauffeur d’une grosse voiture stationnés à quelques mètres d’eux.

Ce dernier mit le moteur en marche et stoppa le long du trottoir, devant les trois hommes.

— Veuillez monter, Messieurs, je vous en prie, reprit John en ouvrant la portière.

Robert aida Michel Labeille à s’installer sur la banquette arrière et s’assit auprès de lui, tandis que le valet de chambre prenait place à côté du conducteur qui dé »marra. La voiture roula très vite et traversa les rues londoniennes, puis la Tamise, non loin du palais du Parlement dont la masse sombre et imposante se découpant dans un ciel criblé de milliers d’étoiles, pour finalement s’arrêter devant une villa à colonnes de plus pur style victorien.

— Nous sommes arrivés ! Annonça John, en se hâtant d’aller ouvrir la portière arrière pour aider Michel Labeille à descendre de la voiture.

Robert les rejoignit vivement et tous deux soutinrent Michel pour monter les marches du perron.

Un valet en culotte courte leur ouvrit la porte et les fit entrer dans un hall immense et magnifique, d’où partait un double escalier en marbre de Carrare, aux rampes de fer forgé merveilleusement ouvragées.

Les trois hommes gravirent l’escalier précédés par le valet. Après avoir traversé plusieurs salons meublés avec un luxe sévère, ils s’arrêtèrent dans un somptueux salon dont les murs étaient recouverts de portraits de famille dont les membres portaient les costumes des siècles passés.

— Veuillez vous donner la peine de vous asseoir, Messieurs, pria le domestique en leur indiquant de belles et confortables bergères recouvertes de velours cramoisi.

Michel Labeille se laissa tomber épuisé dans l’une d’elle.

— Je vous prie de m’excuser, Messieurs, je vais prévenir mon maître.

Il disparut et quelques secondes après, la porte du fond s’ouvrit laissant entrer un homme très distingué, en habit de deuil.

— Bonsoir, Messieurs, dit-il en s’avançant vers les deux hommes et en leur souriant aimablement. Soyez les bienvenus chez moi ! Excusez-moi de vous avoir fait attendre.

— Je vous en prie, Mylord ! C’est nous qui sommes très honorés et ne savons comment vous exprimer notre reconnaissance pour nous avoir arrachés à une mort certaine.

Le maître de maison esquissa un geste de protestation.

— Dieu l’a permis ! Murmura-t-il.

— Oui, évidemment.

— Il n’existe pas d’homme dont l’heure de la mort ne soit inscrite sur l’horloge du destin, ajouta l’Anglais, solennel.

— Vous citez, je crois, un dicton arabe, remarqua Robert.

— En effet, c’est un Arabe qui me l’a enseigné, reconnut lord Richmond en s’asseyant et en priant Robert de l’imiter.

— J’ai appris, reprit l’Anglais, que vous être le peintre Robert Montpellier dont j’apprécie beaucoup le talent.

— Monsieur ! Protesta modestement Robert.

— Ne vous en défendez pas ! J’aime énormément vos œuvres.

— Vous m’en voyez ravi et en même temps très confus, Monsieur !

— Il y a trois ans, j’ai assisté à une de vos expositions à Washington qui remporta un très grand succès.

— En effet, j’ai vécu longtemps aux Etats-Unis.

— Vos toiles y étaient très cotées.

— Je reconnais avoir bénéficié de plusieurs réussites. J’ai même gagné beaucoup d’argent, dit Robert mais en rentrant en France, j’ai eu la sottise d’écouter les conseils d’un ami et j’ai déposé la majeure partie de ma fortune dans une banque allemande ... La guerre ayant éclaté, je me trouve actuellement dans une situation des plus précaires !

— Comment ? Un garçon d’un tel talent ! S’écria l’Anglais, réellement surpris.

De fil en aiguille, Robert lui confia son histoire, sans mentionner, naturellement, les noms de deux qui y avaient participé.

Lord Richmond l’écouta, attentif et impassible.

— Et aujourd’hui, conclut Montpellier, je me trouve dans des conditions financières désastreuses. Je vais être forcé de prendre un emploi manuel pour gagner ma vie et celle de monsieur Labeille.

— Je ne le pense pas ! Dit l’Anglais.

— Cependant, je ...

— Vous le gagnerez largement en continuant à peintre, affirma lord Richmond en sortant un portefeuille de la poche intérieure de son veston.

Robert s’apprêta à refuser orgueilleusement de l’argent, mais il se retint à temps, car son interlocuteur lui tendit une photo jaunie.

— Voulez-vous examiner cette photographie ?

Robert obéit et vit une jolie femme dont les traits avaient été quelques peu estompés par le temps.

— C’était ma mère ! Déclara l’Anglais.

{ A SUIVRE LE 15 SEPTEMBRE }

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